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nos vieux auteurs et des écrivains grecs? Il y a dans la littérature greeque une mesure pour le goût, des sources abondantes, sapides et pures, propres au plus haut degré à le réveiller et à le raffermir, à retremper notre esprit, et à redonner de la vie à notre idiôme corrompu et desséché.

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C'est en méditant ces divins modèles, c'est en reprenant leur style simple et orné, naturel et sévère, que nous parviendrons à reconquérir quelques-unes des qualités de cette période si riche de pensée et de poésie, si belle, si féconde, qui produisit La Fontaine, Molière, Pascal, Sévigné, Bossuet, Malebranche', Boileau, Racine, La Bruyère, Regnard, Fénelon. Que de justesse d'esprit, que de brillant, que de force et de grace! Où ont-ils pris leur langue, et qu'est-elle devenue!.....

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Fontenelle (1657); Rollin (1661); Massillon (1663); Jacques Saurin (1667); Lesage |(1668); d'Aguesseau (1668); J.-B. Rousseau (1670); Du Cerceau (1670); La Motte (1672); Le Grand (1673); Crébillon (1674); Saint-Simon (1675); Mesenguy (1677); de Mairan (1678); Destouches (1680); Madame de Tencin (1681); D'Olivet (1682). Moncrif (1687); Marivaux (1688); Piron (1689); Montesquieu (1689); La Chaussée (1692); L. Racine (1692); Madame de Staal (1693); Madame de Grafigny (1694); Voltaire (1694); Panard (1694); Prevost (1697); Maupertuis (1698); Duclos (1704); Buffon (1707); Mably (1709); Gresset (1709); Collé (1709); Lefranc de Pompignan (1709); Favart (1710); P.-J. Bernard (Gentil) (1710).

La langue française achève de se développer. Elle atteint dans Voltaire un degré de clarté, de précision, de convenance et de dégagé, qui a placé cet écrivain au-dessus de tous nos prosateurs; et comme Cicéron fut l'orateur romain, Voltaire fut l'orateur parisien. Dans son genre d'éloquence, qui était le genre simple, il a su prendre tous les tons avec une égale perfection de style, et il

demeure pour nous le modèle de l'orateur familier. Pour le mouvement du style, pour la propriété et la convenance des termes, il est aux Français ce que fut Cicéron chez les Latins, c'est lui qui a le mieux connu notre langue, je ne dirai pas en profondeur, mais en étendue; et quiconque voudra devenir prosateur français doit prendre Voltaire pour lecture journalière. Dans ses belles tragédies et dans la Henriade, il peut former à la haute éloquence, non moins que Racine et Corneille; et c'est là peut-être le plus grand avantage littéraire de nos tragédies classiques. Mais la phrase de Voltaire ne comportait pas le rithme; sous ce rapport il doit être complété par Bossuet, qui, dans sa simplicité, est le plus savant et le plus cadencé de nos prosateurs.

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Mais Bossuet, par son caractère plein d'ardeur et d'énergie, a gardé quelquefois dans ses mouvements oratoires un reste de brusquerie, dont Massillon fut toujours exemt. Les qualités de ces trois hommes, réunies sur une seule tête, nous montreraient le parfait orateur, dont Racine est peut-être le modèle humain, Racine, né pour le plaisir de l'oreille et de l'esprit, Racine qui excella dans le discours, le dialogue et la narration, dans le comique et le tragique, dans le poëme dramatique, l'hymne et l'épigramme. C'est ce poëte heureux que demandait Boileau, qui, fort, noble et aisé, pût (831)

D'une voix légère

Quash Passer du grave au doux, du plaisant au sévère.

(Art poet., c. 1, V, 75, 76.).

Aussi est-il aimé du ciel et chéri des lecteurs dont le goût est élevé et délicat,

Il est à remarquer, dans cette période, que les protestants, qui étaient les prosateurs les plus purs du seizième siècle, sont devenus incorrects. Mais si Bayle et Jacques Saurin ne se sont point placés au rang de nos premiers écrivains du dix-septième siècle, où leur génie les appelait, c'est sans doute parce qu'ils n'habitaient point Paris, mais vivaient dans l'exil, au milieu des étrangers. Ils eurent ce qu'on appela le style réfugié.

L'ode a perdu la molle aisance et la grace que lui avaient conservées Malherbe et Conrard. J.-B. Rousseau, célèbre par quelques belles odes et par des épigrammes mordantes, est quelquefois incorrect, souvent dur, presque toujours tendu. Il prend le mouvement oratoire pour la chaleur poétique, et met dans l'ode la contexture de phrase du style didactique.

Les mauvais auteurs contemporains de Racine ne sont que plats et négligés; ils sont en retard et non en décadence; mais J.-B. Rousseau était un esprit faux, qui finit par devenir un écrivain alambiqué et barbare. La Motte, beaucoup plus prosaïque que lui, est le plus dur des versificateurs. Crébillon est incorrect, enflé et bel esprit.

Le style de l'époque classique est parvenu à son dernier degré de perfection, et déjà se montrent dans la littérature des symptômes de décadence. Voltaire dans la tragédie, Rousseau dans l'ode, Buffon dans la prose ont tendu la langue autant qu'elle peut l'être; le scepticisme et le bel esprit s'infiltrant dans la littérature y deviennent des germes de mort pour la poésie. M. Villemain a dit avec sa justesse et son charme habituels, en parlant de Fontenelle : « Il n'a pas renoncé à toutes les affectations du bel esprit. Tantôt il les cherche dans le contraste d'un terme familier avec une idée savante, d'une expression galante et mondaine avec de sérieuses études. Tantôt il rend avec subtilité une pensée commune, ou fait une plaisanterie fade et contournée, Quelquefois même il est obscur à force de finesse. Il a ce caractère particulier, remarqué dans d'autres littératures, d'avoir gâté la diction avant la langue, et de composer souvent des phrases recherchées avec des expressions très-pures et des tours indigènes.

>> Sous ce rapport, il marque la même décadence que Pline ou Sénèque. Mais en même temps, et cette différence est due tout à la fois à l'influence des sciences et à la supériorité de sa raison, il a souvent une belle et heureuse netteté que l'esprit orne avec discrétion, et ne surcharge pas. Il est même quelquefois simple, oui, simple, quoique Fontenelle.» (Tableau du XVIIIe siècle, 1 partie, 13 leçon.)

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CHAPITRE XII.

Écrivains nés de 1710 à 1759.

Age classique. Décadence. Réaction.

J.-J. Rousseau (1712); Raynal (1713); Diderot (1713); Madame Riccoboni (1714); Condillac (1715); Vauvenargues (1715); Barthélemy (1716); Saint-Lambert (1716); Fréron (1719); Marmontel (1719); Sedaine (1719); Ch. Bonnet (1720); Desmahis (1722); Le Brun (1729); Palissot (1730); Legouvé (1730); Beaumarchais (1732); Thomas (1732); Colardeau (1732); Malfilâtre (1733); Ducis (1733); Dorat (1734); Rulhière (1735).

Bailly (1736); Bernardin de Saint-Pierre (1737); Delille (1738); La Harpe (1739); Chamfort (1741); Condorcet (1743); Léonard (1744); Roucher (1745); Madame de Genlis (1746); Maury (1746); Mirabeau (1749); Berquin (1750); Gilbert (1751); Bertin (1752); L.-Ph. Ségur (1753); Pigault-Lebrun (1753); J. de Maistre (1753); Parny (1753); Destut de · Tracy (1754); Florian (1755); Volney (1755); Louis XVIII (1755); Piis (1755); Collin-Harleville (1755); Madame Roland (1756); Laromiguière (1756); Rivarol (1757); La Fayette (1757); Vergniaux (1759). Tout se tient dans la littérature, tout a ses conséquences. Le tems de Bossuet et de Bourdaloue semblait bien éloigné d'une époque où règnerait un esprit anti-catholique; cependant si l'on y regarde de bien près, on verra qu'elle produisit les Contes de La Fontaine, le Lutrin de Boileau, l'épicurien Chaulieu, et enfin le sceptique Bayle. Voilà qui préludait bien aux épigrammes de J.-B. Rousseau contre les moines, aux Lettres Persanes, à Esprit des Lois et aux diatribes de Voltaire. En même tems Basnage, Beausobre, Jacques Saurin combattaient l'église romaine. Mais à Voltaire surtout est due la ruine du christianisme positif en France; il fut le fléau des chrétiens. J.-J. Rousseau, le vrai fondateur du rationalisme moderne, acheva, par sa dialectique puissante, l'œuvre de destruction, et sapa les fondements de la monarchie. Enfin parurent Mirabeau et Robespierre: l'œuvre est achevée, la ruine accomplie; et cette immense et prodigieuse révolution a eu pour point de départ les épigrammes lancées par les troubadours et les trouvères contre les moines et les hommes de loi du moyen-âge.

Voilà quels furent la nature et le succès de la philosophie fran

çaise, qui a été presque toute critique. Voyons quelle fut la marche du goût. Comme Fénelon l'a fort bien remarqué, la vraie supériorité des anciens sur les modernes consiste en ce qu'ils ont été exemts du bel-esprit. Ce n'est pas que tous les auteurs latins. en soient purs, mais ce sont des écrivains des derniers tems. Malheureusement ils furent avec les Arabes, beaux-esprits par excellence, les maîtres des poëtes provençaux; les Provençaux furent à leur tour les premiers modèles des poëtes italiens. Au treizième siècle les trouvères aussi commencèrent à donner dans le bel-esprit; au seizième siècle et au commencement du dixseptième les pointes nous revinrent en foule et d'Espagne, et d'Italie. Au dix-septième siècle le bel esprit succomba sous les coups de Molière et de Boileau; et néanmoins plusieurs de nos plus excellents écrivains de la seconde moitié du dix-septième siècle, qui fut chez nous la période de l'art et du bon sens, se sont ressentis de son règne. Il avait abondé dans Marot; Malherbe y avait sacrifié ; il déborde dans Voiture et dans Fontenelle; Corneille et même La Fontaine, Racine, La Bruyère n'en furent pas complétement exemts. Balzac, Fléchier, D'Aguesseau, Montesquieu et Buffon, hommes graves, sont des beaux-esprits; ils veulent briller, et dans des genres où il faut être simple. Parmi nos hommes éminemment spirituels, deux auteurs de la génération qui suivit immédiatement Molière et Boileau, Le Sage et Voltaire, ont mérité cette louange qu'avec infiniment d'esprit ils ont évité l'écueil du belesprit. Voltaire a trop de sentences et de rhétorique dans ses tragédies et dans sa Henriade; il est quelquefois violent et grossier dans ses satires, mais jamais il ne donne dans le bel-esprit.

Les autres défauts qui trop souvent ont gâté notre littérature, même au dix-septième siècle, sont la rhétorique et la pédanterie. Plusieurs satires de Boileau ne sont autre chose que des thèmes de rhétorique, qu'il s'amuse à développer pour faire briller son bon esprit et pour bien parler; telles sont la satire sur l'Homme et celle sur la Femme. Bien que le bon sens de Boileau ait mis dans ces compositions des vérités piquantes, leur but n'est pas sérieux.

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