Page images
PDF
EPUB

Elprit. Ayez pitié de moi, confervez-vous, fi vous voulez que je vive. Vous m'avez fi bien perfuadée que vous m'aimez, qu'il me femble que dans la vue de me plaire, vous ne vous hazarderez point. Mandez-moi bien comme vous conduirez votre barque. Hélas! qu'elle m'eft chere & précieufe cette petite barque, que le Rhône m'emporte fi cruellement! J'ai ouï dire qu'il y avoit eu un Dimanche gras; mais ce n'eft que par ouï dire, & je ne l'ai point vu. J'ai été farouche au point de ne pouvoir fouffrir quatre perfonnes ensemble. J'étois au coin du feu de Madame de la Fayette. L'affaire de Mellufine eft entre les mains de Langlade, (1) après avoir paffe par celles de Monfieur de la R. F. & de d'Hacqueville. Je vous affure qu'elle eft bien confondue & bien méprifée par ceux qui ont l'honneur de la connoître. Je n'ai pas encore vu Madame d'Arpajon; elle a une mine fatisfaite qui m'importune. Le bal du Mardi gras penfa être renvoyé, jamais il ne fut une telle trifteffe; je crois que c'étoit votre absence qui en étoit caufe. Bon Dieu, que de complimens j'ai à vous faire que d'amitiés! que de foins de favoir de vos nouvelles ! que de louanges l'on vous donne! Je n'aurois jamais fait, fi je voulois nommer tous ceux & celles dont vous êtes aimée,

(1) Homme attaché à la maifon de Bouillon, & depuis Secrétaire du Cabinet.

eftimée,

eftimée, adorée; mais quand vous aurez mis tout cela ensemble, foyez afsurée, ma fille, que ce n'eft rien en comparaifon de ce que je fuis pour vous. Je ne vous quitte pas un moment, je penfe à vous fans relâche, & de quelle façon ! j'ai embraffé votre fille, & elle m'a baifée, & très-bien baifée de votre part. Savez-vous bien que je l'aime cette petite, quand je fonge de qui elle vient?

LETTRE XX.

A LA MÊME.

A Paris, ce Mercredi 18 Février 1671.

E vous conjure, ma fille, de conserver

[ocr errors]

vos yeux; pour les miens, vous favez qu'ils doivent finir à votre fervice. Vous comprenez bien, ma belle, que de la maniere que vous m'écrivez, il faut que je pleure en lifant vos lettres. Joignez à la tendreffe & à l'inclination naturelle que j'ai pour votre perfonne, la petite circonftance d'être perfuadée que vous m'aimez, & ju

gez

de l'excès de mes fentimens. Méchante pourquoi me cachez-vous quelquefois de fi précieux tréfors? Vous avez peur que je ne meure de joie ; mais ne craignez-vous pas auffi que je meure du déplaifir de croi-> re voir le contraire ? Je prends d'Hacque Tome I.

E

[ocr errors]

ville à témoin de l'état où il m'a vue autrefois; mais quittons ces triftes fouvenirs, & laiffez-moi jouir d'un bien fans lequel la vie m'eft dure & fâcheufe. Ce ne font point, des paroles, ce font des vérités. Madame de Guenegaud m'a mandé de quelle maniere elle vous a vue pour moi, je vous conjure d'en garder le fond; mais plus de larmes, je vous en prie, elles ne vous font pas fi faines qu'à moi. Je fuis préfentement affez raifonnable, je me foutiens au befoin, & quelquefois je fuis quatre ou cinq heures tout comme une autre ; mais peu de chofe me remet à mon premier état un fouvenir, un lieu, une parole,, une pensée un peu trop arrêtée, vos lettres fur-tout, les miennes mêmes en les écrivant, quelqu'un qui me parle, de vous, voilà desécueils à ma conftance, & ces écueils fe rencontrent. fouvent, Je vois Madame de Villars, je me plais avec elle, parce qu'elle entre dans mes fentimens; elle vous. dit mille amitiés. Madame de la Fayette comprend fort auffi les tendreffes que j'ai pour vous; elle cft touchée de l'amitié que vous me témoignez. Je fuis. affez fouvent dans. ma famille, quelquefois ici le foir par laf fitude; mais rarement. J'ai vu cette pauvre Madame, Amelot : elle pleure bien, je, m'y connois. Je vais aux Sermons des Mafcaron (1) & des Bourdaloue; ils fe furpaf

[ocr errors]

(1) Jules Mafcaron, Prêtre de l'Oratoire, nom mé en 1671à l'Evêché de Tulle.

fent à l'envi. Voilà bien de mes nouvelles, j'ai fort envie de favoir des vôtres, & com- › ment vous vous ferez trouvée à Lyons pour' vous dire le vrai, je ne pense à nulle autre chose. Vous m'avez donné envie de m'infor mer de la mascarade du Mardi gras ; j'ai fub qu'un grand homme, plus grand de trois doigts qu'un autre, avoit fait faire un ha-· bit admirable: il ne voulut point le mettre, & il fe trouva par hazard qu'une Dame qu'il ne connoît point du tout, à qui il n'a jamais parlé, n'étoit point à l'affemblée. Du refte, il faut que je dife, comme Voiture, perfonne n'eft encore mort de votre abfence, hormis moi ce n'eft pas que le Carnaval n'ait été d'une triftesse excellive; vous pouvez vous en faire honneur; pour moi, j'ai cru que c'étoit à caufe de vous; mais ce n'eft point affez pour une abfence comme la vôtre. J'envoie pour cette fois cette lettre en Provence'; j'embraffe M. de Grignan, & je meurs d'envie de favoir de vos nouvelles. Dès que j'ai reçu une lettre, j'en voudrois tout-à-l'heure une autre, je ne refpire que d'en recevoir.

Vous me dites des merveilles du tombeau de M. de Montmorenci, & de la beauté de Mefdemoiselles de Valançai. Vous écrivez extrêmement bien, perfonne n'écrit mieux : ne quittez jamais le naturel, votre tour s'y eft formé, & cela compofe un ftyle parfait. J'ai fait vos complimens à Madame de la

Fayette, & à M. de la Rochefoucauld, & à. Langlade; tout cela vous aime, vous eftime, & vous fert en toute occafion. Vos chanfons m'ont paru jolies, j'en ai recon→ nu les ftyles. Ah! mon enfant, que je vou-, drois bien vous voir un peu, vous entendre, vous embraffer, vous voir paffer, fi c'eft trop demander que le refte! Hé bien, par exemple, voilà de ces penfées à quoi je ne réfifte pas. Je fens qu'il m'ennuie de ne plus vous voir cette féparation me fait une douleur ay cœur & à l'ame, que je fens comme un mal du corps. Je ne vous puis affez remercier de toutes les lettres que vous m'avez écrites fur le chemin ; ces foins font trop aimables, & font bien leur effet auffi, rien n'eft perdu avec moi: vous m'avez écrit de par-tout, j'ai admiré votre bonté; cela ne fe fait point fans beaucoup d'amitié; autrement on feroit plus aife de, fe repofer & de fe coucher. L'impatience que j'ai d'avoir encore de vos nouvelles, de Rouane, & de Lyon, n'eft pas médiocre ; je fuis en peine de votre embarquement, & de favoir ce que vous a paru ce furieux Rhône en comparaifon de notre pauvre Loire, à laquelle vous avez tant fait de civilités que vous êtes honnête de vous en être fouvenue comme d'une de vos anciennes amies! Hélas! de quoi ne me fouviens-je point? Les moindres chofes me font cheres ; j'ai mille Dragons. jis

&

« PreviousContinue »