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animale, rabaissent excessivement le courage, causent la langueur, la mollesse, l'envie impuissante. L'ame sensitive étant abaissée pendant le sommeil, les affections des songes tendent plus fréquemment vers la terreur, la tristesse et les voluptés vénériennes, que vers la colère et les passions exaltées.

CHAPITRE V.

Des passions par rapport à l'esprit, et de leur

utilité morale.

De toutes les passions, la plus ennemie de l'intelligence est la crainte, parce qu'elle rabaisse le principe sensitif. On voit souvent le mal de dents cesser sur-le-champ à l'approche de l'instrument du dentiste, comme si l'ame se retiroit. La peur suspend les hémorrhagies, une frayeur subite atterre et frappe d'épilepsie les enfans et les personnes timides; elle rend même stupide. Les naturels haineux ne peuvent point être très-ingénieux, parce que la haine resserre et retire l'ame. Rien, en revanche, n'excite plus la vivacité de l'esprit que la chaleur de l'émulation, et cette pointe d'ambition ou de desir de gloire qui se porte vers le cerveau et anime les discussions; à moins que la raison, ne soit offusquée par un

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trop grand afflux d'esprits vitaux, comme dans la colère ou le dépit. Les passions fortes poussant l'ame en différens sens, troublent, en effet, le siége de l'intelligence; ce qui fait tomber à faux la pensée, et la durée de cet état peut devenir une folie.

Bien que l'ame intellectuelle soit opposée à nos passions, elles se justifient elles-mêmes par une raison fausse qui leur est propre. Elles ne se persuadent jamais mieux qu'en raisonnant le moins. La grandeur de l'extravagance prouve la force de l'affection, et les ames les plus passionnées deviennent les plus animales. Haïr, aimer, s'irriter, comme une béte, est une expression vulgaire qui annonce que toute l'ame sensitive ne se contient plus, ne peut plus écouter l'ame intellectuelle. Les passions, retournant continuellement sur ellesmêmes, s'enveniment et conservent leur mouvement plus longuement qu'une pensée de l'esprit pur; c'est ainsi que la rancune se peut garder pendant plusieurs années: manet altá mente repostum.

En faisant persévérer ainsi nos idées, les passions peuvent être utiles bonnes servantes lorsqu'on les dirige bien; mais mauvaises maîtresses lorsqu'elles aveuglent l'intelligence par l'excès de leur force.co.

Sans l'espérance et la confiance, par exemple, on n'entreprendroit rien; peu d'hommes se livreroient à de grands travaux, braveroient, les périls, sans le desir de la renommée, des honneurs, ou de la fortune; et même l'aiguillon de la critique stimule encore plus que le chatouillement de la louange. Un instrument dont les cordes ne sont pas tendues, ne résonne que sourdement. La vaillance seroit trop relâchée sans le nerf de la colère, la justice trop molle sans l'indignation et la haine des méchans, l'humanité trop froide sans la pitié : une crainte modérée soutient la tempérance, la tristesse qui rend méditatif aiguise la prudence; enfin, l'on ne deviendroit pas assez bon sans l'amour ou la charité; les affections sont donc nécessaires pour roidir les vertus, et sans elles on resteroit presque immobile. Par les passions tempérées, on devient sage, mais les fortes natures ont de grandes passions. Elles font des héros ou des scélérats, car les actes de haute vertu et les attentats ne peuvent être commis par ces ames modérées qui n'osent s'éloigner de leur corps et hasarder leur vie. Aussi les passions que l'on concentre, étant les plus profondes, rendent plus capables d'actions extraordinaires. Les ames, trop épanouies sont vaines et superficielles, la joie rend le cœur

peu sensible parce qu'elle évapore le sentiment; au contraire, les grands hommes sont si naturellement sérieux, qu'ils tombent même dans l'humeur atrabilaire.

Rien n'est plus capable de donner de l'àplomb, de la régularité et de la grandeur au caractère que le premier amour, en l'écartant de la débauche. Il ne ressemble point aux autres passions, hôtes passagers de l'ame, et qui ne lui étant pas essentiels, peuvent courber et tordre le naturel en leur sens; mais l'amour est, pour ainsi dire, le fils de la maison; il germe de lui-même dans le cœur; il l'exalte et l'échauffe, il rend la jeunesse magnanime. Par lui l'on fait plus d'estime des choses grandes, vertueuses, que de l'opulence; l'on préfère le génie à la fortune, la gloire aux biens matériels, et même le bonheur du cœur aux plaisirs des sens : noble illusion que dissipent les voluptés du corps! En effet, elles ramènent tout au physique; en vieillissant, l'on s'attache trop à l'argent, aux biens corporels, la vie devient trop précieuse, et l'on traite de chimères ces généreux élans du jeune âge.

L'homme ferme qui résiste à ses passions par la vigueur de l'esprit, les éprouve souvent plus fortement que tout autre, jusqu'à ce

qu'il ait dompté l'hydre qui s'agite dans son sein. La blessure de son cœur est d'autant plus profonde qu'elle se renferme plus au-dedans. Les maladies attaquent plus difficilement un corps robuste qu'un tempérament délicat; mais ayant une fois pénétré, elles sont bien autrement graves dans le premier qui résiste que dans le second qui cède; pareillement les grands cœurs s'émeuvent avec plus de peine, parce qu'ils ne s'ébranlent que d'une commotion unique et totale; ils ne dépensent point leur sensibilité en détail. Les cœurs foibles agissant par efforts partiels, s'émeuvent facilement aux plus légères passions; les enfans qui abondent en chaleur vitale rient, pleurent, aiment, haïssent, craignent ou s'irritent cent fois le jour : ils n'ont, en effet, aucune passion décidée, parce qu'ils les ont toutes en même temps. Les femmes d'une humeur iné– gale ont plutôt des caprices que des passions; leurs desirs s'entrechoquent sans cesse. Cette mobilité résulte de l'extrême flexibilité de leurs

organes, dont l'harmonie est altérée par chaque impression vive. Peu les afflige, peu les console; car toute affection est comme la mesure d'une autre.

Il suffit quelquefois d'un petit accident pour rompre une constance qui soutient déjà d'ex

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