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des rougeurs, le froid, le chaud, l'agitation, l'anxiété, les larmes, les plaintes, les louanges, les prières, ensuite des soupçons vains, l'ardeur, l'injure, les querelles, la guerre, enfin, la paix. On se consume, on veille, on se tourmente; par lui l'avare devient prodigue; le timide, vaillant; le superbe s'humilie; le plus audacieux tremble. La chaleur d'amour porte à des actions grandes et hautes, elle allume le génie, rend éloquent, poète et musicien; elle fait chercher les périls et exposer sa vie. Le résultat de cette passion est l'union des ames et des corps; elle confond ensemble les volontés, les goûts, les sentimens; l'ami est un autre soi-même, une moitié de notre ame; tout devient commun entre amis. On est porté à l'amour envers les foibles, les jeunes plutôt que les vieux, car cette affection descend et ne remonte pas. Aussi les parens aiment plus leurs enfans, les bienfaiteurs ceux qui acceptent leurs dons, et les maîtres leurs disciples qu'ils n'en sont aimés; car, selon la nature, le supérieur doit donner et l'inférieur recevoir. La pitié est encore une espèce d'amour envers ceux qui souffrent, qui sont opprimés, délaissés, innocens, frustrés de leurs biens, ou qui ne méritent pas leurs maux. Si les gens très-misérables n'ont pas de compassion pour

les autres, c'est parce que la nature veut qu'ils la tournent alors sur eux-mêmes. Les cœurs tendres des femmes, des enfans, les personnes dont les fibres sont très-délicates, compatissent facilement. Les hommes durs, les Stoïciens, résistent à la compassion qu'ils croient une foiblesse ; elle entre cependant dans les cœurs généreux, bons, clémens; elle est le fondement de toute humanité, de la société qui attache les individus entr'eux, et les dispose à se porter mutuellement du secours. Aucune affection ne fait couler de plus douces larmes.

S. VI. Enfin, la HAINE, aussi pernicieuse que l'amour est fécond en biens, rend aussi misérable que celui-ci rend heureux; car elle repousse avec horreur de ses semblables. Celui qui hait, souffre; son ame se recule de l'objet détesté: elle est refoulée en arrière, les membres sont comme glacés et flétris, le cœur se soulève de répugnance et même il excite le vomissement; tout le corps se retire pour fuir ce qui cause l'aversion. D'elle dépendent le dédain, le dégoût, la fuite, l'inimitié, l'antipathie, la détestation, l'horreur, l'exécration, l'abomination, qui en sont les degrés extrêmes. Ces passions haineuses engendrent aussi la malveillance, la malignité, les médisances, la calomnie, les noirceurs de l'envie, de la mé

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chanceté, la rigueur inflexible; enfin, lacruauté sanguinaire et implacable, qui endurcissent le cœur, et ne disposent jamais aux larmes ni aux soupirs. Cette vraie maladie de l'ame naît principalement de froideur; les lâches, les craintifs et les soupçonneux, haïssent et frappent tout, parce qu'ils redoutent tout; de-là, venoit cette férocité extraordinaire de Caligula et de Néron ; et parce qu'ils se voyoient haïs ils étoient obligés, pour se conserver, de se faire craindre, selon le mot de Sylla: oderint dum metuant. Les égoïstes haïssent tout le monde parce qu'ils n'aiment qu'eux seuls; les avares, les envieux, les mélancoliques, les pauvres, les affamés, les affamés, les personnes malades ou trop malheureuses haïssent. A un violent amour trompé succède d'ordinaire une haine furieuse. L'on hait l'orgueilleux, l'ambitieux, l'insolent, l'injuste, et quiconque veut s'arroger tout. La haine est froide et durable, la colère est chaude et peut s'exhaler; la première n'a plus de compassion, elle s'irrite des bienfaits qui la refoulent encore, et plus elle est dissimulée et hypocrite, plus elle est dangereuse, comme un abcès qui se remplit au-dedans, et qui, dans l'occasion, se déborde avec plus de méchanceté. La colère invétérée et rentrée devient haine, et de même que l'amour lui est opposé, le contraire

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de la pitié est l'envie. Celle-ci s'engendre surtout dans les natures basses, pusillanimes qui, ne pouvant s'élever, ne veulent pas souffrir que d'autres les surpassent. C'est une haine mêlée de tristesse, qui retire les esprits vitaux à l'intérieur; de-là, vient que les envieux sont livides, pâlissent et maigrissent: Invidus alterius macrescit rebus opimis. Ils ne s'attachent plus aux hommes dont la gloire est trop éclatante; c'est ainsi que la flamme dissipe la fumée. L'envie souhaite le désavantage des autres; l'émulation, au contraire, s'efforce d'égaler les avantages de son concurrent; elle le relève pour avoir la gloire de le vaincre; aussi, elle vient de force et de chaleur. Mais, l'envie, la jalousie causent de la honte; l'on cache qu'on est envieux, comme on cache qu'on est eunuque. Ces passions se punissent ainsi d'ellesmêmes en mortifiant l'amour-propre.

CHAPITRE III.

Des affections mixtes; de l'absence des passions, et de l'insensibilité. Que le corps a besoin d'étre affecté.

COMME les teintes mélangées n'ont point la vivacité des couleurs primitives, de même les

sentimens mixtes sont moins actifs que les passions. L'irrésolution est un branle entre l'espérance et la crainte. La pudeur, qui`est un desir refoulé, se compose d'amour et de crainte. En unissant la joie à l'amour, on est disposé aux affections libérales; il entre plus d'envie que d'amour dans la jalousie; ear, le véritable amour tout confiant, tout généreux parce qu'il est plein de chaleur, repousse cette affection, et s'aveugle lui-même. Mais lorsque le froid domine, comme chez les vieillards, les hommes affaiblis tels que les Méridionaux, qui ont plusieurs femmes, la jalousie devient extrême. C'est une défiance de ses forces, une intime persuasion, ou de la foiblesse de son mérite, puisqu'on redoute ses rivaux, ou un soupçon d'infidélité, injurieux à l'honneur de quiconque nous aime. En dépréciant un rival, l'on rehausse l'éclat de ses qualités; de-là vient

que la jalousie s'envenime par mille soupçons inquiets, interprète tout d'une manière sinistre, se ronge et se tourmente elle-même jusqu'à faire monrir.

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Le respect et la vénération naissant de l'admiration et de l'estime, viennent plus de la tête que du cœur; ils soumettent l'esprit et suspendent la parole comme la crainte, Les pusillanimes, les modestes, les ignorans, sont respectueux,

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