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fant qui n'en faifoit que rire, quoi qu'il n'eut pû s'empêcher de verfer des larmes & d'être fenfiblement affligé fi la même perfonne qui lui donnoit ces coups, lui eut dit un mot

un peu rude, ou l'eut regardé avec froideur pour le punir de quelque faute. Persuadez une fois vôtre Enfant par vos foins & par des marques conftantes d'affection, que vous l'aimez parfaitement; & foyez für que vous pourrez l'accoûtumer par dégrez à endurer fans aucune repugnance & fans fe plaindre, des chofes fort pénibles & fort rudes que vous trouverez à propos de lui impofer. Ce qu'on voit faire tous les jours aux Enfans qui font à jouer ensemble, fuffit pour vous en convaincre. Or plus vous trouvez vôtre Enfant tendre & délicat, plus vous devez tâcher de l'endurcir à la peine de la maniére que je viens de dire. Dans cette affaire le grand point confifte à commencer d'abord par quelque chofe qui ne foit pas fort pénible, & à continuer par des dégrez infenfibles dans le temps que vous riez, que vous badinez avec lui, & que vous le loûez. Car s'il en vient une foisy à fe croire affez recompenfé des fatigues ou de la douleur qu'il endure, par les éloges qu'on donne à fon courage, & à trouver un fujet de gloire dans ces épreuves de fermeté, en forte qu'il aime mieux paffer pour brave & hardi, que d'éviter une petite douleur, ou de fuccomber lâchement à fes atteintes, comptez hardi

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ment qu'avec le temps & par le fecours de fa Raifon qui fe fortifie tous les jours, vous pourrez vaincre fa timidité, & corriger la foibleffe de fa complexion. A mesure qu'il devient plus grand, pouffez-le à des entreprifes plus hardies que celles où fon temperament le porte naturellement ; & fi vous remarquez qu'il évite de tenter une chofe dont il y lieu de croire qu'il pourroit fort bien venir à bout s'il avoit le courage de l'entreprendre, donnez lui d'abord quelque affistance, & tâchez par dégrez de l'y engager par un motif d'honneur; jufqu'à ce qu'enfin ayant acquis plus de fermeté par la pratique il puiffe faire la chofe fans aucune peine auquel cas ne manquez pas de le combler de loûanges, & de lui faire fentir qu'il s'attire par là l'eftime de tous ceux qui le connoiffent. Après qu'il aura acquis par ce moyen affez de réfolution pour n'être pas détourné de ce qu'il doit faire, par la crainte du danger, & que dans des rencontres imprevûes, ou hazardeuses, la Peur ne mettant plus fon Esprit & fon Corps en défordre, ne lui ôtera ni la capacité ni la volonté d'agir, dès lors on peut affurer qu'il a tout le courage qui convient à une Créature raifonnable. Et c'eft cette fermeté de Corps & d'Efprit qu'on devroit tâcher de produire dans les Enfans par l'ufage, à mesure que l'occafion s'en préfente naturellement..

XV. Il faut corriger les Enfans de l'inclination qu'ils ont à la cruauté.

§. CXIX.

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E parlerai maintenant d'un vice que j'ai fouvent remarqué dans les Enfans, c'est que, lorsqu'ils ont en leur puiffancé quelque pauvre Animal, its font portez à le mal-traiter. S'il leur tombe entre les mains de petits Oifeaux, des Pa pillons & autres petites Bêtes, il arrive souvent qu'ils les tourmentent, & les traitent avec la derniére cruauté, & cela avec une efpéce de plaifir. Je ferois d'avis qu'on obfervât les Enfans fur cet article; & que, fi l'on découvre qu'ils foient fujets à cette efpéce de cruau té, on leur apprît à tenir une conduite toute oppofée: car la coûtume de tourmenter & de tuer des Bêtes, les rendra infenfiblement durs & cruels à l'égard des hommes. Ceux qui fe plaifent à faire fouffrir des créa→ tures qui leur font inferieures, ou à les tuer, ne feront pas fort portez à avoir pitié de celles qui font de leur efpéce. C'eft fur cela qu'eft fondé l'ufage établi en Angleterre d'exclurre les Bouchers du nombre des Jurez choifis pour des affaires criminelles où la con→ damnation emporte fentence de mort. Il faut donc prendre foin d'élever d'abord les Enfans de telle forte qu'ils ayent horreur de tuer ou de tourmenter des animaux; & leur

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apprendre à ne pas gâter ou détruire la moindre chofe, fi ce n'eft pour la conservation ou pour le bien d'une autre chofe qui foit d'une nature plús excellente. Et certainement, fi chaque homme en particulier fe croyoit obli gé de contribuer autant qu'il eft en fon pouvoir, à la confervation de tout le Genre Humain, comme en effet c'eft là le Devoir de tous les hommes, & le vrai Principe fur les quel nous devrions tous régler nôtre Religion, nôtre Politique, & nôtre Morale, le Monde feroit bien plus tranquille & plus civilife qu'il n'eft.

Mais pour revenir à mon sujet, je ne puis m'empêcher de loûer ici la prudence & la douceur d'une Femme de ma connoiffance. Elle avoit accoûtumé de fatisfaire toutes les petites envies de fes Filles, de leur donner des Chiens, des Ecureuils, dés Oifeaux, & autres petites Bêtes qui fervent d'amusement aux jeunes Filles. Mais lorsqu'elles avoient une fois ces Animaux en leur puiffance, elle les obligeoit à les bien entretenir, & à prendre garde que rien ne leur manquât, ou qu'ils ne fuffent point maltraitez: & fi elles negligeoient d'en prendre foin, cela leur étoit compté pour une groffe faute: bien fouvent on leur ôtoit ces petites Bêtes, ou du moins on les cenfuroit pour leur negligence. Par ce moyen ces jeunes Filles apprenoient de bonne heure à être exactes, & à avoir l'humeur douce & bienP. 2

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faifante. Et pour moi, je croi qu'on devroit accoûtumer les hommes à avoir, dès le berceau, de la tendreffe pour toutes les Créatures douées de fentiment, & à ne gâter ou détruire quoi que ce foit. Je ne faurois me mettre dans l'Esprit, que le plaifir que les Enfans prennent à faire du mal (par où j'entens ce plaifir à gâter les chofes fans néceffité, mais plus particuliérement la joye qu'ils goûtent à faire fouffrir de la douleur à des Créatures vivantes) je ne faurois, dis-je, me figurer qu'une telle inclination leur foit naturelle; & que ce foit autre chofe qu'une habitude produite par l'exemple & par la converfation des hommes. On apprend ordinairement aux Enfans à fe battre, & à rire lorsqu'ils font du mal aux autres, ou qu'ils voyent qu'il leur en arrive : & la conduite de la plupart des perfonnes qui font auprès d'eux, les confirment dans cette malheureufe difpofition d'Efprit. Tout ce qu'on leur apprend de l'Hiftoire ne confifte prefque en autre chofe qu'en recits de Combats & de maffacres: & enfin les glorieux éloges dont on comble les Conquerans (vrais bourreaux du Genre Humain pour la plûpart) achevent de corrompre l'Esprit des jeunes gens, qui dès-là fe figurent que l'Art de tuer les hommes eft la chofe du monde la plus loûable & la plus heroïque. Par ce moyen la Cruauté, toute contraire qu'elle est à nôtre nature, s'empare infenfiblement de nos cœurs:

&

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