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ou de quelque indecence qu'il fe permettra à
lui-même. On doit compter que les mauvais
exemples feront toûjours plûtôt fuivis que
les bonnes regles. C'eftpourquoi celui qui
fe charge de l'éducation d'un Enfant, doit
prendre un foin tout particulier de le garan-
tir de la contagion de toute forte de méchans
exemples, & fur tout des plus dangereux,
je veux dire de ceux des Domestiques, de
la compagnie defquels il faut les éloigner non
en la leur defendant, car cela ne ferviroit
qu'à la leur faire rechercher avec plus d'ar-
deur, mais par d'autres voyes,
* dont j'ai
déja parlé.

IX. De la neceffité qu'il y a de te-
nir un Gouverneur auprès des
Enfans, & des qualitez qu'il
doit avoir,

* Voiez ci-
deffus,
§. LXXI.

§. XCIII. ducation des Enfans, il n'y importe de

E tout ce qui regarde l'E- Combien il

tenir un

neur auprès

des Enfans,

a rien à quoi l'on prenne ordinairement Gouvermoins de garde, ou qui foit d'un plus difficile examen que ce que je m'en vais dire, c'est que dès que les Enfans commencent à parler, on devroit tenir auprès d'eux une perfonne fage, retenue & habile qui prit soin de leur donner de bonnes impreffions, & de les préserver de toute forte de vices, & fur tout de la contagion des mauvaises com

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pagnies. Je croi que cet emploi demande beaucoup de prudence, de fobrieté, de tendreffe, de diligence, & de difcernement, qualitez qui fe trouvent difficilement ensemble, & fur tout dans les perfonnes qu'on peut avoir pour les petits appointemens qu'on a accoûtumé de donner à un Gouverneur. Pour ce qui eft de la dépense que vous ferez pour cela, vous ne fauriez, çe me femble, employer de l'argent pour vos Enfans d'une maniére qui puiffe leur être plus avantageuse: & fi vous dépensez à cela plus qu'on n'a accoûtumé de faire, cette dépenfe ne doit pas vous paroître trop forte. Celui qui, à quelque prix que ce foit, procure à fon Enfant un cœur droit, enclin à toutes les chofes vertueufes & utiles, & rempli de fentimens honnêtes, & dignes d'une perfonne bien élevée; celui-là, dis-je, qui n'épargne rien pour-orner l'Ame de fon Enfant de toutes ces excellentes qualitez, lui fait une meilleure acquifition que s'il ajoûtoit de nouvelles Ter res au fonds qu'il doit lui laiffer en héritage. Epargnez, tant qu'il vous plairra, en bijoux, en jouets, en belles étoffes de foye, en rubans, en dentelles, & autres dépenfes inutiles, mais n'épargnez rien lors qu'il s'agit d'une chofe auffi importante que celle-ci. Vous ne fauriez vous avifer d'un plus mauvais ménage que de travailler à faire un grand établissement à vôtre Enfant, & de negliger d'enrichir fon Ame d'aucune bonne qualité.

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J'ai fouvent été furpris de voir des gens, qui font pour leurs Enfans des dépenses exceffives en habits fomptueux; qui fe piquent de leur donner des appartemens magnifiques, de leur tenir une table splendide, de les faire fuivre d'un cortege inutile de valets; & qui dans le même temps ne fongent point du tout à leur cultiver l'efprit ; & ne prennent aucun foin de couvrir la plus honteufe de leur nudité, je veux dire leurs défauts naturels, leurs inclinations déréglées, & leur ignorance. Pour moi, je ne puis m'empêcher de croire qu'en cela ces personnes facrifient à leur propre vanité; car une telle conduite eft plûtôt une preuve de leur orgueil que d'un fincere defir de faire du bien à leurs Enfans. Voulez-vous faire voir que vous avez une veritable tendreffe pour vos Enfans? Mettez tout en usage pour leur perfectionner le Coeur & l'Efprit. Quoi que vous diminuiez par-là l'heritage que vous leur destinez, vous ne fauriez donner une plus belle preuve de l'affection que vous avez pour eux. Un homme qui a de l'habileté & de la vertu, ne manque guere d'être regardé comme un homme confiderable & heureux, ou du moins d'être tel effectivement. Mais un homme fou ou déreglé ne peut être eftimé des autres hommes, ou être heureux en lui-même quelques biens qu'il hễrite de fes Parens. Et en effet, n'aimeriezvous pas mieux que vôtre Enfant reffemblât

à certaines perfonnes qu'il y a dans le monde, & n'eut que cinq cens livres de rente, que s'il en avoit cinq mille, & qu'il reffemblât à d'autres que vous connoiflez?

§. XCIV. La confidération de la dépenfe qu'il faut faire pour tenir un Gouverneur auprès des Enfans, ne doit donc pas décourager ceux qui peuvent foûtenir cette dépense. La grande difficulté confifte à trouver une perfonne capable de se bien acquiter de cet emploi; car des jeunes-gens, des gens d'un merite & d'une vertu mediocres, n'y font point propres ; & pour les perfonnes qui ont de plus excellentes qualitez, on a de la peine à en trouver qui veuillent fe charger d'un tel emploi. C'eftpourquoi, il faut les chercher de bonne heure, & de tous côtez, car il y a de toute forte de gens dans le monde. Sur quoi il me fouvient que Montagne rapporte dans fes Effais, que le favant Caftalion fut contraint de faire des tranchoirs à Bafle, pour s'empêcher de mourir. de faim; que fon Pére auroit donné une fomme confidérable pour avoir un semblable Gouverneur auprès de fon Enfant ; & que Caf talion auroit pris volontiers cet emploi à des conditions raisonnables; mais qu'il fe vit réduit à l'extrémité qu'on vient de marquer faute d'être connu.

§. XCV. Si vous avez de la peine à rencontrer un Gouverneur tel que celui que je viens de décrire, vous ne devez pas en être

fur

furpris. Tout ce que je vous puis dire, c'est de n'épargner ni foin ni argent pour le trouver. Toutes les chofes du monde s'acquierent à ce prix-là; & j'ofe bien vous affurer par avance, que fi vous rencontrez un bon Gouverneur, bien loin d'avoir jamais regret à vôtre argent, vous aurez le plaifir de penfer que c'est l'argent que vous employez le plus à propos. Mais tenez pour maxime de ne prendre perfonne pour Gouverneur de vôtre Enfant, fur le rapport de vos Amis, ou par charité, ou en vue des grandes recommandations dont il eft chargé. Vous ne devez pas non plus vous déterminer en faveur d'un homme, fur la réputation qu'il a d'être (1) fobre, & favant, qui eft tout ce qu'on demande ordinairement dans un Gouverneur. En un mot, vous devez être auffi circonfpect à choisir un Gouverneur pour vôtre Enfant, que s'il s'agiffoit de lui choifir une Femme: car vous ne devez pas compter de faire effai d'une perfonne pour en prendre une autre dans la fuite, fi vous n'en êtes pas fatisfait, ce qui feroit une grande incommodité pour vous & plus grande encore pour vôtre Enfant. Quand je penfe aux fcrupules que je fais naître dans votre Efprit, & aux précautions où je vous engage à l'occasion du

(1) On compte pour beaucoup cette qualité en Angleterre ; & l'on ne manque gueres de la faire entrer dans le caractére d'un homme de bonne naiffance dont Qu veut donner une idée confidérable.

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