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eux avec quelque connoiffance des Lieux & des Peuples qu'ils ont vûs, ils n'en rapportent fouvent autre chofe que l'admiration des plus mauvaises & des plus frivoles Modes qu'ils aient rencontré dans les Païs Etrangers, confervant le goût & le fouvenir des objets qui ont d'abord captivé leur liberté, plûtôt que de ce qui pourroit les rendre meilleurs & plus fages après leur retour dans leur Patrie. Et le moyen, je vous prie, que cela arrive autrement, lors qu'ils voyagent à l'âge qu'ils ont accoûtumé de faire, fous la conduite d'un Gouverneur qui pourvoit à leurs néceffitez, & qui fait des obfervations pour eux? Avec un tel guide, fe croyant difpenfez d'agir par eux-mêmes, ou de répondre de leurs déportemens, ils s'avifent rarement de s'embarraffer d'aucune recherche, ou de faire des remarques qui foient de quelque utilité. Leurs penfées font toutes tournées du côté du Jeu & des Plaifirs; & ils prennent pour un affront d'en être blâmez. Ils ne s'appliquent prefque jamais à examiner les deffeins des perfonnes qu'ils voyent; à observer leurs démarches, leurs artifices, leurs humeurs & leurs inclinations, afin de pouvoir regler fur cet examen la maniére dont ils doivent fe comporter avec eux. En ce cas-là celui qui voyage avec eux eft leur grande reffource pour les tirer d'affaire lors qu'ils fe font jettez eux-mêmes dans quel

que

que embarras, & pour répondre pour eux, quelque faux pas qu'ils faffent.

§. CCXXI. J'avoue que la connoiffance des hommes eft l'effet d'une fi grande habileté, qu'un jeune-homme ne fauroit y être confommé tout d'un coup: mais cependant les voyages qu'il fait dans les Païs Etrangers ne lui font pas fort utiles, s'ils ne fervent un peu à lui ouvrir les yeux, à le rendre circonfpect & retenu, à l'accoûtumer à pénétrer au delà de l'écorce & des fimples apparences; & enfin à conferver, à la faveur d'une conduite civile & obligeante, une honnête liberté avec les Etrangers & avec toute forte de perfonnes, fans choquer en aucune maniére la bonne opinion qu'ils ont d'euxmêmes. Un jeune homme qui commence à voyager dans un âge raisonnable, & dans le deffein de profiter, peut s'entretenir & faire connoiffance avec les perfonnes de qualité qui font dans les Lieux où il va. C'est là fans contredit l'une des chofes les plus avantageufes à un Gentilhomme qui voyage dans des Pais Etrangers; mais je vous prie, parmi nos jeunes gens qui voyagent avec des Gouverneurs, en voit-on un entre cent qui dans les Païs Etrangers rende vifite à des perfonnes de qualité? Moins encore arrivet-il qu'ils faffent connoiffance avec des gens, de qui ils pourroient apprendre en quoi confifte la politeffe dans ces Païs-là, & ce qui s'y trouve de plus remarquable : quoi qu'a

vec de telles perfonnes on puiffe plus apprendre en un jour qu'en courant un an çà & là d'hôtellerie en hôtellerie, comme font la plûpart de nos jeunes Voyageurs. Et dans le fond ce n'eft pas là une chofe fort furprenante: car des gens d'efprit & de merite ne font pas fort portez à recevoir dans leur familiarité de jeunes Enfans qui ont encore befoin d'être fous la conduite d'un Gouverneur. Mais du refte un jeune Gentilhomme étranger, qui a l'air & les maniéres d'un homme fait, & qui témoigne avoir envie de s'inf truire des coûtumes, des mœurs, des Loix & du gouvernement des Pais où il voyage, trouvera par tout un favorable accueuil auprès des perfonnes les plus diftinguées par leur honnêteté & par leur favoir, qui font toûjours prêtes à bien recevoir un Etranger honnête homme & curieux, à l'obliger, & à le faire valoir dans les occafions.

§. CCXXII. Quelque certain que foit tout ce que je viens de dire, je doute fort qu'il foit capable de faire changer la coûtume qu'on a pris de faire voyager les jeunes gens dans le temps de leur vie le moins propre à cela, pour des raifons qui ne font affurément pas fondées fur leur avancement. Il ne faut pas, dit-on, expofer un jeune Enfant à voyager dans des Païs Etrangers à l'âge de neuf ou dix ans, à caufe des accidens qui pourroient lui arriver dans un âge fi tendre & fi délicat; quoi qu'il coure alors dix fois moins

de

de rifque, qu'à l'âge de dix-fept, ou de dix-huit ans. Il ne faut pas non plus, à ce qu'on croit, attendre à envoyer un jeune homme hors de chez lui, qu'il ait paffé cet âge retif & dangereux, parce qu'il doit être de retour dans la Patrie à vingt un an, pour fe marier. Son Pére a befoin d'argent ; & fa Mere ne fauroit fe paffer plus long-temps d'une nouvelle troupe de petits Enfans avec qui elle puiffe badiner: ainfi, nôtre jeune homme eft obligé, quoi qu'il en puiffe arriver, d'époufer la femme qu'on lui a choifie, dès qu'il a atteint l'âge de majorité. Cependant il ne feroit pas mal, pour le bien de fon Corps & de fon Esprit, & même pour celui des Enfans qu'il doit mettre au monde, que cette cérémonie fut differée pour quelque temps; & qu'on lui laiffât prendre un peu d'avance fur fes Enfans, tant à l'égard de l'âge, que par rapport aux lumiéres de l'Efprit; car il arrive fouvent que les Enfans fuivent leur Pére de trop près, ce qui n'eft pas le fujet d'une grande fatisfaction ni pour le Fils ni pour le Pére. Mais puifque nôtre jeune Gentilhomme eft prêt à fe marier, il eft temps de le laiffer auprès de fa Maîtreffe.

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XXVIII. Conclufion de tout l'Ou

§. CCXXIII.

vrage.

Que

UoI QUE je fois préfentement à la fin des Remarques que j'ai faites par occafion fur l'Education des Enfans, je ne voudrois pas qu'on s'imaginât que je regarde ce que je viens de dire comme un Traité complet fur cette matiére. Il y a mille autres chofes à confidérer, & particuliérement fi l'on vouloit entrer dans l'examen des divers temperamens, des inclinations différentes, & des défauts particuliers qu'on remarque dans les Enfans; & qu'on entreprît de prefcrire les remedes qui y font propres. Cette matiére eft d'une fi grande étendue qu'il faudroit faire un Volume entier pour la traiter, encore ne fuffiroit-il pas. Il y a dans l'Ame de chaque homme, auffi bien que dans le vifage, quelque chofe de particulier, qui le diftingue de tous les autres ; & peut-être à peine y a-t-il deux Enfans qui puiffent être conduits par une même méthode, à prendre la chofe dans la derniére précision. D'ailleurs, je croi que l'Enfant d'un Prince, celui d'un homme de qualité, & celui d'un fimple Gentilhomme devroient être élevez d'une maniére différente. Mais comme je n'ai eû ici que quelques vûes générales par rapport à la fin principale de l'Education, & cela en

fa

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