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sur-tout devant les grands, les princes, les hommes célèbres, les magistrats, les gens d'église. Mais, la familiarité, les jeux, les ac tions communes, diminuent la vénération. On honore le mérite et les vertus, principalement celles qui se maintiennent invincibles dans le malheur.

Une grande satisfaction de soi-même produit la vanité et l'orgueil, sorte de gonflement d'ame ou d'amour-propre excessif. Il aveugle l'esprit sur ses défauts personnels, et cette affection se remarque sur-tout dans les hommes gros. siers, rustiques, sots et sans réflexion, dans les caractères chauds, ambitieux, irascibles, tandis que les naturels froids sont humbles et modestes. La joie et la colère favorisent ce penchant à se glorifier, à se croire excellent, à mépriser tout ce que font ou possèdent les autres; à faire parade de ses biens ; à vouloir être le premier, l'unique. Le vain, est plus évaporé; l'orgueilleux, plus renfermé; le premier, est plus porté au rire; le second, à la colère : il a dans le caractère plus de fermeté, et quelquefois plus de mérite, de vertu, de savoir que le vain: aussi son défaut est plus incurable. Offusqué par la grandeur des autres, il veut tout détrôner pour régner seul. Ceux qui excellent en quelque partie, deviennent

d'ordinaire orgueilleux; croyant avoir surpassé leurs égaux, ils ne travaillent plus, et s'indignent lorsqu'on veut les reprendre.

N'avoir aucune affection en particulier est l'état d'indifférence. La philosophie qui combat les passions, ne prétend pas les détruire; l'on seroit sans doute plus malheureux sans elles qu'avec elles; rien ne nous fatigueroit plus cruellement que l'absence de toute émotion. L'ennui naquit un jour de l'uniformité; jusque là même que le mal est moins insupportable aux personnes dans lesquelles la sensibilité est trop accumulée. On voit les animaux renfermés, tomber dans un si profond ennui, qu'ils se frappent, qu'ils se déchirent, qu'ils meurent, tant est furieux le besoin d'être ému et de dépenser sa sensibilité., Le bâillement, les pandiculations, les spasmes, sont les moindres symptômes de ce mal, qui annonce, avec un dégoût universel, la surcharge et le mouvement désordonné du principe sensitif. Dans ces accès, Cardan, philosophe célèbre, se mordoit les bras jusqu'au sang. Il est utile de ramener à l'extérieur, par le travail du corps ou par quelque douleur l'écoulement de la sensibilité; moyen utile dans les vapeurs et l'hystérie qui souvent sont des maladies d'ennui. L'abstinence des plaisirs,

des passions et les autres privations des dévots austères, rendent peut-être nécessaires les flagellations et la haire pour dissiper l'engourdissement de leurs sens. De même que l'eau stagnante se putréfie, ainsi l'extrême ennui corrompt les facultés de l'ame. Ce ralentissement de l'action nerveuse, se dissipe par la variété, à moins que l'uniformité de variété ne ramène le dégoût. La seule diversité des passions peut donc sauver de ce mal. La satiété du plaisir ôțe tous les plaisirs, et la plus grande peine est alors l'absence de tout mal. En cet état tout déplaît: on veut, on ne veut pas; la sensibilité extravague sur mille objets; l'oisiveté, l'occupation deviennent également insupportables. Faute d'être rattachée à un centre d'affections, la chaleur vitale se répand alors en plusieurs régions du corps, et cause de l'anxiété.

Il y a deux genres d'ennui; l'un né d'un excès de jouissances, use tous les goûts, sature l'ame en tout sens, comme chez les rois, les grands, les riches, qui ne sont plus amusables. L'autre naît d'un défaut ou de l'interdiction de tous les plaisirs, comme chez les prisonniers, les hermites, les personnes très-pieuses, les malheureux, les sauvages. L'ame à qui tous les biens manquent, les appète en tout sens;

son ennui est négatif, il peut se guérir; mais, l'ennui par l'affluence des biens, étant positif, ne se peut guérir que par des peines et l'adversité. Dans le premier, on desire tout; dans le second, tout répugne. Telle qu'une aiguille non aimantée, tournoie çà et là, et ne s'arrête vers son pôle que lorsqu'elle est aimantée; de même l'ame vacille dans une fluctuation perpétuelle jusqu'à ce qu'un sentiment décidé la porte vers l'objet qui l'attire et la séduit.

Ce défaut de passions qui accompagne la froideur et le tempérament flegmatique, rend aussi stupide que leur excès peut rendre fou. L'ataraxie du stoïcien parfait n'est qu'une immobilité qui retire tous les mouvemens de la chaleur vitale dans l'intérieur par un grand effort de la volonté. Si l'on pouvoit établir cette totale indifférence, l'on ne s'occuperoit de rien, l'on vivroit dans l'état de la plante. Ce sont les vents des passions qui nous font mouvoir; elles servent d'ailes aux vertus; ennous inspirant des desirs pour le bien, des craintes salutaires du mal, elles sont dans l'ordre de la nature, et nous forcent même à développer nos ressources et toute la puissance de la pensée. Comme il faut se reculer pour prendre un grand essor, de même on ne peut s'élancer aux plus sublimes actions sans être

poussé par de fortes émotions. Leurs secousses peuvent être nécessaires au coeur pour l'exercer, lui donner plus de capacité et une plus ferme assiète; tout de même que les crises naturelles de la puberté, des maladies et la révo→ lution des âges, sont un effort salutaire de vie et un acheminement à la santé.

CHAPITRE IV.

Des dispositions du corps soit favorables, soit contraires au développement des passions.

La joie étant opposée à la tristesse, la colère à la crainte, et l'amour à la haine; ces six passions primitives dépendent de deux mouvemens contraires de l'ame sensitive. En effet, la chaleur vitale s'augmente, se porte au dehors et aux organes supérieurs dans la joie, la colère et l'amour; mais, par la tristesse, la crainte et la haine, le froid domine dans ces mêmes parties. Plus les premières sont vives et chaudes, moins elles sont durables, parce qu'elles se dissipent facilement en s'épanouis>sant à l'extérieur; une joie qui éclate d'abord, une colère qui s'exhale en menaces, un amour qui s'enflamme sur-le-champ, sont bientôt. Qubliés, et se perdent comme ils se gagnent.

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