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ment a fait une falutaire impreffion fur fon efprit; car puis que, foit en cenfurant, soit en battant les Enfans, on doit toûjours être auffi moderé qu'il eft poffible, lors qu'on' fait l'une ou l'autre de ces chofes dans le feu de la colére, on garde rarement cette moderation, mais au contraire on s'emporte ordinairement au delà des juftes bornes, quoi que dans le fonds cela ne fuffife pas pour produire l'effet qu'on defire.

§. CXV. En fecond lieu, la plupart des Enfans font portez à pleurer pour le moindre mal qu'ils ayent. Ils fe plaignent, ils crient au moindre accident qui leur arrive; & il y en a peu qui évitent cet écueil, car comme c'est là le prémier moyen naturel qu'ils ayent de faire connoître leurs fouffrances ou leurs néceffitez avant qu'ils puiffent parler, la pitié qu'on fe croit obligé d'avoir pour eux dans cet âge tendre & infirme, les entretient dans cette foibleffe, & les engage à continuer de recourir aux larmes, longtemps après qu'ils favent parler. C'eft fans doute le devoir de ceux qui font auprès des Enfans, d'avoir pitié d'eux lors qu'ils fouffrent quelque douleur, mais nullement de le leur témoigner. Secourez-les, foulagezles autant qu'il vous fera poffible, mais ne leur faites point paroître que vous êtes senfiblement touché de leurs maux. Ces plaintes attendriffent le cœur, & font cause, que le moindre mal qui leur arrive, pénétre fort O

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avant dans cette partie qui feule eft capable de fentiment, & y fait une playe plus profonde qu'il ne feroit autrement. Il faut que les Enfans s'endurciffent contre toute forte de maux, & fur tout, contre ceux du Corps. Ils ne doivent être fenfibles qu'à la honte, & à ce qui touche la réputation. Le grand nombre d'accidens fâcheux, auxquels nôtre vie eft expofée, nous oblige à n'être pas trop frappez de quelque petit mal particulier. Tout ce qui ne touche point nôtre Ame, ne fait qu'une légere impreffion, & ne nous cause qu'une très-petite incommodité; ce n'eft que la fenfibilité de nôtre Efprit qui produit & qui perpetue le mal. La fermeté & l'infenfibilité de l'Ame eft le meilleur bouclier que nous puiffions oppofer aux maux & aux accidens ordinaires de la vie ; & comme c'eft par l'exercice & par la coûtume qu'on peut acquerir cette vigueur de temperament, mieux que par aucun autre moyen, il faut commencer, au plûtôt à s'endurcir contre la douleur. Heureux celui qui y a été accoûtumé de bonne heure. Comme les larmes fervent plus qu'aucune autre chofe que je fache à augmenter dans les enfans cette molleffe d'efprit qu'il faut prévenir ou furmonter, lors qu'elle paroît, auffi n'y a-t-il rien qui puiffe mieux la reprimer & l'anéantir entiérement que de les empêcher de s'abandonner aux plaintes. Lors qu'il leur arrive de fe faire du mal en tombant ou en heurtant

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contre quelque chofe, au lieu de leur témoigner qu'on en eft touché, il faut leur dire d'y retourner, & par-là on les guerira mieux de leur chûte qu'en les querellant, ou en les plaignant. Enfin quels que foient les coups qu'ils reçoivent, arrêtez leurs pleurs tout auffi-tôt par ce moyen ils feront plus tranquilles fur l'heure, & deviendront moins fenfibles pour l'avenir.

§. CXVI. Quant à la prémiére espéce de pleurs, dont j'ai déja parlé, il faut employer la féverité pour les arrêter ; & fi un regard ou un ordre exprès ne peuvent le faire, il en faut venir aux coups. Car comme ces pleurs procédent d'orgueil, d'opiniâtreté, & de malice, il faut dompter la volonté, où est la fource du mal, & la faire plier par des mo yens qui foient capables de produire cet effet. Mais pour les pleurs de cette derniére efpece, lefquels pour l'ordinaire viennent d'une caufe tout-à-fait oppofée, favoir d'une trop grande fenfibilité, il faut recourir à des moyens plus doux pour les faire ceffer. D'abord, le meilleur feroit peut-être de propofer aux Enfans qui pleurent, des raisons pour les obliger à fe taire, ou de détourner leurs penfées fur quelque nouvel objet, ou bien de fe rire de leurs plaintes. Mais ici il faut avoir égard aux circonftances de la chofe & au temperament particulier de l'Enfant. On ne fauroit donner fur cela des regles précifes & invariables; c'eft une chofe qu'il faut 02 laif

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laiffer à la prudence des Parens ou des Gouverneurs. Mais je crois pouvoir dire en général, qu'il faudroit blâmer conftamment les Enfans qui pleurent par trop de sensibilité, & qu'un Pére par fes regards, par fes paroles & par fon autorité devroit toûjours faire ceffer actuellement leurs larmes, en mêlant à fes regards ou à fes paroles un plus grand degré de féverité, felon que l'Enfant est plus âgé ou d'une humeur plus retive.

XIV. De la Crainte & du Courage: moyens d'inspirer ce dernier aux Enfans.

Si un En- §. CXVII.

fant fe jette temerairement

L

A Lâcheté & la Courage ont une liaison fi étroite avec

les Qualitez dont je viens de parler, qu'il dans le pe ne fera pas mal d'en toucher ici un mot en ril, ce qu'il faut faire paffant. La Crainte eft une Paffion qui bien corriger de ménagée a fes ufages. Et quoi que pour l'orce défaut. dinaire l'amour de nôtre propre confervation

pour le

rende cette Paffion affez vigilante en nous, & la maintienne dans un affez haut point, il peut arriver pourtant qu'on tombe dans l'extrémité oppofée, & qu'on péche par trop de hardieffe; car il eft auffi déraisonnable d'être temeraire & infenfible au danger, que de trembler & de fremir à l'approche du moindre mal. La Crainte nous a été donnée pour exciter nôtre application, & pour nous

te

tenir en garde contre les approches du Mal: de forte que ne craindre point un Mal prêt à éclatter, & ne pas juger fainement de l'importance d'un danger, mais s'y précipiter aveuglément fans confidérer quelles en peuvent être les fuites, c'eft agir en Bête feroce, & non pas comme une Créature raisonnable. Ceux qui ont des Enfans de ce temperament, n'ont qu'à leur ouvrir un peu les yeux, en les engageant à confulter la Raifon, dont ils feront bientôt disposez à écouter les avis par l'amour de leur propre conservation, à moins que quelque autre Paffion ne les force (comme il arrive d'ordinaire) à courir à bride abbatue dans le Danger. L'averfion pour le Mal nous eft fi naturelle, que perfonne, je pense, ne peut s'empêcher de le craindre; la Crainte n'étant autre chofe qu'une inquiétude causée en nous par la pensée qu'il peut nous arriver quelque chofe de fâcheux. Ainfi l'on peut affurer que toutes les fois qu'un homme fe jette dans quelque danger, c'eft ou par ignorance, ou parce qu'il eft maîtrifé par quelque autre Paffion plus imperieufe que la Crainte. Car perfonne n'est fi ennemi de foi-même, qu'il s'expofe au mal de gayeté de cœur, & qu'il recherche le danger pour l'amour du danger même. Si donc on s'apperçoit que c'est l'orgueil, la vaine gloire, ou l'emportement qui étouffent la Crainte dans un Enfant, ou qui l'empêchent d'écouter fes confeils, il faut reO 3 pri

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