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Un Enfant

doit pas

prenne dans les Ouvrages de ce grand Orateur la veritable idée de l'éloquence; & fi vous fouhaitez qu'il écrive purement en Anglois, faites lui lire des Livres bien écrits en cette Langue.

§. CXCIV. Si l'ufage & la fin du bon bien né ne raifonnement eft d'avoir des idées droites être elevé des chofes, & d'en juger fainement; de aux Ergot- diftinguer le vrai du faux, le Jufte de l'Inl'Ecole. jufte, & d'agir d'une maniére conforme à

teries de

ces idées, ayez foin (1) d'empêcher que vôtre Enfant ne s'accoûtume à toute cette ergotterie qu'on a réduit en Art dans l'Ecole, foit en s'y exerçant lui-même, foit en admirant ceux qui s'y amufent, fi ce

n'eft

deviendra grand Orateur, Εαν προσέχη τις Δημοσθένει, δεινὸν εἰπεῖν αὐτὸν ἐργάσεται ὁ Δημοσθένης, Lib. IV. cap. 16. Varia Hift.

(1) C'étoit auffi le fentiment de Montagne, comme il nous l'apprend dans fes Essays, Liv. I. ch. 25. en ces termes: Cicero difoit, que quand il vivroit la vie de deux hommes, il ne prendroit pas le loifir d'eftudier les Poëtes Lyriques. Et je trouve ces Ergotiftes plus triftement encores inutiles. Noftre Enfant est bien plus preffé: il ne doit au paidagogifme que les premiers quinze ou feize ans de fa vie: le demeurant eft deu à l'action. Employons un temps fi court aux inftructions neceffaires. Ce font abus, oftez toutes ces fubtilitez efpineufes de la Dialectique, dequoi noftre vie ne fe peut amender , prenez les fimples difcours de la Philofophie, feachez les choifir & traiter à poinct; ils font plus aifez à concevoir qu'un conte de Et un peu plus haut dans ce même cha pitre, Qu'on le rende, dit-il, delicat au choix & triage de fes raifons. Qu'on l'inftruise fur tout à fe rendre, & quitter les armes à la Verité, tout auffi-toft qu'il l'appercevra: foit qu'elle naisse és mains de fon adverfaire, foit qu'elle naisse en lui-mefme par quelque raviffement. Que fa confcience & fa vertu raluifent en fon parler, & n'ayent que la Raison pour conduite.

Boccace.

n'eft qu'au lieu d'en faire un habile homme vous ne veuilliez en faire un difputeur fans jugement, un opiniâtre dans les converfations, qui fe fera un honneur de contredire tout le monde, ou, ce qui eft encore pis, qui mettra tout en question, s'imaginant que ce n'eft pas la Verité qu'il faut chercher dans les difputes, mais feulement le plaifir de triompher de fon Adverfaire. Rien n'eft plus indigne d'un honnête homme, plus mal-seant à un homme de bonne maison, ou à toute perfonne qui prétend à la qualité de Créature raisonnable, que de ne pas fe rendre à une raison fenfible, & à l'évidence d'un Argument convainquant. Il n'y a, dis-je, rien de plus contraire à la civilité qui doit regner dans la converfation des gens polis, & au but de toute forte de difputes, que de ne pas fe contenter d'une réponfe, quelque folide qu'elle foit, mais de continuer la difpute auffi long-temps qu'on le peut de part & d'autre, à la faveur d'un terme équivoque, ou d'une diftinction frivole; fans fe mettre en peine fi ce qu'on foûtient eft à propos ou non, raisonnable ou extravagant, conforme ou contraire à ce qu'on a déja dit? Cependant le grand art des Difputes de Logique, c'eft que jamais POppofant ne se contente des repliques du Répondant, & que celui-ci de fon côté ne cede jamais à l'évidence des argumens que l'autre lui propofe. Arrive ce qui pourra de

la

Un Gentilhomme

doit ap

la Verité, nul d'eux ne doit en venir là, s'il ne veut être fifflé comme un miferable Dif puteur qui ne fait pas foûtenir vigoureufement ce qu'il a une fois avancé, en quoi confifte toute la gloire où l'on afpire dans les Difputes. C'eft par un ferieux & folide examen des chofes mêmes qu'on peut trouver, & défendre la Verité, & nullement par le moyen de certains termes artificiels, & de certaines methodes de difcourir, qui loin de conduire les hommes à la découverte de la Verité, les engagent à employer des mots équivoques dans un fens captieux & trompeur, ce qui est la chose du monde la plus inutile, & la plus choquante, & qui fied le plus mal à un Gentilhomme, & en général à tout fincere amateur de la Ve

rité.

§. CXCV. Il n'y a guere de plus grande imperfection dans un Gentilhomme que prendre à de ne pas fe bien exprimer en parlant, ou bien parler en écrivant. Cependant combien voyons

& à bien

écrire.

nous tous les jours de gens qui avec les revenus & le titre de Gentilhomme dont ils devroient avoir les qualitez, ne favent pas même raconter une hiftoire comme il faut, bien loin de pouvoir parler d'une maniére nette & perfuafive fur quelque affaire importante? Mais je croi que ce n'eft pas tant (1) à eux qu'il faut s'en prendre qu'à la ma

niére

(1) Mr. Locke entend parler ici de fes Compatriotes; & La Bruyere nous dit en général, que files Enfans ex

Car je dois

niére dont ils ont été élevez. rendre cette juftice à mes Compatriotes, que lorsqu'ils font ufage de leur Efprit, (1) je ne vois pas qu'ils foient inferieurs à aucun de leurs Voifins. On leur a appris la Rhetorique, mais on ne leur a jamais enfeigné à s'exprimer agréablement de bouche ou par écrit dans la Langue dont ils doivent fe fervir toute leur vie, comme fi l'Art de parler confiftoit à favoir les noms des Figures qui embelliffent les difcours de ceux qui entendent cet Art. C'est une chofe qui comme toutes celles qui dépendent de la pratique, ne s'apprend point par le fecours d'un petit ou d'un grand nombre de régles, mais par un Ufage conforme à de bonnes régles, ou plûtôt, en imitant de bons modelles, jufqu'à ce qu'on aît acquis l'habitude & la facilité de la bien faire.

Pour cet effet il ne feroit peut-être pas mauvais d'engager les Enfans, dès qu'ils en font capables, à raconter les petites histoires

qui

priment leurs penfées en mauvais termes, c'est moins leur faute que celle de leurs Parens ou de leurs Maitres. Caractéres, chap. DE L' Ho м ME, P. 369. Edit. de Bruxelles, an. 1697.

(1) J'admire ici la modeftie de Mr. Locke, qui fans doute auroit pû parler plus avantageufement de fon Païs. On n'a pas accoûtumé d'être fi retenu fur cet article. Chaque Nation fe donne hardiment la préference, de forte qu'on pourroit dire des Peuples ce que Madame Des-Houlieres a dit de tous les hommes en particulier,

Nul n'eft content de fa fortune,
Ni mécontent de fon Efprit.

qui leur font connues, & de corriger d'a bord la faute la plus remarquable où ils tombent par rapport à l'arrangement du sujet. Cette faute redreffée, il faudroit leur en découvrir quelque autre, & ainfi de fuite, jufqu'à ce qu'on les eut toutes corrigées, ou du moins les plus groffiéres. Dès qu'ils peuvent faire un conte paffablement bien, il est temps de commencer à les leur faire mettre par écrit. On peut fe fervir pour cela des Fables d'Efope, qui eft prefque le feul Livre que je connoiffe propre pour des Enfans; comme on s'en eft déja fervi pour leur faire lire & traduire du Latin lorsqu'on a commencé à leur enfeigner cette Langue. Après qu'ils en font venus à ce point, d'écrire correctement fans violer les Régles de la Grammaire; & qu'ils peuvent lier, dans un difcours fuivi, les differentes parties d'un conte fans employer des tranfitions triviales, groffieres, & répetées trop fouvent, comme les Enfans ont accoûtumé de faire dans les commencemens, fi vous voulez les perfectionner encore davantage dans ce point qui eft le prémier dégré de l'Art de parler, & où l'on n'a pas befoin d'invention, vous pouvez recourir à Ciceron ; & en parcourant les régles que ce grand Maître de l'Eloquence étale dans fon prémier Livre, De l'Invention §. 20. leur faire voir en quoi confiftent l'art & les graces d'une narration, felon les divers fujets qu'on traite,

&

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