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Ce que nous appelons bonheur n'est pas même l'exemption de tous maux; ils sont un complément si nécessaire à notre félicité que nous ne nous seftirions pas heureux, si nous ne pouvions pas être malheureux. Il faut éprouver de la faim pour avoir du plaisir à manger, et l'ardeur amoureuse se perd par la satiété de jouir. Sardanapale s'étoit ôté toutes les voluptés à force d'en abuser; il ne pouyoit être guéri que par le malheur. Ainsi l'ennui du bien ôtant tout pouvoir de jõuir, est le plus grand des maux: corruptio optimi pessima. En vain ce roi d'Assyrie proposoit des prix à quiconque inventeroit de nouvelles jouissances; tous ses plaisirs étant épuis sés, se tournoient en peine, et il ne pouvoit plus attendre que des maux. Il étoit comme Tantale altéré au milieu des eaux, ou comme ce roi qui, changeant en or tout ce qu'il tou choit, selon la Fable, manquoit des choses les plus essentielles à l'existence. L'espoir du bonheur augmente à proportion du malheur; et plus on est sensible à l'un, plus on est capable de jouir de l'autre.

La volupté corporelle est opposée à la réflexion, et peu compatible avec les facultés intellectuelles et morales, parce qu'elle est une affection purement animale; c'est le bon

heur des bêtes, dit Sénèque. Comme elle rapporte tout au bien du corps, elle a été justement nommée la pâture de tous les maux; Voluptas esca malorum. Dans les pays où l'honneur est inconnu et toute la gloire réservée au prince, les voluptés du corps sont le seul bonheur où l'on puisse aspirer; c'est pourquoi les supplices y consistent seulement en peines corporelles; il n'y a pas d'infamie, parce que tout est esclave. La servitude avilit les ames, les rend insensibles à l'estime d'elles-mêmes, et à la honte; l'intérêt personnel y domine les coeurs plus que par-tout ailleurs, parce qu'il n'y a point de contrepoids moral; l'on y est trop attaché à la vie pour s'exposer à la mort quand le devoir l'ordonne, La crainte seule règne; de-là viennent les misères infinies de la corruption morale, et la lâcheté des Asiatiques. Aussi les voluptés vicieuses ont été réprouvées de tout temps par les meilleurs législateurs.

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Si les jouissances corporelles ne peuvent pas être le but de notre félicité, et s'il en est de bien plus grandes dans l'ame, le bonheur véritable qui se suffit seul, que personne ne peut nous enlever, qui comble le cœur humain, est la satisfaction qu'on recueille à bien agir et à bien penser; c'est la vertu. Par-là,

par

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nous pourrons, je pense, être remplis d'un contentement pur et durable, en quelque fortune qué nous tombions. La félicité que ressentent les hommes justes et bons, ne les abandonnè pas même dans les plus rigoureux supplices. En effet, tout ce qui augmente notre être moral, produit en nous de grandes voluptés. Il ya de la gloire à se montrer généreux et vertueux ; des louanges suivent d'ordinaire le mérite, ou lui sont dues; on éprouve de la joie, on se sent le cœur meilleur et l'esprit plus grand que ceux même qui nous surpassent les seuls biens du hasard ou de la fortune. L'on se connoît digne d'être aimé et honoré pour soi-même, non pour l'éclat emprunté des richesses. Le sentiment interne de la bonne conscience est une approbation qui relève l'homme à ses yeux; sa propre estime lui reste, lorsque la fortune lui manque ; son mérite n'étant fondé que sur lui-même, il est essentiel à sa personne. Ceux même qui jouissent de tous les plaisirs du corps, ceux dont la fortune permet d'accomplir tous les desirs, ne se croient pas heureux, s'ils ne peuvent se vantér d'aucune bonne qualité qui leur soit propre. Au contraire, une grande et belle action, une découverte, une œuvre digne de mémoire, charment leurs auteurs d'une si

vive satisfaction, qu'elles leur font oublier toutes les peines de la vie et leur paroissent bien au-dessus de la fortune. Plus les actes de la pensée et de l'ame sont parfaits, plus ils causent de plaisir. Il paroît ainsi quee la félicité, cherchée par tant de philosophes, ne consiste que dans la perfection de notre être moral et intellectuel. Notre ame tirant son origine du grand Etre, tout ce qui nous y rattache, nous agrandit, nous honore à nos regards, et nous porte vers le suprême bonheur.

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SECTION PREMIÈRE.

Des passions et des affections de l'ame.

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CHAPITRE PREMIER.

Des affections morales en général, et de leur

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nature.

Le plus noble don qui ait été fait à l'homme, après l'intelligence, est le sentiment intérieur, source des affections du cœur, principe de nos voluptés et aussi de nos misères. Nous avons été doués de passions comme de mobiles conservateurs: de l'amour pour nous unir au bien, de la haine pour rejeter le mal,. de la colère pour repousser l'injure, de la crainte pour échapper à ce qui blesse, de la joie pour ajouter à nos plaisirs, et de la tristesse pour nous détacher des faux biens. Toutes émanent de l'amour de soi; c'est pourquoi elles flattent et plaisent en fortifiant cet intérêt propre du cœur. Les ames foibles et mobiles qui s'aiment le plus, sont aussi celles

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