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de leurs devoirs, qu'ils calculent presque tous d'après le nombre des quatrains qu'il leur faut apprendre.

Quoi qu'il en soit de l'utilité reconnue de cet ouvrage, il ne faut pas espérer de le retrouver entre les mains de ceux qui sont en effet sortis de l'enfance, ou qui déja s'imaginent en être sortis. Ils le regarderont alors avec dédain d'après son titre seul : ils en conserveront peut-être un certain dégoût involontaire, jusqu'à ce qu'un jour ils aient eux-mêmes des enfants à élever.

Cependant cette précieuse semence, lorsqu'elle a été déposée dans un sol favorable, a déja commencé à germer en secret au fond de ces jeunes cœurs; déja même inégalement et confusément elle se produit au-dehors ; et l'amour paternel s'ouvre à la plus douce espérance. Mais à

peine a-t-elle acquis un certain développement qu'elle se trouve exposée aux plus terribles ouragans, aux torrents dévastateurs; voilà l'instant de la tourmente, je veux dire la fougue impétueuse et la lutte effrayante des passions.

C'est pour ces moments dangereux, d'où dépend presque toujours le bonheur ou le malheur de la vie, que j'ai préparé à mes enfants, arrivant successivement à cet âge décisif, ce petit recueil de moralités diverses que j'ai tâché de leur rendre plus piquantes à l'aide de quelques images, de certains tours variés, de quelques métaphores plus ou moins heureuses, les attirant pour ainsi dire par l'attrait de la nouveauté, quelquefois par sa seule apparence.

Que ne m'a-t-il été possible, dans chacun de ces quatrains, de joindre à la

finesse ou à la profondeur des pensées la justesse de l'expression, et même quelques uns des charmes puissants de la poésie! Sans doute la morale, belle dans sa simplicité même, n'a pas besoin d'ornements étrangers pour plaire à l'homme d'un esprit mûr et réfléchi: mais sa parure doit nécessairement ajouter beaucoup à ses attraits, aux yeux de la jeunesse naturellement avide de prestiges, dont l'imagination ardente semble chercher par-tout un nouvel aliment, qui jouit de découvrir tout-à-coup un aspect imprévu, qu'enfin un tour vif et précis charme, surprend, étonne, et quelquefois peut faire utilement réfléchir.

J'ai dû me laisser persuader sans peine que ce recueil formé pour mes enfants, et que j'avois cru pouvoir leur être de quelque utilité particuliere, pourroit en

core en avoir une plus générale ; je me suis donc déterminé à le publier. Et en effet, puissé-je ne pas l'espérer en vain ! s'il devoit se trouver quelque jour un seul pere qui, l'ayant mis adroitement sous la main de son fils, eût à se réjouir de le voir subitement renoncer aux funestes essais de quelques jeux publics, ou à toute autre passion non moins dangereuse, et retourner de lui-même à ses études délaissées, ou employer enfin son temps à des occupations honnêtes, n'aurois-je pas à me reprocher pour ainsi dire de l'avoir privé d'une si douce jouissance; ne me serois-je pas privé moi-même d'un bonheur presque égal au sien?

D'ailleurs, s'il est vrai que le seul aspect

d'un héros suffit pour relever le

relever le courage

et ranimer l'audace du plus làche ; si l'on ne peut s'approcher d'un homme integre,

recommandable par ses vertus et ses lumieres, sans un profond sentiment d'admiration et d'estime, auquel lorsqu'on est heureusement admis à le fréquenter se joint bientôt un desir secret de lui ressembler du moins en quelque chose, et même une intention prononcée d'employer tous ses moyens pour y parvenir; si la lecture réfléchie, si l'étude approfondie des grands orateurs et des premiers poëtes tant anciens que modernes, peuvent seules contribuer puissamment à former des orateurs et des poëtes; n'est-il pas naturel de penser que la morale doit avoir une égale influence, obtenir le même privilege, exercer un pareil empire?

Sans doute le plus indifférent n'y sauroit porter ses regards sans être contraint de rendre à sa beauté majestueuse un légitime hommage. Mais à moins de la plus

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