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perament fervile. L'Enfant qui y eft expofé, fe foûmet & paroit obeiflant lors qu'il eft frappé de la crainte de la verge; mais lors que cette crainte eft éloignée de fon, efprit, & que n'étant vû de perfonne, il peut fe promettre l'impunité, alors il lâche la bride à fes paffions, & s'abandonne entiérement à fon inclination naturelle, qui ne change point malgré toute la rigueur dont on fe fert pour la détruire, mais prend au contraire de nouvelles forces, & après avoir été ainfi reprimée, éclate ordinairement avec plus de violence.

§. LII. 4. Mais fi la févérité, portée au Quatrième plus haut point, prévaut fur le naturel d'un raison, Enfant,& le guerit de fes déreglemens préfens, c'eft fouvent en caufant un mal bien plus grand & plus dangereux, qui eft de lui abrutir l'efprit; de forte que par là d'un jeune étourdi vous en faites un fot & un lourdaut, qui avec fa moderation acquife par art, plairra tout au plus à quelques fottes gens, qui loüent les Enfans pefans & ftupides, parce qu'ils ne font point de bruit & qu'ils ne leur donnent aucune peine: Mais à la fin, il deviendra, felon toutes les apparences, incommode à fes Amis, comme il fera toute fa vie inutile à foi-même, & aux autres.

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Les

farce. Je n'ai vû autre effet aux verges, fi non de rendre les ames plus lafches ou plus malicieufement opiniaftres. Effais, Liv. II. ch. VIIi.

S'il faut porter les Enfans à

par des

Les coups, & toutes les autres fortes de châtimens ferviles & corporels, (1) ne doivent donc point être employez à l'éducation de ceux que nous voulons rendre fages, honnêtes, & vertueux par inclination. Il ne faut s'en fervir & feulement fort rarement que dans des occafions importantes, & à la derniére extrémité.

IV. Des Recompenfes.

'UN autre côté, il faut éviter

S. LIII. avec autant de foin, de ca-
D'UN

leur devoir joler les Enfans, en leur donnant, fous l'idée de recompenfe, certaines chofes qui recompen leur agréent, pour les engager à s'acquiter de leur devoir. En effet celui qui donne à fon Enfant des Pommes, des dragées, ou quelqu'autre chofe de cette nature qu'il aime beaucoup, afin de l'obliger à apprendre fa leçon, ne fait qu'autorifer par là l'amour qu'il a pour le plaifir, & entretenir en lui cette dangereuse inclination, qu'il devroit tàcher par toute forte de moyens de mortifier, & d'étouffer entierement. C'est en vain que

vous

avoit

(1) Montagne n'avoit qu'une fille qui, dit-il, atteint fix ans & plus, fans qu'on eut employé à sa conduite, & pour le chatiement de fes fautes pueriles autre chofe que paroles & bien douces. J'eusse été, ajoûte-t-il, beaucoup plus religieux vers des males, moins nez à fervir, & de condition plus libre : J'EUSSE AIME A LEUR GROSSIR LE COEUR D'INGENUITE ET DE FRANCHISE. Ef fas, Liv. II. ch. VIII.

vous efperez obliger vôtre Enfant à vaincre cette paffion, pendant que vous vous engagez à le dédommager d'un côté de la contrainte que vous impofez à fon inclination, en lui propofant de l'autre, de nouveaux objets, capables de la fatisfaire, Pour faire qu'un Enfant foit un jour fage, vertueux, & homme de bien, il faut lui apprendre à dompter fes paffions, & à reprimer l'inclination qu'il a pour les richeffes, pour la pa-. rure, ou pour la bonne chere, &c. toutes les fois que fa Raifon, & fon devoir l'exigent, Mais fi vous le portez à faire une chofe qui foit raifonnable en elle-même, en lui préfen tant de l'argent; fi vous le recompenfez de la peine qu'il a d'apprendre fa leçon, par le plaifir de manger quelque bon morceau ; fi vous lui promettez une cravate à dentelle, ou un bel habit neuf pourvû qu'il s'acquite de quelques-uns de fes petits devoirs, n'eftil pas vifible qu'en propofant ces chofes en forme de recompenfe, vous les faites paffer pour des chofes bonnes en elles-mêmes, que vôtre Enfant doit tâcher d'obtenir ; & qu'ainfi vous l'excitez à les defirer avec d'autant plus d'ardeur, & l'accoûtumez à mettre fon bonheur dans leur jouiffance? C'est ainsi que pour animer les Enfans à apprendre leur Grammaire, à danfer, ou à faire quelqu'autre chose de cette nature, peu capable de contribuer au bonheur ou à la commodité de leur vie, on employe mal à propos les re

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com

compenfes & les châtimens, & qu'on dé-truit en eux par ce moyen tout principe de vertu ; qu'on renverfe l'ordre de leur Education, & qu'on leur infpire le luxe, Forgueuil, ou Pavarice, &c. Car par cette me thode les Parens entretenant les Enfans dans de mauvaises inclinations qu'ils devroient reprimer & éteindre entierement, ils jettent dans leur ame la femence de tous ces vices, qu'on ne peut éviter qu'en reprimant fes propres defirs, & en s'accoûtumant de bonne heure à fe foûmettre à la Raifon.

§. LIV. Je ne dis ne dis pas ceci pour infinuer, qu'on devroit priver les Enfans des commoditez & des plaifirs de la vie, qui ne font pas contraires à leur fanté, ou à la vertu. Bien loin de là; je fuis d'avis qu'on leur rende la vie auffi agréable qu'il eft poffible, qu'on leur permette de goûter pleinement tous les innocens plaifirs pour lefquels ils fentent de P'inclination; pourvû qu'on le faffe avec cette précaution, de ne leur accorder ces plaifirs que comme des fuites de l'approbation qu'ils ont acquife par leur bonne conduite dans l'efprit de leurs Parens, & de leurs Gouverneurs, & jamais comme des recompenfes de ce qu'ils fe font acquitez de quelque devoir particulier, pour lequel ils ont de Paverfion, ou qu'ils n'auroient pas voulu faire fans cela.

. LV. Mais, direz-vous, fi l'on n'a recours ni à la verge, ni à des petites recompen

penfes, pour porter les Enfans à leur de voir, comment pourra-t-on les gouverner? Oté l'efperance & la crainte, il n'y a plus de difcipline. J'avoue que la crainte du mal, & l'efperance du bien, les recompenfes & les punitions font les feuls motifs d'une Créature raisonnable, que ce font là les deux grands refforts de toutes les actions des hommes, & qu'ainfi l'on doit s'en fervir à l'égard des Enfans. Mais j'avertirai ici leurs Parens & leurs Gouverneurs de fe reffouvenir toûjours, que les Enfans doivent être traitez comme des Créatures raisonnables.

fes & de

Enfans.

§. LVI. Il faut, je l'avoûë, propofer aux De quelles Enfans des recompenfes, & leur infliger des récompenpeines, fi l'on veut gagner quelque chofe quelles fur leur Efprit. Mais en quoi on fe trompe, faut fe ferpeines il à mon avis, c'eft dans le choix qu'on fait vir à l'égénéralement des peines & des recompen- gard des fes. On a recours pour cela à des châtimens & à des plaifirs corporels: mais lors que les hommes les employent comme des peines & des recompenfes pour foûmettre leurs Enfans à leur volonté, ce font, à mon avis, des moyens capables de produire de fort méchans effets. Car alors ils ne fervent qu'à augmenter & à fortifier en eux l'inclination naturelle qu'ils ont pour les plaifirs du corps, comme nous l'avons déja infinué, inclination que nous fommes précisément obligez de vaincre & d'éteindre entierement. Quel principe de vertu infpirerez-vous à un Enfant, fi E 5

Vous

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