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chose qu'apprendre à parler, quigrec, qui latin, qui hebreu. Lesquelz ans finiz, et finie avecques eux ceste vigueur et promptitude, qui naturellement regne en l'esprit des jeunes hommes, alors nous procurons estre faictz phylosophes, quand pour les maladies, troubles d'afaires domestiques, et autres empeschementz qu'ameine le tens, nous ne sommes plus aptes à la speculation des choses. Et bien souvent etonnez de la difficulté et l'ongueur [longueur] d'apprendre des motz seulement, nous laissons tout par desespoir, et hayons les lettres premier que nous les ayons goutées, ou commencé à les aymer.

Faut il donques laisser l'etude des langues? Non d'autant que les ars et sciences sont pour le present entre les mains des Grecz et Latins. Mais il se devroit faire à l'avenir qu'on peust parler de toute chose par tout le monde et en toute langue. J'entens bien que les proffesseurs des langues ne seront pas de mon opinion, encores moins ces venerables Druydes, qui pour l'ambicieux desir qu'ilz ont, d'estre entre nous ce qu'estoit le philosophe Anacharsis entre les Schytes, ne craignent rien tant que le secret de leurs mysteres, qu'il fault apprendre d'eux, non autrement que jadis les jours des Chaldees, soit decouvert au vulgaire, et qu'on ne creve (comme dict Ciceron) les yeux des corneilles. A ce propos, il me souvient avoir ouy dire maintesfois à quelques uns de leur academie, que le roy Francoys (je dy celuy Francoys, à quila France de doit moins qu'à Auguste Romme), avoit deshonoré les sciences, et laissé les doctes en mespris. O tens! ò mœurs! ò crasse ignorance! n'entendre point que tout ainsi qu'un mal, quand il s'etent plus loing est d'autant plus pernicieux, aussi est un bien plus profitable, quand plus il est commun! Et s'ilz veulent dire (comme aussi disent ilz) que d'autant est un tel bien moins excellent et admirable entre les hommes, je repondray qu'un si grand appetit de gloire et une telle envie [ne] devroit regner aux coulomnes de la republique chrestienne, mais bien en ce roy ambicieux, qui se plaignoit à son maistre pource qu'il avait divulgué les sciences acroamatiques, c'est à dire,

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qui ne se peuvent apprendre que par l'audition du précepteur. Mais quoy? ces geans ennemis du ciel, veulent ilz limiter la puissance des dieux, et ce qu'ilz ont par un singulier benefice donné aux hommes, restreindre et enserrer en la main de ceux qui n'en scauroient faire bonne garde? Il me souvient de ces reliques, qu'on voit seulement par une petite vitre, et qu'il n'est permis toucher avecques la main. Ainsi veullent ilz faire de toutes les disciplines, qu'ilz tiennent enfermées dedans les livres greczs et latins, ne permettant qu'on les puisse voir autrement, ou les transporter de ces paroles mortes en celles qui sont vives et volent ordinairement par les bouches des hommes.

J'ay (ce me semble) deu assez contenter ceux qui disent que nostre vulgaire est trop vil et barbare pour traiter si hautes matieres que la philosophie. Et s'ilz n'en sont encores bien satisfaiz, je leur demanderay pourquoy donques ont voyaigé les anciens Grecz par tant de païz et dangers, les uns aux Indes pour voir les Gymnosophistes, les autres en Egypte pour emprunter de ces vieux prestres et prophetes ces grandes richesses, dont la Grece est maintenant si superbe? Et toutesfois ces nations, ou la phylosophie a si voluntiers habité, produysoint (ce croy-je) des personnes aussi barbares et inhumaines que nous sommes, et des paroles aussi etranges que les nostres. Bien peu me soucyroy-je de l'elegance d'oraison qui est en Platon et en Aristote, si leurs livres sans rayson etoint ecriz. La phylosophie vrayement les a adoptez pour ses filz, non pour estre nez en Grece, mais pour avoir d'un hault sens bien parlé et bien ecrit d'elle. La verité si bien par eux cherchée, la disposition et l'ordre des choses, la sententieuse breveté de l'un et la divine copie de l'autre est propre à eux, et non à autres; mais la nature, dont ils ont si bien parlé, est mere de tous les autres, et ne dedaigne point se faire congnoitre à ceux qui procurent avecques toute industrie entendre ses secrets, non pour devenir Grecz, mais pour estre faiz phylosophes.

Vray est que pour avoir les ars et sciences tousjours eté en

la puissance des Greez et Romains, plus studieux de ce qui peut rendre les hommes immortelz que les autres, nous croyons que par eux seulement elles puyssent et doyvent estre traictées. Mais le tens viendra paraventure (et je suplye au Dieu tresbon et tresgrand que ce soit de nostre aage) que quelque bonne personne, non moins hardie qu'ingenieuse et scavante, non ambicieuse, non craignant l'envie ou hayne d'aucun, nous otera cete faulse persuasion donnant à notre langue la fleur et le fruict des bonnes lettres; autrement si l'affection, que nous portons aux langues etrangeres (quelque excellence qui soit en elles), empeschoit cete notre si grande felicité, elles seroint dignes veritablement non d'envie mais de hayne, non de fatigue mais de fascherie; elles seroint dignes finalement d'estre non apprises, mais reprises de ceux qui ont plus de besoing du vif intellect de l'esprit que du son des paroles mortes.

Voyla quand aux disciplines. Je reviens aux poëtes et orateurs, principal object de la matiere que je traite, qui est l'ornement et illustration de notre langue.

CHAPITRE XI.-Qu'il est impossible d'egaler les anciens en leurs langues.

Toutes personnes de bon esprit entendront assez que cela, que j'ai dict pour la deffense de nostre langue, n'est pour decouraiger aucun de greque et latine: car tant s'en fault que je soye de cete opinion, que je confesse et soustiens celuy ne pouvoir faire œuvre excellent en son vulgaire, qui soit ignorant de ces deux langues, ou qui n'entende la latine pour le moins. Mais je seroy' bien d'avis qu'apres les avoir apprises, on ne deprisast la sienne, et que celuy qui par une inclination naturelle (ce qu'on peut juger par les œuvrés latines et thoscanes de Petrarque et Boccace, voire d'aucuns scavans hommes de nostre tens) se

sentiroit plus propre à ecrire en sa langue qu'en grec ou en latin, s'etudiast plus tost à se rendre immortel entre les siens, ecrivant bien en son vulgaire, que, mal ecrivant en ces deux autres langues, estre vil aux doctes pareillement et aux indoctes. Mais s'il s'en trouvoit encores quelques uns de ceux, qui de simples paroles font tout leur art et science, en sorte que nommer la langue greque et latine, leur semble parler d'une langue divine, et parler de la vulgaire, nommer une langue inhumaine, incapable de toute erudition, s'il s'en trouvoit de telz, dy je, qui voulussent faire des braves, et depriser toutes choses ecrites en francoys, je leur demanderoy' voluntiers en ceste sorte: Que pensent donq' faire ces reblanchisseurs de murailles, qui jour et nuyt se rompent la teste à immiter: que dy je immiter? mais transcrire un Virgile et un Ciceron? batissant leurs poëmes des hemystyches de l'un, et juranten leurs proses aux motz et sentences de l'autre, songeant (comme a dict quelqu'un) des peres conscriptz, des consuls, des tribuns, des comices, et toute l'antique Rome, non autrement qu'Homere, qui en sa Batracomyomachie adapte aux raz et grenouilles les magnifiques tiltres des dieux et déesses. Ceux la certes meritent bien la punition de celuy, qui ravy au tribunal du grand Juge, repondit qu'il etoit ciceronien. Pensent-ilz doncq' je ne dy egaler, mais approcher seulement de ces aucteurs, en leurs langues ? recuillant de cet orateur et de ce poëte ores un nom, ores un verbe, ores un vers, et ores une sentence: comme si en la façon qu'on rebatist un vieil edifice, il s'attendoint rendre par ces pierres ramassées à la ruynée fabrique de ces langues, sa premiere grandeur et exceilence.

Mais vous ne serez ja si bons massons (vous qui estes si grands zelateurs des langues greque et latine) que leur puissiez rendre celle forme, que leur donnarent premierement ces bons et excellens architectes; et si vous esperez (comme fist Esculape des membres d'Hippolyte) que par ces fragmentz recuilliz, elles puyssent estre resuscitées, vous vous abusez, ne pensant point qu'à la cheute de si superbes edifices conjointe à la ruyne fatale de ces

deux puissantes monarchies, une partie devint poudre, et l'autre doit estre en beaucoup de pieces, les queles vouloir reduire en un seroit chose impossible: outre que beaucoup d'autres parties sont demeurées aux fondementz des vieilles murailles, ou egarées par le long cours des siecles, ne se peuvent trouver d'aucun. Par. quoy venant à redifier cete fabrique, vous serez bien loing de luy restituer sa premiere grandeur, quand, ou souloit estre la sale, vous ferez paraventure les chambres, les etables ou la cuysine, confundant les portes et les fenestres, bref changeant toute la forme de l'edifice. Finablement j'estimeroy' l'art pouvoir exprimer la vive energie de la nature, si vous pouviez rendre cete fabrique renouvelée semblable à l'antique, etant manque l'idée, de la quele faudroit tyrer l'exemple pour la redifier. Et ce (afin d'exposer plus clerement ce que j'ay dict) d'autant que les anciens usoint des langues, qu'ilz avoint succées avecques le laict de la nourice, et aussi bien parloint les indoctes comme les doctes, sinon que ceux cy aprenoint les disciplines et l'art de bien dire, se rendant par ce moyen plus eloquens que les autres. Voyla pourquoy leurs bien heureux siecles etoint si fertiles de bons

les femmes mesmes aspi

poëtes et orateurs. Voyla pourquoy roint à ceste gloire d'eloquence et erudition, comme Sapho, Corynne, Cornelie, et un milier d'autres, dont les noms sont conjoings avecques la memoire des Grecz et Romains.

Ne pensez donques immitateurs, troupeau servil, parvenir au point de leur excellence, veu qu'à grand' peine avez vous appris leurs motz, et voyla le meilleur de votre aage passé. Vous deprisez nostre vulgaire, paraventure non pour autre raison, sinon que des enfance et sans etude nous l'apprenons, les autres avecques grand peine et industrie. Que s'il etoit, comme la greque et latine, pery et mis en reliquaire de livres, je ne doute point qu'il ne feust (ou peu s'en faudroit) aussi dificile à apprendre comme elles sont. J'ay bien voulu dire ce mot, pour ce que la curiosité humaine admire trop plus les choses rares et difficiles à trouver, bien qu'elles ne soint si commodes pour l'usaige de la vie, comme

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