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guesseau, P.-L. Courier, et probablement aussi Bernardin de Saint-Pierre avaient fait une étude approfondie du français d'Amyot. On peut dire de ce traducteur original ce que Voltaire disait de Fénelon, que son style est flatteur et sa prose admirable, encor qu'un peu traînante. Du reste, pour les locutions et les tournures, c'est le guide le plus sûr que l'on puisse choisir au seizième siècle. Je considère les ouvrages de cet écrivain comme un champ fertile en beaux archaïsmes. Quelques écrivains du quinzième siècle, Rabelais, Marot et Amyot seront entre les mains de vrais artisans du langage des sources éternelles de jeunesse pour notre langue. La Fontaine, excellent guide, nous est un exemple de ce qu'on peut tirer de nos vieux auteurs, pour renouveler la langue et lui rendre de la fraîcheur. Amyot en particulier, plein de justesse et de grace, a une flexibilité de style qui, depuis cent ans, a presque disparu de notre littérature, et que par la méditation de ces vieux auteurs on pourrrait peut-être lui rendre, dans la poésie du moins. De stupides grammairiens se sont efforcés de l'en bannir. Par leurs prédications et avec l'aide du tems le charme a opéré, et depuis le milieu du siècle dernier, notre langue n'a cessé de gagner en roideur. La pureté de la langue est nécessaire, elle est divine. Il fallut la demander à grands cris après le débordement néologique du seizième siècle; mais elle n'est pas inhérente à la construction directe, qui s'allie, comme on l'a trop bien vu depuis cent ans, avec tous les barbarismes. On ne doit pas taire qu'à la suite de Malherbe et de Vaugelas sont venus des puristes durs, ignorants et étroits, qui ont chassé une à une toutes les richesses poétiques et toutes les graces de la langue.

Le P. Rapin, dans un estimable ouvrage, écrivait en 1691 :

« Un trop grand soin d'être si fort regulier, si exact et si juste dans le discours, est quelquefois dangereux : il fatigue celuy qui parle et celuy qui escoute....—On expose mesme nostre langue, de la maniere dont on la traite aujourd'huy, à perdre sa force et son abondance, pour vouloir trop conserver sa douceur et sa delica

tesse.» (Réflexions sur l'usage de l'éloquence de ce temps, p. 48 et 49.)

Fénelon donnait des regrets au vieux langage. Consulté par M. Dacier, secrétaire perpétuel, au nom de l'Académie Française, au sujet de son Dictionnaire, il répondit par une lettre dans laquelle on remarque le passage suivant:

<«< Notre langue manque d'un grand nombre de mots et de » phrases: il semble même qu'on l'a gênée et appauvrie depuis » environ cent ans en voulant la purifier. Il est vrai qu'elle étoit >> encore un peu informe et trop verbeuse. Mais le vieux langage » se fait regretter, quand nous le retrouvons dans Marot, dans » Amyot, dans le cardinal d'Ossat, dans les ouvrages les plus en⚫joués et dans les plus sérieux : il avoit je ne sais quoi de court, » de naïf, de hardi, de vif et de passionné. On a retranché, si je » ne me trompe, plus de mots qu'on n'en a introduit. » (Lettre écrite à l'Académie Française, édition de 1787, in-4°, t. III, p. 317, et 318.)

Mlle Gournay, Ménage, La Bruyère, Bayle, Rollin, Marmontel, François de Neufchâteau, et plusieurs autres hommes instruits et d'un esprit poli, ont fait entendre les mêmes regrets.

D'Olivet, ce traducteur de Cicéron, cet ami de Voltaire, ce critique respectueux de Racine, cet écrivain didactique, cet homme classique, disait : « Nos neveux, s'ils sont sages, ne feront pas » comme nous, qui avons perdu par caprice une infinité d'anciens >> mots, pour les remplacer par d'autres moins propres et moins » significatifs. On a voulu épurer notre langue depuis François I. » Peut-être a-t-on fait comme ces médecins qui, à force de sai»gner et de purger, précipitent leur malade dans un état de foi» blesse d'où il a bien de la peine à revenir.» (Remarques sur Racine, XIII, 1767.)

CHAPITRE VII. Renaissance. Écrivains nés de 1520
à 1545.

L. Leroy; Ronsard (né en 1524); Joachim du Bellay (né vers 1524); Louise Labé (1526) ; Brantôme (né vers 1527); Remy Belleau (1528); Henry Estienne (1528); Estienne Pasquier (1529); Gui du Faur de de Pibrac (1529); Jean Bodin (1530); F. de La Noue (1531); Baïf (1532); Jodelle (1532); Montaigne (1533); Passerat (1534); Vauquelin de La Fresnaye (1536); D'Ossat (1536), Scévole de SainteMarthe (1536); ; Pierre Pithou (1539); Serres du Pradel (1539); Nic. Rapin (né vers 1540); Jean de la Taille (né vers 1540); Amadis Jamyn (né vers 1540); Charron (1541); Simon Goulard (1543); Salluste du Bartas (1544).

L'époque dans laquelle nous entrons est celle des emprunts, de l'imitation et du néologisme. La célèbre Pléiade, dont Ronsard était le roi, y fait son apparition et la domine. On ne saurait refuser à cette école une grande puissance littéraire, la verve, l'abondance des idées, la richesse des images, enfin une force rénovatrice dont avait besoin notre vieille littérature. Joachim du Bellay, ami et émule de Ronsard, dans son beau discours intitulé Défense et Illustration de la Langue françoise, s'éleva éner– giquement contre ceux qui rejetaient l'emploi de la langue vulgaire dans la haute littérature. Il demanda que les Français fissent aussi bien que les anciens, des comédies et des tragédies, s'employassent à étudier nos vieux poëmes et nos anciennes chroniques, afin de composer des épopées sur d'anciens sujets nationaux, ou d'écrire l'histoire à l'imitation de Tite-Live, de Thucydide et de Salluste. Il fit sentir que pour égaler les anciens, il faut surtout les étudier, les imiter, non dans des compositions latines, mais dans la langue française.

Déjà Calvin fesait renaître l'éloquence simple et grave des anciens. Ronsard, dont la poésie n'est pas sans quelque rapport avec celle des Méditations, créait l'ode pastorale ou champêtre, et fesait prendre à l'élégie un essor plus élevé.

Que l'on compare la pièce suivante aux vers de Marot, et l'on verra quel pas immense Ronsard fit faire à la langue; mais quand il pindarise, il traîne le lecteur sur des rocs et des épines.

Marie au Tombeau.

Comme on void sur la branche au mois de May la rose,

En sa belle jeunesse, en sa premiere fleur,

Rendre le Ciel jaloux de sa vive couleur,

Quand l'Aube de ses pleurs au point du jour l'arrose:

La Grace dans sa feuille et l'Amour se repose,
Embasmant les jardins et les arbres d'odeur;
Mais, battue ou de pluie ou d'excessive ardeur,
Languissante elle meurt, feuille à feuille déclose.

Ainsi en ta première et jeune nouveauté,
Quand la terre et le Ciel honoroient ta beauté,
La Parque t'a tuée, et cendre tu reposes:
Pour obsèques reçoy mes larmes et mes pleurs,
Ce vase plein de laict, ce pannier plein de fleurs,
Afin que vif et mort ton corps ne soit que roses (1).

Comme cela est pittoresque et gracieux! quelle manière large ! quelle souplesse dans le vers! Si jamais sonnet valut un poème, n'est-ce pas celui-ci? et il y en a vingt comme cela dans Ronsard.

A cette même époque, féconde en poëtes, en théologiens, en jurisconsultes, où de nouvelles idées et de nouvelles passions agitent l'Europe, Montaigne, plein des moralistes anciens, et jetant dans le style une énergie familière et de vives images, apprit aux Français à douter et à observer, et fut un des pères de la langue. Pour un homme de tact, il y aurait au moins autant à puiser pour l'éloquence et pour la richesse de la langue dans Montaigne que dans Amyot et Rabelais. Ses Essais n'ont pas été

(1) V. OEuvres choisies de Pierre de Ronsard, par C. A. Sainte-Beuve. Paris, 1828, in-8°, p. 60.

inutiles, non-seulement pour les idées, mais pour l'art d'écrire, à Descartes, à Balzac, à Pascal, à La Bruyère et à J.-J. Rous

seau.

Vers ce tems on commence à faire des remarques sur les locutions françaises: Henri Estienne, né à Paris en 1528, publie un traité des Conformités du François et du Grec, et la Précellence du François sur l'Italien; Rabelais avait déjà critiqué le néologisme outré dans un chapitre de son roman satirique.

Marot et Ronsard recommandent l'emploi de la construction directe, l'un des caractères de notre langue; Joachim Du Bellay présente la cour comme la seule eschole où on apprend à bien et proprement parler.

L'an 1539, François Ier consacre par une ordonnance l'usage de la langue française dans les tribunaux, et l'impose dans l'enseignement aux professeurs du Collège de France.

Le XVIe siècle fut réellement l'époque décisive pour la maturité et la suprématie du français de Paris. Tout lui fit place : la langue d'oc, déjà oubliée, les dialectes du langage d'oïl, et le latin des savants et des gens de loi.

Mais cette époque si féconde pour la littérature, et qui prépara la philosophie moderne, est, il faut le dire, chez presque tous les poëtes et dans plusieurs prosateurs, dangereuse pour l'étude de la langue; il faut avoir un goût sûr pour y puiser, mais alors les richesses sont abondantes. Les styles sont souvent mélangés ; ces auteurs sont communs et apprêtés, mignards et pédantesques. Ils se lisent avec moins d'agrément que leurs prédécesseurs, parce que leur style sent la traduction et l'imitation. Par eux les traditions du langage furent interrompues. Une néologie baroque et inutile fut mise dans la poésie. Ronsard lui-même, ce poëte si inspiré et si gracieux, forgea des mots. Remy Belleau est plein d'une afféterie détestable. Il faut en général se défier de la Pléiade, de plusieurs prosateurs, entre autres de Le Roy, dit Regius, si périodique et si nombreux. Montaigne eut au plus haut degré la richesse des idées et des images, la science de la

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