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main à l'œuvre pour cela. Jufqu'alors ils n'en devroient point avoir; & avant ce tempslà, ils n'auront pas grand befoin de Jouëts travaillez avec beaucoup d'art. De petits Cailloux, un morceau de papier, le trouffeau de clefs de leur Mére, & telle autre chofe avec quoi ils ne fauroient fe faire du mal, tout cela fert autant à divertir de petits Enfans, que toutes les curieuses bagatelles qu'on leur achete bien cher dans des Boutiques, & qu'ils gâtent & brisent tout auffi-tôt. Les Enfans ne font jamais triftes ou chagrins fautę d'avoir ces fortes de Jouets, à moins qu'on ne leur en ait déja donné. Lorsqu'ils font petits, ils fe divertiffent de tout ce qui leur tombe fous les mains: & à mesure qu'ils deviennent grands, ils fe feront bien-tôt des Jouets eux-mêmes, fi l'on ne s'eft mis imprudemment en dépenfe pour leur en fournir. A la verité, lorsqu'ils commencent à travailler à quelque Jouët de leur invention, il faudroit les diriger & les aider dans leur travail. Mais on ne devroit point fonger à leur en fournir, tant qu'ils attendent les bras croifez, que, fans qu'ils fe donnent aucune peine, d'autres travailleront à leur en faire. D'ailleurs, fi lorsqu'ils s'amufent eux-mêmes à faire des Jouets, ils font arrêtez par quelque difficulté, & que vous les aidiez à s'en tirer, ils vous en aimeront davantage que fi vous leur achetiez des Jouets du plus haut prix. Il faut pourtant leur en donner quel

ques

ques-uns que leur adreffe ne fauroit leur procurer, comme des toupies, des volans, des battoirs, & autres telles chofes qui fervent à leur exercer le Corps, il eft, dis-je, néceffaire qu'ils ayent ces fortes de Jouets, non pour varier leurs amusemens, mais pour faire exercice. Encore devroit-on avoir foin de les leur donner auffi fimples qu'il eft poffible. Ainfi, après leur avoir fait préfent d'une toupie, il faudroit leur laiffer le foin de fe pourvoir eux-mêmes d'un bâton & d'une courroye pour la fouëtter : & s'ils attendent nonchalamment que ces chofes leur tombent des nues, il ne faut pas faire femblant de le voir. Ils s'accoûtumeront par là à chercher eux-mêmes ce qui leur manque, & à moderer leurs defirs, à penfer, à s'appliquer, à être inventifs & bons menagers : qualitez qui leur feront d'un grand ufage pendant la meilleure partie de leur vie, & qui par conféquent ne peuvent être enfeignées trop tôt, ni prendre de trop fortes racines. Tous les Jeux, tous les divertiffemens des Enfans devroient tendre à former en eux de bonnes & d'utiles habitudes : autrement, ils leur en communiqueront de mauvaifes. Car tout ce que font les Enfans, laiffe fur cet âge tendre des impreffions qui les portent au bien ou au mal; & rien de ce qui peut avoir une telle influence, ne devroit être négligé.

XIX. Du Menfonge:

Quels foins §. CXXXIV. défaut dont on convien

L me refte à parler d'un

il faut prendre pour

empêcher dra fans peine qu'il faut tâcher de corriger les Enfans les Enfans. C'est le Menfonge. Comme rien de mentir. n'eft fi propre à couvrir promptement & fans

embarras une faute qu'on vient de commettre, que de mentir; & que cet expedient eft fi fort à la mode parmi toute forte de perfonnes, il est très-difficile qu'un Enfant évite le menfonge, voyant l'ufage qu'on en fait en toutes rencontres. Auffi, à peine peuton, fans un grand foin, l'empêcher d'y tomber. Mais d'autre part, le menfonge eft fi odieux; il eft la fource de tant de maux, qu'il cache fous fon ombre après leur avoir donné naiffance, qu'on devroit faire concevoir aux Enfans une extrême horreur pour ce vice. Il en faudroit toûjours parler devant eux, lorsque l'occafion s'en présenteroit, comme de la chofe la plus execrable du monde, comme d'une qualité fi indigne d'un homme de bonne Maison, qu'il n'y a perfonne qui foit en quelque eftime dans le monde, qui puiffe fouffrir qu'on l'accufe de mentir, en un mot, comme d'un Vice qui deshonore entiérement un homme, qui le dégrade, & le met au rang de ce qu'il y a de plus bas & de plus méprifable parmi la plus vile Populace; & qui par conféquent

ne

ne peut être fouffert dans une perfonne qui veut fréquenter d'honnêtes gens, ou qui a quelque réputation à ménager. Après cela, la prémiére fois que vous furprendrez vôtre Enfant en quelque menfonge, il vaut mieux en paroître étonné comme d'une chose toutà-fait étrange & monftrueufe, que de l'en cenfurer comme d'une faute ordinaire. Si cela ne fuffit pas pour l'empêcher, d'y retomber, il faut qu'il effuye une rude reprimande; & que par une fuite néceffaire il foit regardé avec indifference & avec mépris par fon Pére, par fa Mére, & par tous ceux qui étant dans la Maison ont pris connoiffance de ce qu'il vient de faire. Et fi cela ne fuffit pas pour le corriger de cette mauvaise inclination, il en faut venir aux coups: car après qu'un Enfant a été ainfi averti par dégrez de ne point mentir, une menterie prémeditée doit toûjours être confidérée comme une vraye obstination, qu'il ne faut plus laiffer impunie.

cevoir les

§. CXXXV. Les Enfans apprehendant Comment qu'on ne voye leurs défauts à découvert, fe- on doit reront portez comme le refte des Enfans d'A- excufes des dam, à les couvrir de quelque excuse. C'est Enfans. un vice qui pour l'ordinaire approche du Menfonge, & y conduit infenfiblement; & auquel par conséquent il ne faut pas permettre qu'ils s'abandonnent. Cependant, il feroit plus à propos de les en corriger en leur en faifant honte, qu'en les traitant rude

R

ment.

ment. Lors donc qu'on examine un Enfant fur quelque chofe, s'il commence par une excufe, il faut l'exhorter doucement à dire la verité; après quoi s'il perfifte à fe tirer d'affaire par une fauffeté, il le faut châtier. Mais s'il confeffe la chofe fans détour, ne manquez pas de le loûer de fon ingenuité, & de lui pardonner fa faute, quelle qu'elle foit; & fouvenez-vous fur tout de la lui pardonner abfolument fans la lui reprocher, ni lui en parler jamais plush Car fi vous voulez lui faire aimer la fincerité, & le porter à s'en faire une habitude par une pratique conftante, vous devez non feulement prendre foin qu'elle ne lui caufe jamais la moindre incommodité, mais encore joindre à l'entiére-impunité qui doit toûjours accompagner cette confeffion libre de fes fautes, quelques marques d'approbation, pour l'engager à continuer d'en ufer de la même manière. Que s'il fe rencontre que fon excufe foit de telle nature que vous n'y puiffiez rien reconnoître de faux, prenez la pour veritable, fans témoigner en aucune manière qu'elle vous foit fufpecte. Car il eft de la derniére importance qu'il maintienne fa réputation auprès de vous dans un dégré auffi parfait qu'il eft poffible, parce que, s'il vient une fois à s'appercevoir que vous n'avez plus bonne opinion de lui, vous perdez auffi-tôt un des meilleurs moyens de le conduire à vôtre fantaifie. Ne lui donnez donc pas fujet de croi

re

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