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de Descartes doit être celle des Principes, composés alors que ses idées étaient définitivement arrêtées.

Revenons. Cette étoile ainsi couverte de laches et de croûtes n'a plus la force de soutenir et de défendre son tourbillon contre l'effort continuel de ceux qui l'entourent. Ce tourbillon diminue donc peu à peu. La matière qui le compose se répand de toutes parts; et le plus fort des tourbillons d'alentour en entraîne la plus grande partie, et enveloppe enfin l'étoile opaque qui en est le centre. Cette étoile se trouvant tout entourée de la matière de ce grand tourbillon, elle y nage en conservant, avec quelque peu de la matière de son tourbillon, le mouvement circulaire qu'elle avait auparavant, et elle y prend enfin une situation qui la met en équilibre avec un égal volume de la matière dans laquelle elle nage. Voilà une planète. Si elle a peu de solidité et de grandeur, elle descend fort proche du centre du tourbillon qui l'a enveloppée, parce qu'ayant peu de force pour continuer son mouvement en ligne droite, elle doit se placer dans l'endroit de ce tourbillon, où un égal volume du second élément a autant de force qu'elle pour s'éloigner du centre; car elle ne peut être en équilibre qu'en cet endroit. Si cette planète est plus grande et plus solide, elle doit se mettre en équilibre dans un lieu plus éloigné du centre du tourbillon. Et enfin, s'il n'y a dans le tourbillon aucun lieu où un égal volume de la matière ait autant de solidité que cette planète, et par conséquent autant de force pour continuer son mouvement en ligne droite, à cause que cette planète sera peut-être fort grande et

couverte de taches fort solides et fort épaisses, elle ne pourra s'arrêter dans ce tourbillon, puisqu'elle ne pourra s'y mettre en équilibre avec la matière qui le compose. Cette planète passera donc dans les autres tourbillons, et si elle n'y trouve point son équilibre, elle ne s'y arrêtera point aussi. Telles sont les comètes. Si l'on pense maintenant qu'un seul tourbillon, par sa grandeur, par sa force, et par sa situation avantageuse, peut miner peu à peu, envelopper et entraîner plusieurs tourbillons, et des tourbillons même qui en auraient surmonté quelques autres, il sera nécessaire que les planètes qui se seront faites dans les centres de ces tourbillons, étant entrées dans le grand qui les aura vaincues, s'y mettent en équilibre avec un égal volume de la matière dans laquelle elles nagent. De sorte que si ces planètes sont inégales en solidité, elles seront à des distances inégales du centre du tourbillon dans lequel elles nageront. Et s'il se trouve qu'une planète entraîne dans son petit tourbillon une ou plusieurs autres plus petites planètes qu'elle aura vaincues, alors ces petites planètes, ou satellites, tourneront autour de la plus grande, tandis que la plus grande tournera sur son centre, et toutes seront emportées par le mouvement du grand tourbillon.

Voilà, dit Malebranche, ce qu'avec Descartes on peut déduire de l'idée de l'étendue et du mouvement dans la formation des corps célestes. Et lorsqu'on examine les phénomènes, savoir les révolutions elliptiques des planètes et des satellites, leur rotation et celle du soleil, leurs distances, leurs volumes, d'autant plus grands

qu'ils sont plus éloignés, les comètes errantes, les étoiles, qui gardent les mêmes positions et luisent comme de petits soleils, parce qu'elles sont les centres de tourbillons pareils au tourbillon du soleil qui nous éclaire, quelques-unes cependant diminuent et disparaissent entièrement, parce qu'il s'y forme des taches et des croûtes, tandis que d'autres paraissent toutes nouvelles, augmentant beaucoup d'éclat et de grandeur, parce qu'il s'y efface des croûtes et des taches; lorsque nous observons, dis-je, ces phénomènes, nous sommes comme surpris de voir qu'ils s'accommodent assez bien avec ce qui vient d'être découvert par l'esprit, en considérant les rapports les plus simples et les plus naturels qui se trouvent entre les parties et les mouvements de l'étendue (1).

Pour trouver cet accord, il faut, comme Malebranche, ne considérer que quelques effets en gros. L'ellipticité même ne peut venir de la pression des tourbillons, puisque les planètes qui se meuvent le plus près du Soleil et qui devraient la subir le moins, comme Mercure, ont en général les orbites les plus allongées et dans des sens différents; puisque encore la vitesse devrait s'accélérer à l'endroit de la pression, c'est-à-dire sur les côtés de l'ellipse, tandis que c'est au sommet périhélie. L'excentricité d'ailleurs est impossible; la matière d'un tourbillon ne peut avoir son centre qu'au centre de ce tourbillon. A supposer donc qu'il se produisît un mouvement

(1) Rech. de la Vérité, liv. VI, part. 2o, ch. IV.

elliptique, le soleil serait, non pas au foyer, mais au centre de l'orbe planétaire, et les planètes au centre des orbes décrits par leurs satellites. La force centrifuge agit perpendiculairement à l'axe du tourbillon; voilà les plans des orbites, parallèles à l'équateur et ne passant plus tous par le centre, soit du soleil, soit des planètes, ou, s'ils y passent, ils se confondent. Par la même raison, la pesanteur sur la terre ne serait dirigée à son centre que sous la ligne. Tout partisan qu'est Huyghens des tourbillons, il ne craint pas de signaler ces insurmontables difficultés (1). Il pouvait y joindre celle du flux et du reflux.

Nous ne retraçons point ses efforts et ceux de Leibnitz, des Bernoulli et autres, pour mettre les tourbillons d'accord avec le calcul et l'observation, en les modifiant de mille manières; il nous suffit de savoir qu'ils ne purent y parvenir dans la plupart des cas si communs dont nous venons de parler, pour comprendre combien il serait insensé de le tenter dans ces inégalités si subtiles qui occupent aujourd'hui les astronomes, et qu'ils évaluent avec tant de précision. Chercher donc dans les tourbillons l'explication exacte des phénomènes, ce serait mal entendre leur destinée; mais voyons-y le moyen de faire comprendre que les phénomènes peuvent résulter d'un mécanisme géométrique actif, qui, une fois créé et avec le seul concours de l'action conservatrice de Dieu, va de lui-même par la correspondance et le jeu de

(1) Discours sur la cause de la pesanteur, p. 161. Leyde, 1690.

ses parties, sans qu'il soit besoin d'âmes pour les mouvoir et les diriger. Or, ce moyen ne saurait être mieux conçu, et il a parfaitement réussi. La simple combinaison des mouvements primitifs en ligne droite des parties de l'étendue, produit en un instant l'univers. Avec quelle netteté, quelle facilité la construction commence, se poursuit, s'achève, et la machine fonctionne! On suit à l'œil tous les progrès, et l'on contemple une pièce si vaste, si immense, et pourtant si intelligible, avec le même contentement d'esprit, que si l'on avait ravi à Dieu tous les secrets de la nature corporelle.

De cette conception, en effet, jaillit pour l'esprit humain la lumière dans l'étude de la physique. On peut, aussitôt qu'ils paraissent et avant un examen réfléchi, apercevoir le vice des tourbillons, et les rejeter dans les détails et même dans l'ensemble, mais on ne peut plus songer à l'animisme. « Au milieu de toutes les erreurs de Descartes, dit M. Biot, il ne faut point méconnaître une grande idée, qui consiste à avoir tenté, pour la première fois, de ramener tous les phénomènes naturels à n'être qu'un simple développement des lois de la mécanique (1). » Descartes, remarque à son tour M. de Pontécoulant, fait un pas immense dans l'astronomie physique. I imagine le système des tourbillons, système erroné sans doute, vulnérable sur tous les points, qui se refuse aux spéculations de l'analyse, qui n'explique qu'imparfaitement quelques faits isolés..., mais qui fera

(1) Biographie universelle, art. Descartes., t. XI, p.

151.

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