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AVERTISSEMENTO

Nous aurions désiré répondre un peu moins indignement à l'appel fait par le plus beau sujet qui se pút proposer.

Pour juger le dix-septième siècle, il fallait se placer au-dessus de lui, c'est-à-dire avoir renouvelé la théorie des idées, en lui donnant plus de vigueur et plus de netteté, et pour cela avoir trouvé la théorie de l'infini et celle de la substance. Il fallait encore avoir trouvé la métaphysique du calcul différentiel pour échapper à l'alternative d'opérer sur des quantités effectives, ce qui ruine l'exactitude des résultats, ou d'opérer sur des quantités nulles,

(1) Ce court avertissement paraît ici tel qu'il a été envoyé à l'Académie des Sciences morales et politiques.

A

ce qui rend les résultats illusoires. Il fallait enfin avoir trouvé la cause première de la révolution philosophique cartésienne, afin d'expliquer pourquoi seulement alors l'esprit humain s'est élevé aux lois générales dans la nature, par exemple aux lois du mouvement et à celle de l'attraction, et aux méthodes générales dans les mathématiques, par exemple à la géométrie analytique et au calcul différentiel.

Depuis quinze ans, j'ai ces choses en main, et plusieurs autres dont je ne parle pas, parce qu'elles sont ici étrangères. Des circonstances indépendantes de ma volonté m'ont empêché de les publier. Quels que soient l'intelligence et le savoir d'un lecteur, il ne peut bien saisir, dans des matières si relevées et si abstraites, que ce qui est suffisamment développé ; et de tels développements m'auraient entraîné hors des limites.

On ne trouvera donc ici que la métaphysique du calcul différentiel et la théorie de la substance, qu'il ne m'a pas été possible d'omettre, sous peine d'être trop insignifiant. Il est peu de théories aussi fécondes que la dernière, et qui jettent autant de lumière sur les plus importantes questions, ni qui renversent de plus capitales erreurs, telles que l'ap

plication du calcul des probabilités aux sciences morales, la logique considérée comme science distincte de la métaphysique, la possibilité d'une langue universelle, erreurs qui reposent sur la supposition absurde que les idées de perfection s'expriment exactement dans des formules, comme les idées de quantité. Sur ces choses, je n'ai pu entrer dans aucun détail. Dans l'optimisme, problème le plus formidable peut-être qui ait pesé sur l'intelligence humaine et que j'ai résolu négativement, j'ai employé les divers ordres d'infinis. Ils sont aujourd'hui assez généralement admis, ce qui m'a épargné de longues explications.

J'espère que l'Académie ne verra pas sans plaisir le secours que la métaphysique prête à la physique et à la géométrie, pour établir dans les ondes lumineuses les vibrations transversales, dont Young et Fresnel avaient plutôt montré la possibilité que la réalité, pour résoudre la question de la force vive, et les autres semblables.

Rarement je me suis permis d'abréger les auteurs et de parler à leur place, au lieu de les laisser parler eux-mêmes. Ce sont des accusateurs et des accusés devant un tribunal; le devoir du juge est de les écouter dans leurs moyens d'attaque et de défense.

Je crois avoir rempli le programme de l'Académie, excepté sur un point très-secondaire, la chimie. Je n'en ai rien dit, parce qu'alors elle n'offrait encore que quelques notions incertaines, et aussi parce que le temps ne me l'a pas permis; car de cela mème qu'il y a beaucoup de vague, il eût fallu beaucoup de temps pour présenter un travail supportable.

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OU

LA VÉRITABLE RÉNOVATION DES SCIENCES

AVANT-PROPOS

ÉTAT DE LA PHILOSOPHIE AVANT DESCARTES

Les modernes, pas plus que les anciens, n'ont philosophé dès l'instant qu'ils ont essayé de le faire; il leur a même fallu un temps quatre fois aussi long. Les tentatives des uns durèrent deux siècles, depuis Thalès jusqu'à Socrate; celles des autres en ont duré huit, depuis Alcuin jusqu'à Descartes: sept, il est vrai, sont absorbés par la scolastique, et à peine en reste-t-il un pour les spéculations de Télésio, Bruno, Campanella, Ramus, Bacon, qui cherchent à innover. Or, la scolastique, loin d'ouvrir la voie à la philosophie, n'est propre qu'à la lui fermer, puisqu'elle jette la pensée hors de soi, et l'enchaîne dans les mots, tandis que l'objet de la philosophie est de la rap

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