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donc pas la même chose? Trouver toujours son intérêt, son avantage propre dans l'amour qu'on a pour les objets distingués de soi, ou désirer des choses par elles-mêmes sans aucune vue d'intérêt, mais qui sont d'une nature à nous donner du plaisir par leurs excellentes qualités, l'un et l'autre ne reviennent-ils pas absolument au même? Que peut signifier la condition par elles-mêmes sans aucune vue d'intérêt qu'y met Leibnitz, sinon qu'on ne cherche point, s'il nous est permis de parler ainsi, à exploiter Dieu, comme les juifs charnels et les casuistes, mais qu'on s'abandonne au penchant et au plaisir de le posséder? Suppose-t-on que Bossuet l'entendît autrement? Mille endroits de ses ouvrages viendraient prouver le contraire, si ce n'était lui faire trop injure que d'en douter.

Un passage de Leibnitz, rapporté aussi par M. de Beausset, montre qu'il donnait tort à l'archevêque de Cambrai « L'incomparable M. de Fénelon s'est rendu plus cher à l'univers en lui donnant son Télémaque, qu'en publiant son sentiment sur le pur amour, quoiqu'il faille aussi avouer que ni le père Lami, bénédictin, qui a défendu ce sentiment, ni l'évêque de Meaux et Malebranche, qui l'ont combattu, n'ont point assez bien traité la question, et ne l'ont point présentée sous le jour convenable, parce qu'ils n'ont pas donné une définition juste et exacte du véritable amour (1). » Ainsi le reproche que Leibnitz adresse à Bossuet ne tombe que sur la manière de pré

(1) Op. Leib., t. V, p. 189.

senter la chose et de l'exprimer. Que Bossuet ait manqué de l'offrir dans un jour aussi net, et de la rendre par une définition aussi précise que lui, c'est un désavantage; mais qu'importe pour le fond? Cette remarque montre ce qu'il faut penser de l'assertion émise par l'éditeur de Fénelon : « Que si l'on étudie avec soin ses écrits sur cette matière, peut-être sera-t-on porté à croire que son opinion ne différait guère de celle du célèbre métaphysicien (1). »

(1) Euv. de Fénelon, t. IV, analyse de la controv. du quiétisme, p. 178.

DEUXIÈME PARTIE

PHYSIQUE.-MATHÉMATIQUES.

CHAPITRE PREMIER

Physique céleste.

Une révolution semblable à celle que nous venons de considérer pour l'âme et pour le corps, et tendant à reconnaître à chaque chose l'activité qui lui est propre, a été opérée par le cartésianisme dans le règne inorga nique, c'est-à-dire dans les cieux, la terre, l'eau, l'air, le feu, les minéraux. L'antiquité supposa une âme dans le monde, comme dans l'homme, pour le mouvoir. Elle en supposa même quelquefois une dans chaque astre, et peutêtre aussi dans chaque élément et dans chaque minéral. Le phénomène de l'aimant et de l'ambre faisait dire à Thalès que tout était plein de dieux (1). A la renaissance

(1) Laërce, liv. I, 24. Aristote, de anima, lib. I, cap. IV, V.

cette âme subsiste encore. Gilbert va jusqu'à lui attribuer la supériorité sur l'âme humaine, tant que celle-ci est enchaînée par les liens du corps. « Les mouvements du monde, dans les profondeurs de la nature, ne s'accomplissent point à l'aide de réflexions, raisonnements et conjectures, comme les actions humaines, qui sont hésitantes, imparfaites, hasardées; mais, de leur nature, ils renferment la raison, l'ordre, la science, le discernement, qui, depuis que les premiers fondements du monde furent jetés, produisent des actions certaines, déterminées, que nous ne pouvons comprendre à cause de la faiblesse de notre esprit. Aussi, n'était-ce pas sans raison que Thalès (comme le rapporte Aristote dans son livre de l'âme) prétendait voir une âme dans l'aimant, qui est une portion, et, comme l'enfant d'une mère chérie, la terre vivante (1).» Cette âme est réduite par Copernic à une force attractive entre les parties de chaque corps céleste, d'où résulte sa rondeur. Il l'appelle un certain appétit naturel, quamdam appetentiam naturalem (2). Aux yeux de Képler, c'est une force qui attire ces corps, et qu'il

(1) « Motus mundi in naturæ fontibus, non cogitationibus, ratiunculis et conjecturis fiunt, ut humanæ actiones, quæ ancipites sunt, imperfecta et incertæ; sed connatæ sunt illis ratio, disciplina, scientia, discretio, a quibus actiones certæ et definitæ existunt, ab ipsis mundi jactis fundamentis et primordiis, quas nos propter animæ nostræ imbecillitatem comprehendere non possumus. Quare Thales non sine causa (ut refert Aristoteles in libro de anima) animatum lapidem magnetem esse voluit, qui pars est et soboles dilectæ telluris matris animatæ. » De magnete, lib. V, cap. XII, p. 210, Lundini, 1600.

(2) Equidem existimo gravitatem non aliud esse, quam appetentiam quandam naturalem partibus inditam a divina providentia opificis universorum, ut in unitatem. integritatemque suam sese conferant in formam globi coeuntes. » De revolutionibus orbium cœlestium, lib. I, cap. IX.

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