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« de la nature par laquelle le corps transforme en sa propre substance « les aliments qu'il reçoit. Le Jugement Dernier est une combinaison harmonieuse de la science de composition de Michel Ange et du « coloris vénitien; l'Eve, première Pandore donne en même temps « les deux sensations d'un chef-d'œuvre du Titien et d'un chef-d'œu«vre de Léonard de Vinci. En contemplant ce tableau, on ne peut << chasser de son souvenir ces splendeurs de la chair dont les magnifiques nudités du Titien ont si souvent étonné nos yeux.

«Elle vient incontestablement du Titien, cette pose si bien choisie « pour faire ressortir les lignes du corps; ils en viennent aussi, ces « plis gracieux que forment les chairs par la manière dont le buste se << redresse. Encore moins peut-on s'empêcher de se rappeler la fasci« nation magnétique et la profondeur psychologique des œuvres de << Léonard de Vinci. L'un et l'autre de ces deux grands artistes sont «<là reconnaissables, et cependant ce n'est ni l'un ni l'autre... Tout << en les imitant, le peintre est resté original, absolument de la « même manière que Racine en transcrivant Euripide et Molière en << transcrivant l'Aulularia et l'Amphytrion de Plante. Le tableau « n'a d'exotique que la connaissance des secrets et des procédés de « l'art. >

Souvent salué du titre de Fondateur de l'Ecole française, Cousin ne fut que le plus puissant parmi les initiateurs d'un art nouveau. En réalité, l'Ecole française se fonda au XIIe siècle, elle n'attendit pas la Renaissance italienne pour doter nos grandes cathédrales d'une statuaire, également remarquable par la liberté de l'exécution, la profondeur du sentiment et la perfection du travail. L'Angleterre, la Suède et l'Allemagne à l'envi nous demandaient des architectes; et le pape Eugène IV appelait de Tours à Rome Jean Fouquet pour exécuter son portrait, art naissant encore à son époque, même en Italie, alors que nos peintres verriers allaient non y porter, mais y élever l'art du vitrail à une hauteur que les Italiens n'avaient pas connue et qu'un français, Jean de Bologne, prenait rang parmi les plus grands sculpteurs de l'Italie. La suprématie italienne sur le monde de l'art date donc seulement de Léonard de Vinci, de Raphaël et de Michel-Ange.

Mais une loi inexorable veut que toutes les écoles de peinture et de sculpture débutent par la naïveté et finissent par le maniérisme. L'art italien en était là, il touchait à son déclin lorsque François Ier chargea le Rosso d'abord, puis le Primatice d'initier l'art français à la grande peinture. Le Rosso apporta le goût des poses apprêtées et des découpures anatomiques, et si le Primatice n'était pas autant porté vers l'énergie, le style capricieux et d'une élégance affadie, qu'il imposa à l'école de

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Fontainebleau, l'emporta, grâce à l'engoument général, sur l'esprit de naturel et de sincérité dont nos vieilles écoles provinciales s'inspiraient. Jean Cousin personnifia, malgré ses concessions à la mode du jour, la lutte du grand et du vrai contre la décadence. Après lui tout s'affaissa, tout périt, jusqu'au jour où le Poussin et Lesueur dégagèrent l'art du crépuscule où l'avait plongé l'invasion italienne.

Le Rosso trônait encore à Fontainebleau, imposant à ses élèves sa manière violente et désordonnée, lorsque Jean Cousin peignait à Sens la Pandore. Mais un peintre de cette force, de ce tempéramment, n'a pu se borner à ce tableau et à celui du Jugement. On ne fait pas de tels chefs-d'œuvre sans être non-seulement un grand peintre, mais un peintre habituel, exercé et fécond. Où sont les peintures qui suivirent ou précédèrent ces deux là, qu'une longue suite d'années sépare visiblement ?

« Jean Cousin, dit Taveau, a faict de beaux tableaux de peinture très ingénieuse et qui sont admirés par tous les << ouvriers experts en cet art... D

Félibien est encore plus précis : « Ayant épousé, dit-il, la «fille du sieur Rousseau, il l'amena à Paris; il continua les « ouvrages qu'il avait commencez et en fit quantitez d'autres. Un des plus beaux que l'on voie de lui est un tableau du Jugement universel... » De son côté de Piles, historien d'art qui devait ainsi connaître le pays natal du peintre, car il était de Clamecy, s'exprime ainsi : « On voit dans la ville de Sens quelques tableaux de sa façon et plusieurs portraits. »> (De Piles, Vie des Peintres, Paris, 1699).

Encore une fois, que sont devenus ces tableaux? Si préoccupé qu'il fut de peindre des verrières, d'écrire des préceptes ou de dessiner, Cousin, au cours de sa longue carrière dut pratiquer également et assidûment la peinture à l'huile. M. Arsène Houssaye nous a montré une Diane de Poitiers, grandeur nature, qui, par l'arrangement des personnages, la sévérité élégante des lignes, la touche un peu sèche, mais posée franchement, pourrait bien justifier l'attribution qui lui est donnée. Un autre grand tableau, Les noces de Cana, fut envoyé au musée de Rennes en 1804, par l'Etat, avec l'indication attribué à Jean Cousin et comme provenant de l'église Saint-Gervais à Paris, où aucun ouvrage ne le mentionne. Le docteur Aussant, amateur distingué et directeur du musée de Rennes, voulut bien, il y a dix ans, nous en envoyer la description que voici :

Le caractère n'en est pas le même dans toutes ses parties; JésusChrist et la Vierge, qui occupent le premier plan, font penser à Léo<nard de Vinci, alors que d'autres figures rappellent le mode vénitien, comme si l'artiste, fort habile d'ailleurs. cherchait encore sans avoir « de manière arrêtée, comme on le remarque chez quelques peintres « de l'école de Fontainebleau,.. Les figures sont nombreuses et l'ar<chitecture y joue un rôle si important, elle porte un tel cachet de ◄ précision, que le peintre a dû être en même temps architecte'. ›

La Pandore, elle aussi, fait songer au Titien et à Léonard, comme le Jugement dernier du Louvre aux grands maitres florentins. Le tableau de Rennes, tel que le décrit M. Aussat, serait-il contemporain de la Pandore? Les régistres du Louvre l'indiquent à tort comme provenant de l'église Saint-Gervais à Paris. Il présente donc, comme l'a dit M. Clément de Ris, deux énigmes à déchiffrer: De qui est-il? D'où vient-il?

Il ne vient pas de Vauluisant, comme on a pu le croire. Une tradition très-accréditée veut que le maître-autel de cette abbatiale soit échu à l'église de Courgenay, sa voisine. On le démonta il y a une dizaine d'années, car il masquait les fenêtres de l'abside et avec ses parties principales l'on établit un banc d'œuvre.

« Je crois pouvoir affirmer que ce n'était pas un chef-d'œuvre, nous écrit M. Boudard, curé de Courgenay, et qui nous paraît homme de goût. On peut encore en juger le style par les boiseries du banc d'œuvre et elles n'ont rien de la Renaissance. Je le croirais bien plutôt, avec Victor Petit, du siècle dernier. La toile qui l'ornait se trouve roulée dans mon grenier. Elle mesure 2 m. 85 sur 1 m. 85 de large et représente un grand Christ en pied ... ›

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D'où il suit que le maître-autel de Vauluisant, dont l'église de Courgenay hérita, n'est pas celui que deux grands artistes troyens, Blottin et Millon, sculptèrent et dont Jean Cousin peignit le tableau. Fut-il détruit au xvII° siècle comme entå

1. M. Aussant, mort en 1873, a pour successeur M. G. Jan, qui vient de nous écrire ceci : « Je crois faiblement à l'authenticité de cette toile, car elle « a des parties faibles et ne ressemble ni comme couleur ni comme dessin au <«<< tableau du Louvre. » Mais la Pandore n'y ressemble pas davantage et n'en est pas moins authentique.

2. Deux lignes encore de la lettre de M. Boudard, à l'intention des curieux : « Quant au rétable de la chapelle de la Vierge, celui-là est << vraiment une œuvre d'art et doit appartenir à la belle époque de Vaului«sant. Un tableau a forme cintrée ayant 2 m. 39 sur 1 m, 34, en occupe « le milieu et représente l'Annonciation. La peinture, admirée des con< naisseurs, ne serait peut-être pas indigne de Jean Cousin. » C'est un point à éclaircin.

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