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Nic. Je fais ce que vous me dites.

M. Jour. Oh! l'étrange chose que d'avoir affaire à des bêtes! Tu allonges les lèvres en dehors. U, vois-tu? U; je fais la moue, U.

Nic. Oui, cela est beau!

Mad. Jour. Qu'est-ce que c'est donc que tout ce gali. matias-là ?

Nic. De quoi est-ce que tout cela guérit ?*

M. Jour. J'enrage, quand je vois des femmes ignorantes. Mad. Jour. Allez, vous devriez envoyer promenert tous ces gens-là avec leurs fariboles. En vérité vous êtes fou, mon mari, avec toutes vos fantaisies; et cela vous est venu depuis que vous vous mêlez de hanter la noblesse.

M. Jour. Lorsque je hante la noblesse, je fais paraître mon jugement; et cela est plus beau que de hanter votre bourgeoisie.

Mad. Jour. Vraiment ! il y a fort à gagner à fréquenter vos nobles! et vous avez bien opéré avec ce beau monsieur le comte dont vous vous êtes embéguiné.

M. Jour. Paix, songez à ce que vous dites. Savez-vous bien, ma femme, que vous ne savez pas de qui vous parlez, quand vous parlez de lui? C'est une personne d'importance plus que vous ne pensez, un seigneur que l'on considère à la cour, et qui parle au roi tout comme je vous parle. N'est-ce pas une chose qui m'est tout-à-fait honorable, que l'on voie venir chez moi si souvent une personne de cette qualité, qui m'appelle son cher ami, et me traite comme si j'étais son égal? Il a pour moi des bontés qu'on ne devinerait jamais, et devant tout le monde il me fait des caresses dont je suis moi-même confus.

Mad. Jour. Oui, il a des bontés pour vous et vous fait des caresses; mais il vous emprunte votre argent.

M. Jour. Hé bien! ne m'est-ce pas de l'honneur de prê ter de l'argent à un homme de cette condition-là ? et puis-je faire moins pour un seigneur qui m'appelle son cher ami?

Mad. Jour. Et ce seigneur, que fait-il pour vous?

M. Jour. Des choses dont on serait étonné si on les savait.
Mad. Jour. Et quoi ?

M. Jour. Baste, je ne puis pas m'expliquer. Il suffit que si je lui ai prêté de l'argent, il me le rendra bien, et avant qu'il soit peu.

* De quoi est-ce que tout cela guérit? of what service is all that? + Envoyer promener, to send a packing.

Mad. Jour. Oui, attendez-vous à cela.

M. Jour. Assurément. Ne me l'a-t-il pas dit?
Mad. Jour. Oui, oui; il ne manquera pas d'y faillir.
M. Jour. Il m'a juré sa foi de gentilhomme.

Mad. Jour. Chansons.

M. Jour. Ouais! vous êtes bien obstinée, ma femme. Je vous dis qu'il me tiendra sa parole, j'en suis sûr.

Mad. Jour. Et moi, je suis sûre que non, et que toutes es caresses qu'il vous fait ne sont que pour vous enjôler. M. Jour. Taisez-vous. Le voici.

Mad. Jour. Il vient peut-être encore vous faire quelque emprunt.

M. Jour. Taisez-vous, vous dis-je.

SCÈNE II.

DORANTE, M. JOURDAIN, MADAME JOURDAIN, NICOLE.

Dor. Mon cher ami monsieur Jourdain, comment vous portez-vous ?

M. Jour. Fort bien, monsieur, pour vous rendre mes petits services.

Dor. Et madame Jourdain que voilà, comment se porte-telle ?

Mad. Jour. Madame Jourdain se porte comme elle peut. Dor. Comment, monsieur Jourdain, vous voilà le plus propre du monde.

M. Jour. Vous voyez.

Dor. Vous avez tout-à-fait bon air avec cet habit; nous n'avons point de jeunes gens à la cour qui soient mieux faits que vous.

M. Jour. Hai, hai.

Dor. Tournez-vous. Cela est tout-à-fait galant.

Mad. Jour. (à part.) Oui, aussi sot par derrière que pai devant.

Dor. Ma foi, monsieur Jourdain, j'avais une impatience étrange de vous voir. Vous êtes l'homme du monde que j'estime le plus, et je parlais de vous encore ce matin dans la chambre du roi.

M. Jour. Vous me faites beaucoup d'honneur, monsieur. (à madame Jourdain.) Dans la chambre du roi !

Dor. Allons, mettez.

M. Jour. Monsieur, je sais le respect que je vous dois.
Dor. Mettez. Point de cérémonie entre nous, je vous prie.

M. Jour. Monsieur...

Dor. Mettez, vous dis-je, monsieur Jourdain; vous êtes mon ami.

M. Jour. Monsieur, je suis votre serviteur.

Dor. Je ne me couvrirai point, si vous ne vous couvrez M. Jour. (se couvrant.) J'aime mieux être incivil qu'importun.

Dor. Je suis votre débiteur, comme vous le savez.

Mad. Jour. (à part.) Oui, nous ne le savons que trop. Dor. Vous m'avez généreusement prêté de l'argent en plusieurs occasions; et vous m'avez obligé de la meilleure grâce du monde, assurément.

M. Jour. Monsieur, vous vous moquez.

Dor. Mais je sais rendre ce qu'on me prête, et reconnaître les plaisirs qu'on me fait.

M. Jour. Je n'en doute point, monsieur.

Dor. Je veux sortir d'affaires avec vous; et je viens ici pour faire nos comptes ensemble.

M. Jour. (bas, à madame Jourdain.) voyez votre impertinence, ma femme.

Hé bien! vous

Dor. Je suis homme qui aime à m'acquitter le plus tôt que je puis.

M. Jour. (bas, à madame Jourdain.) Je vous le disais bien.

Dor. Voyons un peu ce que je vous dois.

M. Jour. (bas, à madame Jourdain.) Vous voilà avec vos soupçons ridicules!

Dor. Vous souvenez-vous bien de tout l'argent que vous m'avez prêté ?

M. Jour. Je crois que oui. J'en ai fait un petit mémoire. Le voici. Donné à vous une fois deux cents louis.

Dor. Cela est vrai.

M. Jour. Une autre fois, cent vingt.

Dor. Oui.

M. Jour. Une autre fois, cent quarante.

Dor. Vous avez raison.

M. Jour. Ces trois articles font quatre cent soixante louis, qui valent cinq mille soixante livres.

Dor. Le compte est fort bon. Cinq mille soixante livres. M. Jour. Mille huit cent trente-deux livres à votre plumassier.

Dor. Justement.

M. Jour. Deux mille sept cent quatre-vingts livres à votre tailleur.

Dor. Il est vrai.

M. Jour. Quatre mille trois cent soixante-dix-neuf livres douze sous huit deniers à votre marchand.

Dor. Fort bien. Douze sous huit deniers, le compte est juste.

M. Jour. Et mille sept cent quarante-huit livres sept sous quatre deniers à votre sellier.

Dor. Tout cela est vrai. Qu'est-ce que cela fait ?

M. Jour. Somme totale, quinze mille huit cents livres. Dor. Somme totale est juste. Quinze mille huit cents livres. Mettez encore deux cents louis que vous m'allez donner, cela fera justement dix-huit mille francs, que je vous paierai au premier jour.

Mad. Jour, (bas, à M. Jourdain.) Hé bien! ne l'avaisje pas bien deviné ?

M. Jour. (bas, à madame Jourdain.) Paix!

Dor. Cela vous incommodera-t-il, de me donner ce que je vous dis ?

M. Jour. Hé! non.

Dor. Si cela vous incommode, j'en irai chercher ailleurs.
M. Jour. Non, monsieur.

Mad. Jour. (bas, à M. Jourdain.) Il ne sera pas content qu'il ne vous ait ruiné.

M. Jour. (bas, à madame Jourdain.) Taisez-vous, vous dis-je.

Dor. Vous n'avez qu'à me dire si cela vous embarrasse.
M. Jour. Point, monsieur.

Mad. Jour. (bas, à M. Jourdain.) Il vous sucera jusqu'au dernier sou.

M. Jour. (bas, à madame Jourdain.) Vous tairez-vous ? Dor. J'ai force gens qui m'en prêteraient avec joie; mais, comme vous êtes mon meilleur ami, j'ai cru que je vous ferais tort si j'en demandais à quelque autre.

M. Jour. C'est trop d'honneur, monsieur, que vous me faites. Je vais querir votre affaire.

Mad. Jour. (bas, à M. Jourdain.) Quoi! vous allez encore lui donner cela ?

M. Jour. (bas, à madame Jourdain.) Que faire ? voulez-vous que je refuse un homme de cette condition-là, qui a parlé de moi ce matin dans la chambre du roi ?

Mad. Jour. (bas, à M. Jourdain.) Allez, vous êtes une vraie dupe.

SCÈNE III.

DORANTE, MADAME JOURDAIN, NICOLE.

Dor. Vous me semblez toute mélancolique: qu'avez. vous, madame Jourdain ?

Mad. Jour. J'ai mal à la tete.

Dor. Mademoiselle votre fille, où est-elle, que je ne la vois point?

Mad. Jour. Mademoiselle ma fille est bien où elle est.
Dor. Comment se porte-t-elle ?

Mad. Jour. Elle se porte sur ses deux jambes.

Dor. Ne voulez-vous point, un de ces jours, venir voir avec elle le ballet et la comédie que l'on donne chez le roi ? Mad. Jour. Oui, vraiment, nous avons fort envie de rire. Dor. Je pense, madame Jourdain, que vous avez eu bien des amants dans votre jeune âge, belle et d'agréable humeur comme vous étiez.

Mad. Jour. Comment, monsieur! est-ce que madame Jourdain est décrépite? et la tête lui branle-t-elle déjà ?

Dor. Ah! madame Jourdain, je vous demande pardon : je ne songeais pas que vous êtes jeune ; et je rêve le plus souvent. Je vous prie d'excuser mon impertinence.

SCÈNE IV.

CLÉONTE, COVIELLE.

(Cléonte est piqué contre Lucile qu'il vient de rencontrer et qui, au lieu de s'arrêter pour lui parler, a détourné ses regards, et passé brusquement, parce qu'elle était vue par une vieille tante dont elle redoute la sévérité. Covielle a la même cause de mécontentement contre Nicole.)

Clé. Quoi! traiter un amant de la sorte! et un amant le plus fidèle de tous les amants!

Cov. C'est une chose épouvantable que ce qu'on nous fait à tous deux.

Clé. Peut-on rien voir d'égal, Covielle, à cette perfidie de l'ingrate Lucile ?

Cov. Et à celle, monsieur, de sa suivante, Nicole ?

Clé. Après tant de sacrifices ardents, de soupirs, et de vœux que j'ai faits à ses charmes !

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