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signe le nom de quelque chose par ce qui luy est propre, comme le Pere foudroyant pour Jupiter, le Dieu deux fois né pour Bacchus, la Vierge chasseresse pour Dyane. Cete figure a beaucoup d'autres especes, que tu trouverras chés les rhetoriciens, et a fort bonne grace, principalement aux descriptions, comme Depuis ceux qui voyent premiers rougir l'Aurore jusques la ou Thetis recoit en ses ondes le filz d'Hyperion, pour Depuis l'Orient jusques à l'Occident. Tu en as assez d'autres exemples és Grecz et Latins, mesmes en ces divines experiences de Virgile, comme du fleuve glacé, des douze signes du Zodiaque d'Iris, des douze labeurs d'Hercule, et autres.

Quand aux Epithetes, qui sont en notz poëtes francoys la plus grand' part ou froids, ou ocieux, ou mal à propos, je veux que tu en uses de sorte que, sans eux, ce que tu diras seroit beaucoup moindre, comme la flamme devorante, les souciz mordans, la gehinnante sollicitude; et regarde bien qu'ilz soint convenables, non seulement à leurs substantifz, mais aussi à ce que tu decriras, afin que tu ne dies l'eau' undoyante, quand tu la veux decrire impetueuse, ou la flamme ardente, quand tu la veux montrer languissante. Tu as Horace entre les Latins fort heureux en cecy comme en toutes choses.

Garde toy aussi de tumber en un vice commun mesmes aux plus excellens de nostre langue, c'est l'omission des Articles. Tu as exemple de ce vice en infiniz endroictz de ces petites poësies francoyses. J'ay quasi oublié un autre default bien usité et de tres mauvaise grace : c'est quand en la quadrature des vers heroïques la sentence est trop abruptement coupée, comme Si non que tu en montres un plus seur.

Voyla ce que je te vouloy' dire brevement de ce que tu doibz observer tant au vers comme à certaines manieres de parler, peu ou point encor' usitées des Francoys. Il y en a qui fort supersticieusement entremeslent les vers masculins avecques les feminins, comme on peut voir aux Psalmes traduictz par Marot : ce qu'il a observé (comme je croy') afin que plus facilement on les peust

chanter sans varier la musique pour la diversité des meseures qui se trouverroint à la fin des vers. Je treuve cete diligence fort bonne, pourveu que tu n'en faces point de religion jusques à contreindre ta diction pour observer telles choses. Regarde principalement qu'en ton vers n'y ait rien dur, hyulque, ou redundant; que les periodes soint bien joinctz, numereux, bien remplissans l'oreille, et telz qu'ilz n'excedent point ce terme et but, que naturellement nous sentons, soit en lisant ou ecoutant.

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Ce lieu ne me semble mal à propos dire un mot de la pronunciation, que les Grecz appellent ññózρitis [úñóxpiois] afin que s'il t'avient de reciter quelquesfois tes vers, tu les prononces d'un son distinct, non confuz; viril, non effeminé ; avecques une voix accommodée à toutes les affections que tu voudras exprimer en tes vers. Et certes comme icelle pronunciation, et geste approprié à la matiere quelon [l'on] traite, voyre par le jugement de Demosthene, est le principal de l'orateur, aussi n'est-ce peu de chose que de pronuncer ses vers de bonne grace; veu que la poësie (comme dit Ciceron) a eté inventée par observation de prudence et mesure des oreilles, dont le jugement est tressuperbe, comme de celles qui repudient toutes choses apres et rudes, non seulement en composition et structure de motz, mais aussi en modulation de voix. Nous lisons cete grace de pronuncer avoir eté fort excellente en Virgile, et telle qu'un poëte de son tens disoit que les vers de luy, par luy pronuncez, etoint sonoreux et graves; par autres, flacques et effeminez.

CHAP. XI.

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De quelques observations oultre l'Artifice, avecques une Invective contre les mauvais poëtes francoys.

Je ne demeureray longuement en ce que s'ensuit, pour ce que nostre poëte, tel que je le veux, le poura assez entendre par son bon jugement, sans aucunes traditions de reigles. Du tens don ques et du lieu qu'il fault elire pour la cogitation, je ne luy en bailleray autres preceptes, que ceux que son plaisir et sa disposi tion luy ordonneront. Les uns ayment les fresches umbres des forestz, les clairs ruisselez doucement murmurans parmy les prez ornez et tapissez de verdure. Les autres se delectent du secret des chambres et doctes etudes. Il fault s'accommoder saison et au lieu. Bien te veux-je avertir de chercher la solitude et le silence amy des muses, qui aussi (affin que ne laisses passer cete fureur divine, qui quelquesfois agite et echauffe les espris poëtiques, et sans la quele ne fault point que nul espere faire chose qui dure) n'ouvrent jamais la porte de leur sacré cabinet, sinon à ceux qui hurtent rudement.

la

Je ne veux oublier l'Emendation, partie certes la plus utile de notz etudes. L'office d'elle est ajouter, oter, ou muer à loysir ce que cete premiere impetuosité et ardeur d'ecrire n'avoit permis de faire. Pourtant est il necessaire, afin que noz ecriz, comme enfans nouveaux nez, ne nous flattent, les remettre à part, les revoir souvent, et, en la maniere des ours, à force de lecher leur donner forme et facon de membres, non immitant ces importuns versificateurs, nommez des Grecz μovσoлáτayo, qui rompent à toutes heures les oreilles des miserables auditeurs par leurs nouveaux poëmes. Il ne fault pourtant y estre trop supersticieux, ou (comme les elephans leurs petiz) estre X ans à enfanter ses vers. Sur tout nous convient avoir quelque scavant et fidele compaignon, ou un amy bien familier, voire trois ou quatre, qui veillent et puissent congnoitre noz fautes, et ne craignent point blesser nostre papier avecques les ungles. Encores te veux-je advertir de

hanter quelquesfois, non seulement les scavans, mais aussi toutes sortes d'ouvriers et gens mecaniques, comme marinieres [mariniers], fondeurs, peintres, engraveurs, et autres; scavoir leurs inventions, les noms des matieres, des outilz, et les termes usitez en leurs ars et metiers, pour tyrer de la ces belles comparaisons et vives descriptions de toutes choses. Vous semble point, messieurs, qui etes si ennemis de vostre langue, que nostre poëte ainsi armé puisse sortir à la campaigne, et se montrer sur les rancz, avecques les braves scadrons grecz et romains?

Et vous autres si mal equipez, dont l'ignorance a donné le ridicule nom de Rymeurs à nostre langue (comme les Latins appellent leurs mauvais poëtes versificateurs), oserez vous bien endurer le soleil, la poudre, et le dangereux labeur de ce combat? Je suis d'opinion que vous retiriez au bagaige avecques les paiges et laquais, ou bien (car j'ay pitié de vous) soubz les fraiz umbraiges, aux sumptueux palaiz des grands seigneurs et cours magnifiques des princes, entre les dames et damoizelles, ou votz beaux et mignons ecriz, nom [non] de plus longue durée que vostre vie, seront receuz, admirés et adorés, non point aux doctes etudes et riches byblyotheques des scavans. Que pleust aux muses, pour le bien que je veux à nostre langue, que votz ineptes œuvres feussent bannys, non seulement de la (comme ilz sont) mais de toute la France. Je voudroys bien qu'à l'exemple de ce grand monarque, qui defendit que nul n'entreprist de le tirer en tableau sinon Apelle, ou en statue sinon Lysippe (1), tous roys et princes amateurs de leur langue deffendissent, par edict expres, à leurs subjectz de non mettre en lumiere œuvre aucun, et aux imprimeurs de non l'imprimer, si premierement il n'avoit enduré la lyme de quelque scavant homme, aussi peu adulateur qu'etoit ce

(1)

Edicto veluit ne quis se, præter Apellem,

Pingeret, aut alius Lysippo duceret æra

Fortis Alexandri vultum simulantia.

HORAT., Epistol., lib. II, ep. 1, v. 239-241.

Quintilie, dont parle Horace en son art poëtique, ou, et en infiniz autres endroitz dudit Horace, on peut voir les vices des poëtes modernes exprimés si au vif, qu'il semble avoir ecrit, non du tens d'Auguste, mais de Francoys et de Henry. Les medicins, dict il, promettent ce qui appartient aux medicins, les fevures taictent [traictent] ce qui appartient aux fevures, mais nous ecrivons ordinairement des poëmes, autant les indoctes comme les doctes(1). Voyla pourquoy ne se fault emerveiller, si beaucoup de scavans ne daignent au jour d'huy ecrire en nostre langue, et si les etrangers ne la prisent comme nous faisons les leur [leurs], d'autant qu'ilz voyent en icelle tant de nouveaux aucteurs ignorans, ce qui leur fait penser qu'elle n'est capable de plus grand ornement et erudition. O combien je desire voir secher ces Printens, chatier ces Petites jeunesses, rabbattre ces Coups d'essay, tarir ces Fontaines, brefabolir tous ces beaux tiltres assez suffisans pour degouter tout lecteur scavant d'en lire d'avantaige. Je ne souhaite moins que ces Depourveuz, ces humbles Esperans, ces Banniz de lyesse, ces Esclaves, ces Traverseurs soient renvoyés à la Table ronde, et ces belles petites devises aux gentilzhommes et damoyselles, d'ou on les a empruntées.

Que diray plus ? Je supplie à Phebus Apollon que la France, apres avoir eté si longuement sterile, grosse de luy, enfante bien tost un poëte, dont le luc bien resonnant face taire ces enrouées cornemuses, non autrement que les grenoilles, quand on jette une pierre en leur maraiz. Et si non obstant cela, cette fievre chaude d'ecrire les tormentoit encores, je leur conseilleroy' ou d'aller prendre medicine en Anticyre, ou, pour le mieux, se remettre à l'etude, et sans honte, à l'exemple de Caton qui en

(1)

Navem agere ignarus navis timet; abrotonum ægro
Non audet, nisi qui didicit, dare; quod medicorum est
Promittunt medici; tractant fabrilia fabri :

Scribimus indocti doctique poemata passim.

HORAT., Epistol., lib. II, v. 114-117.

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