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mises dans ces Ames tendres, & y étant for tement empreintes par la terreur qui les accompagne, elles s'y enracinent fi profondement, qu'il eft très-difficile, pour ne pas dire impoffible, de les en effacer. D'ailleurs, elles font très-fouvent fuivies de vifions étranges qui font que les Enfans ne fauroient être feuls, fans trembler ; & qu'ils ont peur de leur Ombre & des Ténébres pendant tout le refte de leur vie. J'ai connu des hommes faits, qui ayant été frappez de ces Idées effrayantes dans leur prémiére jeuneffe, m'ont avoué, que, quoique leur Raifon corrigeât ce qu'il y avoit de faux dans ces fortes d'idées, & qu'ils fuffent affûrez qu'on n'avoit aucun fujet d'apprehender des Étres invifibles dans les Ténébres plûtôt que dans la Lumiére, néanmoins à chaque occafion qui s'en préfentoit, ces mêmes Idées étoient toûjours prêtes à s'emparer d'abord de leur imagination prévenue; de forte qu'ils ne les pouvoient éloigner qu'avec peine. Il me fouvient à ce propos d'une Hiftoire fort remarquable & très-affurée, qui vous fera voir combien ces Idées effrayantes qui s'impriment de bonne heute dans l'Efprit, y ref tent long-temps enracinées. Dans une Ville qui eft dans les parties occidentales de Angleterre, il y avoit un homme hors du fens que les Enfans avoient accoûtumé de tourmenter toutes les fois qu'ils le rencontroient. Un jour ce Fou voyant dans la Ruë

un

un de ces Enfans, entra dans la Boutique d'un Armurier qui étoit près de là, & fe faififfant d'une épée nue, courut après lui. L'Enfant le voyant venir dans cette posture, fe mit à fuir pour fauver fa vie ; & heureufement il courut avec affez de vigueur pour attraper la Maison de fon Pére, avant que le Fou pût l'atteindre. La Porte n'étant fermée qu'au loquet, il l'empoigne auffi-tôt; & alors il commença à tourner la tête pour voir fi celui qui le pourfuivoit étoit fort près de lui. Le Fou étoit précisément à l'entrée du porche, tout prêt à le frapper de fon Epée; & l'Enfant eut juftement le temps d'entrer dans la Maison, & de fermer la porte pour éviter le coup. Quoi que fon Corps n'eût reçu aucun mal, fon Efprit fut vivement frappé de cette avanture. La peur qu'il avoit eû, y fit une fi profonde impreffion, que l'idée lui en refta plufieurs années, & peut-être durant toute fa vie. Car celui à qui cela eft arrivé le racontant lui-même lorsqu'il étoit homme fait, on lui a fouvent ouïdire , que depuis cet accident il ne fe fouvenoit pas d'être encore jamais arrivé à cette Porte, en quelque temps que ce fut, fans regarder derrière lui, quelque affaire qu'il eût dans l'Efprit; ou du moins, fans penfer un peu à ce Fou, avant que d'entrer dans la Maison.

Si on laiffoit les Enfans feuls, ils ne feroient pas plus effrayez des ténébres de la R 5

nuit,

nuit, que de la plus brillante clarté du Soleil. Ces deux temps leur plairroient également, chacun à fon tour; le prémier pour dormir, & l'autre pour badiner, Dans leurs difcours ils ne diftingueroient point l'un de l'autre, comme fi l'un étoit accompagné de plus de danger & de chofes plus effrayantes que l'autre. Mais fi par malheur il fe trouve auprès d'eux des gens affez fous pour leur faire accroire qu'il y a quelque difference entre être dans les ténébres, & fermer fimplement les yeux, il faut leur ôter cette imagination de l'Esprit le plûtôt que vous pourrez, & leur apprendre, QUE Dien qui a fait toutes chofes pour leur bien, a fait la nuit afin qu'ils puiffent dormir plus tranquillement; & qu'il n'y a rien dans les Ténébres qui puiffe leur nuire, puis qu'ils font toûjours fous fa protection.

Du refte, il faut differer à donner aux Enfans une plus ample connoiffance de Dieu & des bons Efprits, jufques au temps que nous marquerons dans la fuite: & pour ce qui eft des Malins Efprits, vous ferez bien, fi vous pouvez empêcher que vôtre Enfant ne s'en forme point de fortes idées, jufqu'à ce qu'il foit affez avancé en âge pour entrer dans cette forte de connoiffance.

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§. CXLII. Après avoir infpiré à vôtre. Enfant ces Principes de Vertu, en lui donnant une veritable idée de Dieu, telle qu'el

le

- le nous eft fagement propofée dans le Symbole des Apôtres, autant que fon âge le peut. permettre; & en l'accoûtumant, à prier cet Etre. fuprême ce qu'il faut faire enfuite c'eft de l'obliger exactement à dire la verité, & de le porter par toute forte de moyens à être doux & bienfaifant. Pour cet effet, faites lui entendre que vous lui pardonnerez plûtôt vingt fautes, qu'un fimple déguisement de la verité pour en couvrir une feule par de méchantes excufes. Et fi vous lui apprenez bientôt à être doux & bienfaifant vous lui infpirerez de bonne heure les fentimens qu'il doit avoir pour être un jour veritablement honnête-homme: car généralement parlant, toutes les injuftices viennent de ce que nous nous aimons trop nous-mêmes, & que nous n'aimons pas affez les

autres.

C'eft là tout ce que je dirai en général sur cette matiére, & qui fuffit pour jetter dans le cœur d'un Enfant les prémiéres femences de la Vertu. A mefure qu'il avance en âge, il faut remarquer de quel côté le porte fon inclination naturelle : & felon qu'elle l'éloigne du vrai fentier de la Vertu en le faifant pencher plus, qu'il ne faut d'un côté ou d'autre, l'on doit employer les remedes les plus capables de le ramener dans le bon chemin. Car parmi les Enfans d'Adam, il y en a peu d'affez heureux pour n'être pas nez avec quelque foible: & c'eft à déraciner ce

foible ou à le contrebalancer qu'il faut s'attacher dans l'Education des Enfans. Mais je ne faurois entrer dans un plus grand détail fur ce fujet, fans paffer les bornes que je me fuis prefcrites dans ce petit Ouvrage. Mon deffein n'eft pas de faire un Difcours fur toutes les Vertus & fur tous les Vices; ni de montrer comment on peut acquerir chaque Vertu, & fe guerir de chaque Vice en particulier, quoi que j'aye remarqué quelquesunes des fautes les plus ordinaires aux Enfans, & les moyens qu'il faut employer pour les en corriger.

XXI. 2. De la Prudence.

Il faut inf- §. CXLIII.

pirer la Prudence aux En

fans,autant â

que leur à ge en eft capable.

dans un fens vulgaire, pour A Prudence que je prens

l'Art de conduire fes affaires dans ce Monde avec habileté, & avec prévoyance, la Prudence, dis-je, prife en ce fens, eft tout enfemble l'effet d'une bonne difpofition naturelle, d'une forte application d'Esprit, & de l'experience; & par conféquent, au deffus de la portée des Enfans. La principale chofe qu'on puiffe faire pour eux à cet égard, c'eft de les empêcher, autant qu'on peut, de recourir à la Fineffe qui tâchant de contrefaire la Prudence, en eft pourtant fort éloignée, femblable à un Singe qui malgré la reffemblance qu'il a avec l'homme, deftitué de ce qui pourroit le faire réellement hom

me,

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