Page images
PDF
EPUB
[ocr errors]

eux (1) lorfqu'ils font devenus grands. La liberté & l'indulgence ne fauroient faire du bien à de jeunes Enfans: leur peu de juge ment eft caufe qu'ils ont befoin d'être fous la difcipline & comme tenus en bride. Aucontraire vous ne fauriez plus mal faire que de les traiter d'une maniére févére & imperieufe lorfque devenus hommes ils ont leur propre Raifon pour leur fervir de guide; à moins que vous ne vouliez obliger vós Enfans à fe dégoûter de vous lorfqu'ils feront grands, & à dire fecretement en eux-mêmes, Quand mourrez-vous donc, moz Pére?..)

5. XLII. Je pense que tout le monde trouvera raisonnable, que les Enfans étant petits, confiderent leurs Parens, comme leurs Seigneurs, & leurs Maîtres abfolus, & qu'en cette qualité ils ayent une crainte refpectueuse pour eux; mais qu'étant parvenus à un âge plus mûr, ils les regardent comme leurs

(1) Montagne a frondé vivement cette mauvaife coûtume. Une vraye affection & bien reglée, dit-il, devroit naiftre & s'augmenter avec la connoiffance que les enfans nous donnent d'eux: & lors, s'ils le valent la propene fron naturelle marchant quant & quant la Raifon, les che rir d'une amitié vrayement paternelle : Il en va fort fouvent au contraire, & le plus communément nous nous, fentons plus efmeus des trepignemens, jeux & niaiseries pueriles de nos Enfans, que nous ne faifons après de leurs actions toutes formées comme fi nous les avions aimez pour noftre paffe-temps, ainfi que des guenons, non ainfi que des hommes. Je tire ces paroles d'un Chapitre intitulé de l'Affection des Péres aux Enfans où vous trouverez plufieurs autres bonnes reflexions fur ce fujet. Effais, Liv. II, ch. VIII.

>

leurs meilleurs amis, & les aiment & les ref pectent fous cette idée. Or pour faire naître ces fentimens dans le cœur des Enfans, il n' a point d'autre voye, fi je ne me trompe que celle que je viens d'indiquer. Nous devons confiderer que nos Enfans devenus grands font entierement semblables à nous qu'ils ont les mêmes paffions, & les mêmes defirs. Nous fommes bien aifes de paffer pour des Créatures raifonnables, & d'être les Maîtres de nôtre conduite: nous n'aimons pas à être obligez d'effuyer à toute heure des cenfures & des mépris: nous ne pouvons fouffrir d'être expofez continuellement à la mauvaise humeur de ceux que nous fréquentons, ni qu'ils prétendent nous tenir dans un grand refpect. Un homme fait qui fe voit traité de cette maniére, cherche auffi-tôt une autre compagnie, fait de nouveaux amis, & fe lie à une autre focieté, où il puiffe jouir de quelque douceur.

Si donc on a foin de tenir d'abord de court

du

les Enfans, ils feront aifez à gouverner
rant leur bas âge, & fe foumettront fans
murmure à ce traitement, n'en connoiffant
point d'autre : & lorfque dans la fuite ils
commenceront à faire usage de leur Raison,
fi le Pére relâche un peu de fa févérité, à
mefure qu'ils s'en rendront dignes ; & qu'il
fe communique plus familierement à eux,
la contrainte où il les aura tenus auparavant,
ne fervira qu'à augmenter leur amour pour

lui; parce qu'ils reconnoîtront alors qu'on ne les traitoit ainfi que par amitié, & dans la vûe de les rendre dignes de l'affection de leurs Parens, & de l'eftime du refte des hommes.

pren

§. XLIII. En voilà affez pour ce qui regarde en général la maniére dont vous devez établir vôtre autorité fur vos Enfans. C'eft en leur infpirant de la crainte & du refpect que vous devez commencer à dre de l'empire fur leurs Efprits: & lorfqu'ils feront parvenus à un âge plus mûr, il faut que l'affection & l'amitié qu'ils auront pour vous-même, vous maintienne dans ce prémier droit. Car enfin il doit venir un temps auquel il faut que les Enfans foient à l'abri des châtimens & des reprimandes: & alors, fi l'affection qu'ils ont pour vous, ne les rend pas obeïffans & fermes dans leur devoir; fi l'amour de la Vertu & de l'Honneur ne les engage pas à fe bien conduire, par quel nouveau motif, je vous prie, pourriez-vous les y obliger? La crainte d'avoir une moindre portion de vos biens s'ils viennent à vous déplairre, (1) pourra bien les porter à fe con

train

(1) Un Pere, dit à cette occafion Montagne, eft bien miferable, qui ne tient l'affection de fes Enfans que par le befoin qu'ils ont de fon fecours, fi cela fe doit nommer affection: il faut se rendre refpectable par sa Vertu & par fa fuffifance, & aimable par fa bonté & douceur de fes. Il faut avoir réglé l'ame des Enfans à leur devoir par raifon, non par néceffité & par le befoin, non par rudeffe & par force:

mœurs.

* & errat longè, mea quidem fententia,

*Ter. A

Qui delph.

[ocr errors]

traindre pour ne rien perdre de ce qu'ils ef
pérent de vous: mais en particulier ils n'en
feront ni moins méchans ni moins déreglez;
& d'ailleurs, cette contrainte ne durera pas
toûjours. Il faut tôt ou tard que les hom-
mes foient abandonnez à eux-mêmes & à
leur propre conduite. Celui qui eft honnê
te-homme, & vertueux, il faut l'avoir ren-
du tel réellement & dans l'interieur; c'eft-
pourquoi l'on doit avoir foin de lui inspirer
de bonne heure, par le moyen de l'éduca-
tion, ces difpofitions à la vertu qui doivent
avoir une fi grande influence fur tout le
refte de fa vie; de forte que ce foient au-
tant d'habitudes, transformées, pour ainfi
dire, en fa propre nature, & non pas de
fauffes apparences, & des dehors plâtrez
que la crainte lui fait revêtir, dans la feule
vûe de ne pas irriter un Pére qui pourroit
de desheriter.

S'il faut S. XLIV.

châtier les Enfans.

III. Des Chatimens.

907

§. XLIV. A PRE's avoir dit en général

comment il faut fe condui
Til !!
re pour bien élever les Enfans, il eft à pro-
pos d'examiner préfentement, un peu plus
en détail, les moyens dont on doit fe fervir

pour

Qui imperium credat effe gravius aut ftabilius
Vi quod fit, quàm illud quod amicitiâ adjungitur.
Ni Ellais, Liv. 11. ch. VIH..

[ocr errors]

pour cela. J'ai parlé fi fortement du foin qu'il faut prendre de tenir de court les Enfans, qu'on s'imaginera peut-être par avance, que je n'ai pas affez confideré les égards qu'on doit avoir pour la tendreffe de leur âge, & pour la foibleffe de leur complexion. Mais ce foupçon fe diffipera bientôt fi l'on fait reflexion fur ce que je vais dire. Bien loin de confeiller qu'on traite durement les Enfans, je fuis fort porté à croire qu'en fait d'éducation, les châtimens rudes ne fauroient produire que fort peu de bien, & qu'ils caufent, au contraire, beaucoup de mal; & je fuis perfuadé qu'à tout prendre, on trouvera que les Enfans, qui ont été fort châtiez, deviennent rarement gens de bien. Tout ce que je dirai pour le prefent fur ce fujet, c'eft que, quelque févérité qu'on foit obligé d'employer il y faut avoir recours avec d'autant moins de peine que les Enfans font plus jeunes; & que fi après l'avoir exercée avec toutes les précautions requifes, elle produit for effet, il faut la moderer, & prendre infenfiblement des maniéres plus dou

-ces.

6. XLV. Si les Enfans font accoûtumez 11 faut les à la foûmiffion & à l'obeïffance par la con- tenir dans duite ferme de leurs Parens, avant qu'ils le refpect. puiffent fe reffouvenir du temps auquel on leur a impofé cette néceffité, cet état leur paroitra naturel; &, comme s'il l'étoit effectivement, ils ne s'aviferont jamais de s'op

po

st

« PreviousContinue »