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& ce que l'Humanité abhorre, la Coûtume nous le rend agréable, en nous le faisant regarder comme un chemin qui conduit à la Gloire. Voilà comment la Mode & l'Opinion générale font paffer pour un plaifir ce qui ne l'eft point en foi, ni ne fauroit l'être. C'est donc là un inconvenient auquel il faudroit remedier de bonne heure par toute forte de moyens, en fubftituant à la place de cette fatale paffion, l'inclination contraire, qui eft bien plus naturelle à l'homme, je veux dire la compaffion & l'humanité; difpofitions qu'il faut tâcher d'entretenir dans les Enfans, mais toûjours par des voyes de douceur. Il ne fera peut-être pas hors de propos d'ajoûter ici, qu'à l'égard des malheurs ou des accidens qui arrivent en badinant, par inadvertance, ou par ignorance, & qui ne peuvent paffer pour des effets de malice & d'une mauvaise intention, quoi que peut-être ils ayent quelquefois des fuites très-fâcheufes, (1) il faut, ou n'en prendre point du

tout

(1) Il me fouvient ici d'un exemple de douceur qui pour être accompagné de circonftances un peu differentes de celles que Mr. Locke vient de propofer, n'en eft que plus propre à confirmer fa Régle; c'eft la maniére dont Augufte en ufa avec l'Intendant de fa Maifon qui fe promenant un jour avec lui, fut fi fort trouble de crainte à la vûe d'un Sanglier qui vint tout d'un coup vers eux, qu'il fe mit à couvert du danger en y expofant l'Empereur lui-même. La faute étoit capitale par rapport aux fuites qu'elle pouvoit produire: mais Augufte ne l'examinant que du côté de l'intention, fe contenta de tourner la chofe en raillerie : Diomedem difpenfatorem, à quo fimul ambulante, incurP 3

Ten

Il faut inf

Enfans des

tout de connoiffance, ou n'en parler qu'a yec beaucoup de douceur. Car, à mon avis, on ne fauroit inculquer trop fouvent à ceux qui se chargent d'élever des Enfans QUE, quelque faute que commette un Enfant, & de quelque importance qu'elle fait, la feule chofe a quoi l'on doit avoir égard lorsqu'on en prend connoiffance, c'eft à la caufe qui l'a proanite,& a l'habitude qui en peut naître. C'eft fur cela, dis-je, qu'il faut regler la correction, fans jamais permettre qu'un Enfant foit châtié pour quelque mal qu'il ait fait en badinant, ou par inadvertance. Les fautes qui viennent de la Volonté, font les feules qu'il faut punir: & même f elles font de telle nature qu'elles puiffent ê tre corrigées par l'âge, ou qu'on n'aît aucun fujet de craindre qu'elles produifent de mauvaifes habitudes, il faut paffer par deffus, fans faire femblant de les remarquer, de quelques fâcheufes circonftances qu'elles foient accompagnées d'ailleurs.

§. CXX. Un autre moyen d'infpirer de pirer aux Phumanité aux jeunes gens, & d'empêcher fentimens qu'ils n'en perdent jamais le goût, c'eft de les accoûtumer à traiter civilement & en inferieurs, paroles & en actions, leurs Inferieurs, le Pour le petit Peuple, & fur tout les Domestiques.

d'humanité

pour leurs

& fur tout

Domefti

ques,

Car

renti repentè fero apro per metum objectus eft, maluittimilitatis arguere quàm noxe: rémque non minimi periculi, QUIA TAMEN FRAUS ABERAT, in jocum vertit. Suetonius in Vita Augufti, Cap, LXVII,

Car il n'eft que trop ordinaire de voir dans de bonnes Familles que les Enfans de la Maifon parlent aux Domeftiques en termes infolens & pleins de mépris, & les traitent d'une maniére hautaine & imperieuse, comme s'ils étoient d'une efpéce differente & fort inferieure à la leur. Que cette injufte fierté foit produite en eux, ou par de mau, vais exemples, ou par l'avantage de leur fortune, ou par une vanité naturelle, il fau droit la prévenir, ou l'extirper dès qu'elle vient à paroître, & fubftituer à la place un efprit de douceur & d'humanité qui les rende civils & affables envers les perfonnes de la plus baffe condition. Ils ne perdront rien par là de leur fuperiorité. Au contraire, l'autorité qui eft attachée à leur rang, n'en fera que plus grande, leurs inferieurs joignant à la foumiffion & à la déference exterieure qu'ils auront pour eux, un amour & une eftime fincere pour leurs Perfonnes. Et en particulier les Domeftiques les ferviront avec plus d'empreffement & de plaifir, voyant qu'ils ne font point maltraitez à caufe que la Fortune les a placez au deffous des autres hommes, &, pour ainfi dire, fous les piés de leurs Maîtres. Il ne faudroit jamais fouffrir que la difference des conditions fit perdre aux Enfans le refpect qu'ils doivent à la Nature Humaine. Plus ils font élevez & opulens, plus on devroit avoir foin de leur apprendre à être doux, tendres & obligeans P 4

en

envers ceux de leurs Frères qui font d'un rang inferieur, & plus mal partagez des biens de la fortune. Si dès le berceau Pon leur laiffe la liberté de maltraiter certaines perfonnes, parce qu'ils croyent avoir quelque peu de pouvoir fur eux en vertu de la Qualité de leur Pére, c'est tout au moins une marde mauvaise éducation: mais fi l'on n'y prend garde, cette licence augmentant leur fierté naturelle les accoûtumera par dégrez à n'avoir que du mépris pour leurs inferieurs ; ce qui ne doit aboutir, felon toutes les apparences, qu'à l'oppreffion & à la Cruauté.

que

XVI. De la Curiofité.

Curiofité S.CXXI.

néceffaire

dans les Enfans. * §. CIX.

L

A Curiofité dont nous avons eû occasion de dire un mot *ailleurs, n'eft dans les Enfans qu'un Defir de connoître il faut donc tâcher de l'augmenter en eux, non feulement à caufe qu'elle donne de bonnes efperances de celui en qui elle fe trouve mais encore parce que c'eft un excellent moyen que la Nature a ménagé pour diffiper l'ignorance dans laquelle ils viennent au Monde, & qui fans ce defir qui les porte à demander d'être inftruits des chofes, changeroit les Enfans en autant de Créatures ftupides, & de nul ufage. Voici, fi je ne me trompe, les moyens d'exciter dans les Enfans cette forte de curiofité, &

de

de la tenir toûjours en mouvement & en action.

l'entretenir

en eux.

1. Quelques, Questions qu'un Enfant Moyens de puiffe faire, il n'en faut rejetter aucune avec mépris, ni permettre qu'on en faffe des rail- Premier leries. Au contraire, il faut répondre à tout moyen. ce qu'il demande, & lui expliquer les chofes qu'il a envie de favoir de telle maniére, qu'on les lui rende auffi intelligibles que fon âge & l'étendue de fes lumieres le peuvent permettre. Mais prenez garde de ne pas lui brouiller l'Esprit par des explications ou des idées qui paffent fon intelligence, ou en lui propofant quantité de chofes qui n'ont aucun rapport à ce qu'il a deffein de favoir en ce temps-là. Lors qu'il vous fait une Quef tion, remarquez plûtôt ce qu'il veut dire',

que

les paroles dont il fe fert pour exprimer fa penfée: & après que vous l'aurez pleinement inftruit de ce qu'il vouloit favoir, vous verrez qu'il portera fes pensées fur de nouveaux objets; & qu'en répondant ainfi à toutes fes Questions d'une maniére juste & précife, vous pourrez le mener plus loin que vous n'oferiez peut-être vous l'imaginer. Car la connoiffance eft auffi agréable à l'Entendement que la lumiére l'eft aux yeux; & les Enfans en particulier fe plaisent extrémement à acquerir de nouvelles connoiffances, fur tout, s'ils voyent qu'on écoute leurs demandes, & qu'on excite & loue en eux le defir qu'ils ont d'être inftruits. Et je ne dou

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