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Moyen fa

Enfans.

fi vous leur demandiez, pourquoi ils vont à l'Eglife. La Coûtume tient lieu de Raifon; & elle a fi bien confacré cette Méthode dans l'Esprit de ceux qui la croyent raifonnable, qu'ils l'obfervent avec une efpéce de Religion, comme fi leurs Enfans ne pouvoient qu'à peine avoir une Education orthodoxe, à moins qu'ils n'apprennent la Grammaire de Lilius.

§. CLXIX. Mais que le Latin foit nécefcile d'ap faire à certains Enfans, & qu'on le croie néprendre le Latin aux ceffaire à d'autres auxquels il n'est d'aucune utilité; tant y a que la Méthode, dont on fe fert ordinairement dans les Ecoles pour l'enseigner, eft telle, qu'après l'avoir examinée, je ne faurois me refoudre à confeiller qu'on la fuive. Les raifons qu'on peut apporter contre cette Méthode font fi claires & fi preffantes que plufieurs perfonnes de bon fens, en ayant été frappez, ont effectivement abandonné la route ordinaire, ce qui ne leur a pas mal réuffi, quoi que la Méthode qu'ils ont employé, ne fût pas tout-à-fait la même que celle qui me paroît la plus facile de toutes, & qui, pour le dire en peu de mots, confifte à enfeigner le Latin aux Enfans de la même maniére qu'ils apprennent l'Anglois, fans les embarraffer de régles ni de Grammaire: car fi vous y prenez garde, lorsqu'un Enfant vient au Monde, le Latin ne lui est pas plus étranger que Anglois; & cependant il apprend l'An

glois fans Maître, fans régles, & fans Grammaire. Il apprendroit fans doute le Latin de la même maniére, comme fit Ciceron, (1) s'il avoit toûjours auprès de lui une perfonne qui lui parlât cette Langue. Et après qu'on a vû fi fouvent parmi nous qu'une Femme Françoise enfeigne à une jeune Fille à parler & à lire parfaitement en François dans un ou deux ans, fans le fecours d'aucune Régle de Grammaire, & fans faire autre chofe que lui parler cette Langue, je ne puis affez m'étonner que les Gens de qualité ayent négligé de fe fervir de cette Méthode pour leurs Garçons, comme s'ils les croyoient d'un Efprit plus pefant & plus borné que leurs Filles.

§. CLXX. Si donc vous pouvez trouver une Perfonne qui fache bien parler Latin, & qui veuille fe tenir toûjours auprès de vôtre Fils, lui parler & le faire parler reglément cette Langue, ce feroit-là le moyen le plus naturel & le plus aisé de la lui enseigner

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(1) C'eft ainfi que Montagne apprit le Latin, comme il le raconte lui-même affez au long dans fes Effais (Liv. I. ch. V.) & avec un tel fuccès qu'il avoit plus de fix ans, avant qu'il entendit non plus de François ou de Perigordin, que d'Arabefque: & fans art, fans Livre, fans Grammaire ou precepte, fans fouet, & Sans larmes, j'avois appris du Latin, ajoûte-t-il, tout auffi pur que mon Maiftre d'Efcole le fçavoit: car je ne le pou vois avoir mellé ny altere. Environ l'âge de 7 ou 8 ans, dit-il dans le même chapitre, je me desrobois de tout autre plaifir pour lire les Fables de la Metamorphofe d'Ovide, d'autant que cette Langue eftoit la mienne maternelle.

moyen d'autant plus eftimable, à mon fens, qu'outre qu'un Précepteur apprendra ainsi à vôtre Enfant, fans le battre ou le quereller, une Langue pour laquelle on envoye les Enfans dans une Ecole où ils font fujets au foûet durant l'efpace de fix ou sept ans, il pourra dans le même temps non feulement lui former les mœurs & le jugement, mais encore l'instruire en plufieurs Sciences, comme eft une bonne partie de la Géographie, de l'Aftronomie, de la Chronologie, de l'Anatomie, à quoi on peut ajoûter quelques morceaux de l'Hiftoire, & la connoiffance de toutes les autres chofes, qui tombent fous les Sens, & qu'on peut apprendre fans prefque d'autre fecours que celui de la memoire. Et dans le fond à fuivre la veritable route dans nos Etudes, c'eft par-là que nous devrions commencer; ce font là les chofes qui devroient fervir de fondement à toutes nos connoiffances, & non pas des notions abftraites de Logique & de Metaphyfique qui font plus propres à amuser l'Esprit qu'à le former lors qu'il commence à s'appliquer à la recherche de la Verité. Car après que les jeunes gens fe font remplis la tête, pendant un certain temps, de ces fortes de fpeculations abftraites, fans en retirer le fruit qu'ils en efperoient, ils font portez à concevoir une chetive idée de la Science, ou bien d'eux-mêmes; ils font tentez de renoncer à P'Etude, & d'abandonner tous leurs Livres,

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comme n'étant pleins que d'un vain fatras de paroles énigmatiques qui ne fignifient rien: ou du moins de conclurre que, s'il y a dans leurs Livres quelque chofe de folide, ils n'ont pas affez d'Efprit pour le comprendre. Qu'ainfi ne foit, je pourrois peut-être vous le confirmer par ma propre experience. Entre les chofes qu'un jeune homme doit apprendre felon la Méthode que je viens de dire, pendant que d'autres Enfans de fon âge font uniquement appliquez au Latin, & à des chofes qui ne regardent que le Langage, je pourrois mettre la Géometrie, car j'ai connu un jeune Gentilhomme, élevé en partie de cette maniére, qui avant l'âge de treize ans pouvoit démontrer plufieurs Propofitions d'Euclide.

§. CLXXI. Mais fi vous ne pouvez point trouver de Précepteur qui parle bien Latin, & qui étant capable d'enseigner à vôtre Fils toutes ces Sciences, veuille le faire felon la Méthode que je viens d'indiquer, celle qui en approche le plus, eft la meilleure qu'on puiffe employer pour bien inftruire vôtre Fils; & voici à quoi elle fe réduit. Prenez quelque Livre aifé & agréable, comme vous diriez les Fables d'Esope; & après avoir écrit une ligne d'une de ces Fables, traduite en Anglois auffi litteralement qu'il eft poffible, avec les mots Latins écrits dans une autre ligne précisément fur les mots Anglois auxquels ils répondent, faites, lui lire & relire

ces

ces deux lignes chaque jour, jusqu'à ce qu'il entende parfaitement bien les mots Latins. Faites-lui lire après cela une nouvelle Fable felon la même Méthode, jufqu'à ce qu'il l'entende auffi parfaitement bien fans pourtant négliger ce qu'il a déja appris exactement, mais le lui faifant répéter quelquefois, afin qu'il ne l'oublie pas. Et lorsqu'il vient à écrire, donnez-lui ces Fables à copier ; par où non feulement il exercera fa main, mais il avancera dans la connoiffance de la Langue Latine. Comme cette Méthode eft plus imparfaite que celle où l'on apprend le Latin à un Enfant par P'ufage en lui parlant fimplement cette Langue, il eft bon que d'abord vôtre Enfant apprenne bien par cœur les Conjugaifons des Verbes, & enfuite les Déclinaifons des Noms & des Pronoms, car cela pourra fervir à lui faire connoître le genie & le tour de la Langue Latine, où la fignification des Verbes & des Noms varie, non pas comme (1) dans les Lan

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(1) Mr. Locke a jugé fans y penfer des autres Langues par la fienne. Il eft vrai qu'en Anglois différentes perfonnes des Verbes n'ont en chaque temps que peu de terminaifons différentes. Mais il n'en eft pas de même des Langues Françoise Italienne, Espagnole, &c. car dans les Verbes de ces Langues les diverfes perfonnes des Temps font presque toûjours diftinguées par des terminaifons différentes; en François, j'ai, tu as, il a; Nous avons, Vous avez > ils ont: En Italien, Io amo, tu ami, egli ama; Noi amiamo, voi amate, coloro amano: & en Espagnol, Hablo, hablas, habla; Hablamos, hablais, hablan. J'ai ouï dire que c'eft la même chofe en Allemand.

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