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BELGE,

RÉDIGÉ

PAR UNE SOCIÉTÉ DE GENS DE LETTRES.

Aimons notre pays, la liberté, la gloire:

TOME TROISIÈME.

BRUXELLES,

De l'Imprimerie de WEISSENBRUCH, Imprimeur du Roi
et de la Ville, rue du Musée, n°, 1985,

1818,

A

KE 30932 (3)

HARVARD UN VERSITY LRAKY

Nov. 1954

Peabody Fd

MERCURE BELGE.

POËSIE.

EPITRE A M. L*****,

D'UNE libre et douce existence
Je goûtais le rare plaisir ;

Les beaux vers, la noble éloquence
Charmaient mon paisible loisir,
Et je rêvais fort

peu finance;

C'est un grand tort, je le sais bien:
A la cour, ainsi qu'à la ville,
L'éloquence n'est bonne à rien;
Un poëme est chose inutile.
Nous n'apprenons pas dans Virgile
Le grand art d'amasser du bien;
Mais chacun a sa fantaisie.
Fidèle à ma vieille manie,
Du chantre immortel de Didon
J'adorais le brillant génie ;
Je pensais avec Cicéron ;
Je lisais Montaigne et Charron
Que dans la poussière on oublie
J'écoutais ce rêveur Platon
Et l'antique philosophie

Qui n'est pas toujours la raison,
Mais qui pourtant, quoiqu'on en die,
Dans son vieux fatras a du bon.
Je relisais votre épître jolie;

Déjà ma Muse en léthargie
S'éveillait à vos doux propos,
Peu faite à tant de courtoisie,
Quand la mal-adroite Atropos
A d'un revers de ses ciseaux
Effleuré le fil de ma vie.

A ce signal, j'ai vu s'enfuir
Boileau, Racine, La Fontaine,
Mon cher Molière et le plaisir,
Exilés par mon Avicène.

Dans ma retraite il n'est resté

Que la douleur de l'insomnie,
Et l'insipide oisiveté,

Dont le bâillement répété

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Fait passer sa langueur dans mon ame assoupie.
Si je fais en tremblant un pas vers l'Hélicon,
Je tombe tout-à-coup sans force et sans haleine;
Avec plus d'un rimeur je reste dans la plaine,
Et la fièvre paraît quand j'invoque Apollon.
Maintenant que la nuit, de son trône d'ébène,
Sur la moitié du monde étend son voile gris,
Un feu clair brille encor dans l'asile où j'écris ;
J'amuse mes regards de cette ombre incertaine
Qui se joue et voltige autour de mon lambris,
Ou je bois tristement la liqueur souveraine
Qui rafraîchit mon sang et calme mes esprits,
Et qui n'est point eau d'Hyppocrène.

Mais quelle tempête soudaine

A banni le silence, et fait trembler le lit
Où ma plume, rebelle au doigt qui l'asservit,
Sur un papier mobile à regret se promène ?
Dans les flancs prolongés d'un étroit corridor
J'entends gémir ma cruelle ennemie ;
La bise à mes tourmens vient ajouter encor.
Des cavernes de la Scythie

Les rapides enfans du Nord
Soufflent la froidure et la mort
Au sein de Cybèle engourdie.
Je les entends dans les vallons
Déployer leur fureur sauvage;
J'entends rouler du haut des monts
L'arbre dépouillé de feuillage:
L'eau condensée en festons inégaux

S'attache aux bords de mon toft solitaire,

Et réfléchit dans ses cristaux

De Phœbé la pâle lumière.

Dans mon affreuse anxiété,

O mon ami! Je cours bien vîte
Vers ma suprême Déité.

Au pied de ses autels l'effroi me précipite.
Je suis sûr d'être maltraité,

Mais il n'importe, je vous quitte;
Vous permettrez que je m'acquitte
D'un Oremus à la Santé.

O fille du Dieu d'Epidaure!

Toi que l'homme intrépide et faible tour-à-tour,
Ou néglige en aveugle, ou lâchement adore,
Toi qui m'as fait sentir la douceur d'un beau jour,
Toi que chantaient Ovide et l'amant de Lesbie,

Lorsqu'ils croyoient chanter l'Amour,

Mère des vrais plaisirs, fraîche et brillante Hygie,
Viens, conduis sur tes pas la gaîté, le bonheur;
Viens, ô Déesse rebondie,

Étends sur mon front sans couleur

Ce vermillon qui rit sur ta joue arrondie!
Je n'ai point, tu le sais, mérité ta rigueur;

L'aliment le plus simple est pour moi le meilleur;
Des plantes qu'en nos champs la saison voit éclorre,
Du légume grossier proscrit par Pythagore,
Je goûte sans danger l'innocente saveur ;
J'ai banni ces parfums qu'un luxe empoisonneur
Va chercher à grands frais aux portes de l'aurore.

Un seul moment, de grâce, ô chère Déité !
Quitte ces longs dortoirs, séjour de la paresse,
Et ces boudoirs où la mollesse

Appelle en soupirant la tendre volupté !
M'aurais-tu délaissé pour suivre la richesse?
Que servent tes faveurs à des mortels ingrats
Dont l'appétit gourmand te fait frémir sans cesse ?
Que leur sort, ah! crois-moi, ne t'inquiète pas :

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