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près qu'il a dù changer; et le préambule char: mant qu'il y a joint, rapproché des autres détails de sa vie que nous connoissons, ne perz. met guere d'en douter.

La Fontaine fut le seul des hommes illus= tres de son temps qui n'eut aucune part aux bienfaits de Louis XIV. Ce fait, dont il est assez difficile de découvrir la cause, me pa= roit très remarquable; et je m'étonne que Voltaire, qui nous a appris sur le siecle de Louis XIV tant de choses aussi curieuses que peu connues, n'ait pas tenté de l'expliquer: per= sonne n'étoit plus capable que lui d'y réussir. Un grand amour de la vérité, de la sagacité dans le choix des moyens les plus propres à s'en assurer (1), du courage pour la dire avec cette modération qui donne tant de force à la raison; telles sont les qualités qu'on remarque dans tout ce qu'il a écrit sur l'histoire, et qu'on ne peut lui refuser sans injustice : c'en est assez pour croire que, s'il n'a rien dit des motifs de la conduite particuliere de Louis XIV envers La Fontaine, c'est qu'il n'a pu les pénétrer. Peutêtre certaines fables de cet auteur, où il s'est montré meilleur philosophe qu'habile courti= san, éclairciroient-elles cette difficulté. (2)

(1) Voyez le témoignage public que Robertson rend à sa véracité, dans son introduction à l'histoire de Charles-Quint, p. 477 et 478, édit. de Londres,

(2) L'histoire en donne la vraie solution, et dis

Quoi qu'il en soit, La Fontaine trouva d'illustres Mécenes dont les secours généreux le sauverent de l'indigence, et réparerent en quelque sorte l'oubli du souverain, ou plutôt l'effet des vengeances particulieres (1) de son

sipe même tous les doutes qui pourroient s'élever à cet égard dans l'esprit du lecteur: on en va juger par le détail suivant.

Tout le monde est instruit de la disgrace de Fouquet; mais on ne sait point assez que La Fontaine, sensible à ses malheurs, et sans craindre d'offenser les ennemis puissants de ce ministre, eut le courage de se montrer publiquement un de ses plus zélés défenseurs. Colbert, que la chute éclatante et terrible du rival auquel il succédoit auroit dû fléchir, puisqu'elle sax tisfaisoit en même temps sa haine et son ambition, eut la foiblesse et l'injustice de persécuter tous ceux que la reconnoissance ou l'amitié attachoit à Fouquet; et La Fontaine fut une des victimes de son res= sentiment. Colbert ne lui pardonna point son élégie sur la disgrace du surintendant, et lui fit expier pen= dant tout son ministere le crime d'être resté fidele à son bienfaiteur. Avec plus de ressort, plus de dignité dans l'ame, et plus de soin de sa propre gloire, Colbert auroit fait valoir auprès de Louis XIV la con= duite également noble et ferme de La Fontaine, et auroit sollicité en sa faveur des récompenses, qui, lorsqu'elles sont aussi méritées, honorent plus encore celui qui les accorde, que celui qui les reçoit.

«

(1) Voyez la note précédente.

« A la vérité, dit l'historien de l'Académie, ses poésies lui eurent bientôt acquis de généreux pro«tecteurs. Il reçut en divers temps diverses gratifi=

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ministre. Sans ces ressources, ce grand homme auroit été forcé d'abandonner ses parents, ses amis, tous les objets les plus chers à son cœur, de chercher sa subsistance de contrée en contrée, et, par une fuite involontaire, de couvrir de honte aux yeux des étrangers son ingrate pa= trie. Parmi ceux qui s'empresserent de pour= voir à ses besoins, on lit avec un plaisir mêlé d'attendrissement les noms du duc de Bour= gogne, de la Sabliere, et d'Hervart; ils rap= pellent des actions qui font honneur à l'hu= manité (1).

La Fontaine demeura chez madame de la Sabliere près de vingt ans, pendant lesquels il fut délivré de tout soin domestique: ce qui convenoit également à sa paresse et à son in= capacité absolue pour les affaires (2). C'est

«cations de M. Fouquet, de MM. de Vendôme, et « de M. le prince de Conti. Mais tout cela venoit de « loin à loin; et il auroit eu besoin de bien d'autres « fonds plus sûrs et plus abondants, s'il avoit long« temps continué à être son économe. »>

(1) « Je ne dois pas oublier que M. le duc de Bour« gogne, le jour même qu'il apprit que La Fontaine << avoit reçu le viatique, lui envoya une bourse de cinquante louis. Il lui faisoit souvent de semblables gratifications; sans quoi, apparemment, La Fon= << taine se fût transplanté en Angleterre, etc. » (Voy. l'hist. de l'Acad. franç.)

«

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(2) Voici ce qu'il écrivoit à Racine en 1686: « On • m'a dit que vous preniez mon silence en fort mau

sans doute cette indifférence pour les biens de la fortune, cet amour du repos et de la liberté, cette disposition habituelle à vivre d'une vie incertaine et précaire, sans s'occuper de l'ave nir, sans prévoir même les besoins du lende= main, que madame de la Sabliere vouloit ex= primer, lorsqu'un jour, après avoir congédié tous ses domestiques à-la-fois, elle disoit avec autant de grace que de finesse: Je n'ai gardé auprès de moi que mes trois animaux, mon chien, mon chat, et La Fontaine.

A la mort de cette femme, dont il fait l'éloge(1) le plus flatteur, il se retira chez M. d'Her

mes

« vaise part, d'autant plus qu'on vous avoit assuré « que je travaillois sans cesse depuis que je suis à Château-Thierry, et qu'au lieu de m'appliquer à m << affaires je n'avois que des vers en tête. Il n'y a de << tout cela que la moitié de vrai; mes affaires m'oc= «< cupent autant qu'elles en sont dignes, c'est-à-dire nullement; mais le loisir qu'elles me laissent, ce « n'est pas la poésie, c'est la paresse qui l'emporte. » Ce fragment a toute la grace, le naturel, et cet heureux abandon des lettres de Voltaire.

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(1) Apres avoir loué

...

Ses traits, son souris, ses appas,
Son art de plaire et de n'y penser pas,

il avoue qu'il ne peut peindre qu'imparfaitement la beauté de son ame;

Car ce cœur vif et tendre infiniment

Pour ses amis, et non point autrement;

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vart son ami; et ce fut à cette occasion qu'il dit ce mot si touchant, si naïf, et qu'on peut appeler un mot de caractere. Quelques jours après avoir perdu madame de la Sabliere, il rencontre M. d'Hervart: « Mon cher La Fon= taine, lui dit cet homme estimable, j'ai su le <«< malheur qui vous est arrivé. Vous étiez logé « chez madame de la Sabliere; elle n'est plus: « j'allois vous proposer de venir loger chez « moi ». = J'y allois, répondit La Fontaine.

«

Un autre mot plus connu peut-être, mais qui ne mérite pas moins d'être rapporté, c'est celui de Moliere. Il soupoit avec La Fontaine, Boileau, Racine, et quelques amis communs: La Fontaine, plus distrait encore qu'à l'ordinaire, paroissoit occupé de profondes méditations; Racine et Boileau, voulant le tirer de sa rêverie, le railloient très durement. Moliere trouva qu'ils passoient les bornes de la plaisanterie; alors, prenant à part un des convives, il lui dit avec vivacité: Nos beaux esprits ont beau se trémousser, ils n'effaceront pas le bon homme.

La Fontaine consacra les dernieres années de sa vie à la piété, à la pénitence la plus austere. Il mit en vers les hymnes de l'église :

Car cet esprit qui, né du firmament,
A beauté d'homme avec grace de femme,
Ne se peut pas, comme on veut, exprimer.

Liv. XII, fab. 15.

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