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fe priver des plaifirs innocens qu'ont accoûtumé de goûter ceux de fon âge & de fa condition. Bien loin d'approuver qu'il foit d'une humeur fi refervée & fi auftére, je voudrois lui perfuader d'entrer, avec une complaifance extraordinaire, dans tous les plaifirs & dans tous les divertiffemens de ceux qu'il frequente; & de ne faire paroître aucun éloignement ni aucune repugnance pour quoi que ce foit qu'ils puiffent defirer de lui, pourvû que ce foient des chofes qu'un Gentilhomme & un honnête-homme puiffe faire avec bienféance. Quoi qu'à l'égard des Cartes & des Dez le plus für & le meilleur parti, c'est à mon avis, de n'apprendre jamais à y joûer en aucune maniere, afin d'être par là à l'abri de toutes tentations dangereufes de perdre malheureufement fon temps. Mais je foûtiens qu'un jeune-homme à qui on laiffera une entiére liberté de fe rejouïr avec fes Amis, & de prendre tous les honnêtes divertiffemens, autorifez par l'ufage, aura encore affez de temps pour apprendre quelque Mêtier paffablement bien. Ce n'eft pas faute de temps, mais faute d'application que nous ne fommes pas experts en plus d'un Art;& il eft certain qu'un homme qui employeroit reglément une heure par jour à cette efpéce de divertiffement, iroit en peu de temps beaucoup plus loin qu'il ne pourroit se l'imaginer lui-même. C'eft un ufage qui meriteroit d'être introduit, quand ce ne feroit que

pour

pour décrediter tant de paffe-temps ordinaires, mauvais en eux-mêmes, inutiles, & dangereux; & pour faire voir qu'on peut fort bien s'en paffer. Si l'on empêchoit les hommes, dès leur jeuneffe, de s'abandonner à cette molle nonchalance dans laquelle quelques-uns laiffent écouler inutilement une bonne partie de leur vie fans s'attacher à rien. de ferieux, ou même de divertiffant, ils trouveroient affez de temps pour se rendre habiles en bien des chofes, qui quoi qu'éloignées de leur veritable profeffion, n'y feroient pourtant pas entiérement contraires. Ainfi, je croi pour cette raison & pour d'autres que j'ai déja alleguées, qu'une des chofes qu'on doit le moins fouffrir ou permettre dans les jeunes gens, c'eft cette humeur pareffeufe & négligente où ils s'abandonnent en laiffant écouler des jours entiers fans rien faire. Cet état convient à un homme malade & indifpofé; mais hors de là il n'eft fupportable en aucune perfonne, de quelque âge ou de quelque condition qu'elle foit.

6. CCXVI. Aux Mêtiers que j'ai dit qu'on peut apprendre à un jeune Gentilhomme on peut ajoûter ceux de Parfumeur, de Verniffeur, de Graveur, & plufieurs fortes d'Ouvrages en fer, en cuivre, & en argent. Que s'il paffe une bonne partie de fon temps dans une grande Ville, ce qui arrive à la plûpart des jeunes gens de bonne Maison on peut lui enfeigner à tailler, à polir, & à Cc 4

en

enchaffer des pierres précieuses, ou à tourner & polir des verres optiques. Parmi une fi grande diverfité d'Arts mechaniques qui meritent d'occuper le loifir d'un honnête homme, il eft impoffible qu'il ne s'en trouve aucun qui lui plaife, à moins qu'il ne foit pareffeux ou débauché, ce qu'on ne doit pas fuppofer, s'il a été bien élèvé. Or comme il ne fauroit être toûjours attaché à l'étude, à la lecture, & à la conversation, il lui reftera, outre le temps qu'il donnera à fes exercices, plufieurs heures dont il fera un mauvais ufage, s'il ne les employe pas à quelqu'un de ces Mêtiers dont je viens de parler car je fuppofe toûjours qu'un jeune homme fouhaitera rarement de demeurer les bras croifez fans rien faire ; & s'il eft effectivement de cette humeur, c'eft un défaut qui doit être corrigé néceflairement.

XXVI. Si un jeune homme de bonne Maifon doit apprendre à tenir les Livres de compte.

Un Gentil- §. CCXVII. MAIS fi les Parens par

homme

doit ap

tenir les

une prévention peu raiprendre à fonnable s'effrayent au nom odieux de Mêtier & d'Art mechanique; & qu'ils ayent de la repugnance à voir leurs Enfans s'occuper quoi que ce foit de cette efpece, il y a pourtant une chofe qui fait partie du Ne

Livres de compte.

à

go

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goce dont ils conviendront que la connoiffance eft abfolument néceffaire à leurs Enfans, s'ils l'examinent avec foin. Je veux parler de l'Art de tenir les Livres de compte.

Quoi que felon toutes les apparences cette connoiffance ne foit pas néceffaire à un Gentilhomme pour acquerir du bien, cependant il n'y a peut-être rien qui contribue davantage à lui faire conferver celui qu'il poffede. On voit rarement, qu'une perfonne qui tient compte de fes Revenus & de fa Dépense; & qui par ce moyen a toûjours devant les yeux l'état de fes affaires Domeftiques, les laiffe aller en ruïne. Mais je fuis affûré que bien des gens fe trouvent mal dans leurs affaires avant que de s'en appercevoir, ou les laiffent deperir de plus en plus, lors qu'ils ont une fois commencé, faute de tenir des comptes exacts, ou d'avoir l'adref fe de le faire. Je confeillerois donc à toute perfonne de bonne Maison d'apprendre exactement à tenir les Livres de compte ; & de ne pas fe mettre dans l'Efprit que cela ne les regarde point, fous prétexte que c'eft parmi les Marchands que cet Art a pris naiffance; & que c'est parmi eux qu'il eft principalement en ufage.

§. CCXVIII. Lorsque nôtre jeune Eleve faura bien tenir les Livres de compte, (ce qui depend plus du Bon Sens que de l'Arithmetique) il ne fera peut-être pas mal, Cc 5

que

que fon Pére exige de lui, qu'à l'avenir il faffe ufage de cette Science dans toutes fes petites affaires. Je ne voudrois pourtant pas qu'il mît par écrit tout ce qu'il dépenferoit article par article, comme une pinte de vin, dix fols, vingt fols perdus au jeu, &c. Il fuffit de mettre ces petites chofes fous le nom général de Dépenfe, & je ne ferois pas d'avis non plus que fon Pére examinât de trop près ces fortes de Comptes, pour en prendre occafion de blâmer les dépenfes qu'il fait. Un Pére doit fe reffouvenir qu'il a été jeune ; & ne pas oublier les fentimens qu'il avoit dans ce temps-là, ni le droit que fon Fils a de fentir les mêmes defirs, & d'avoir le moyen de les fatisfaire. Si donc je confeille d'obliger un jeune Gentilhomme à tenir un compte, ce n'eft pas pour avoir parlà fujet de le cenfurer fur fes dépenfes, (car il doit difpofer abfolument de ce que fon Pére lui donne) mais feulement afin qu'il puiffe s'accoûtumer bientôt à cela, & qu'ainfi il fe faffe de bonne heure une habitude d'une chofe, dont la conftante pratique doit lui être fi utile & fi néceffaire durant tout le cours 'de fa vie. On raconte d'un Noble Venitien, dont le Fils ne gardoit aucune mesure dans fes dépenfes, jettant, pour ainfi dire, l'argent par la fenêtre, que voyant augmenter tous les jours cette folle prodigalité, il ordonna à fon Intendant de ne pas donner à l'avenir plus d'argent à fon Fils que ce qu'il

en

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