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nerfz, et le sang. Et si quelqu'un, mal aysé à contenter, ne vouloit prendre ces raisons en payement, je diray (afin de n'estre veu examiner les choses si rigoreusement sans cause) qu'aux autres ars et sciences la mediocrité peut meriter quelque louange, mais aux poëtes ny les dieux, ny les hommes, ny les coulonnes n'ont point concedé estre mediocres (1), suyvant l'opinion d'Horace, que je ne puis assez souvent nommer, pour ce qu'és choses que je traicte, il me semble avoir le cerveau myeux purgé et le nez meilleur que les autres. Au fort, comme Demosthene repondit quelquefois à Echines, qui l'avoit repris de ce qu'il usoit de motz apres et rudes, de telles choses ne dependre les fortunes de Grece (2). aussi diray-je, si quelqu'un se fache de quoy je parle si librement, que de la ne dependent les victoires du roy Henry, à qui Dieu veille donner la felicité d'Auguste et la bonté de Traian.

J'ai bien voulu, lecteur studieux de la langue françoyse, demeurer longuement en cete partie, qui te semblera, peut estre, contraire à ce que j'ay promis, veu que je ne prise assez haultement ceux qui tiennent le premier lieu en nostre vulgaire, qui avoy' entrepris de le louer et deffendre toutesfoys je croy que tu ne le trouveras point etrange, si tu consideres que je ne le puis mieux defendre, qu'atribuant la pauvreté d'iceluy, non à son propre et naturel, mais à la negligence de ceux qui en ont pris

(1)

• Certis medium et tolerabile rebus
Recte concedi.

Sed tamen in pretio est. Mediocribus esse poetis
Non Di, non homines, non concessere columnæ. »

HORAT., De Art. poet., v. 368-373.

(2) Reprehendit Æschines quædam (verba) et exagitat; illudensque, dira, odiosa, intolerabilia esse dicit. Itaque se purgans jocatur Demosthenes; negat in co positas esse fortunas Græciæ: hoc an illo verbo usus sit, huc an illuc manum porrexerit. »

CICERO, Orator., cap. IV.

le gouvernement, et ne te puis mieux persuader d'y ecrire, qu'en te montrant le moyen de l'enrichir et illustrer, qui est l'imitation des Grecz et Romains.

CHAP. III.

Que le Naturel n'est suffisant à celuy qui en poësie veult faire œuvre digne de l'immortalité.

Mais pour ce qu'en toutes langues y en a de bons et de mauvais, je ne veux pas, lecteur, que sans election et jugement tu te prennes au premier venu. Il vauldroit beaucoup mieux ecrire sans immitation, que ressembler un mauvais aucteur : veu mesmes que c'est chose, accordée entre les plus scauans, le naturel faire plus sans la doctrine, que la doctrine sans le naturel. Toutesfois d'autant que l'amplification de nostre langue (qui est ce que je traite) ne se peut faire sans doctrine et sans erudition, je veux bien advertir ceux qui aspirent à ceste gloire, d'immiter les bons aucteurs grecz et romains, voire bien italiens, hespagnolz et autres; ou du tout n'ecrire point, sinon à soy, comme on dit, et à ses muses. Qu'on ne m'allegue point icy quelques uns des nostres, qui sans doctrine, à tout le moins non autre que mediocre, ont acquis grand bruyt en nostre vulgaire. Ceux qui admirent voluntiers les petites choses, et deprisent ce qui excede leur jugement, en feront tel cas qu'ilz voudront: mais je scay bien que les scavans ne les mettront en autre ranc que de ceux qui parlent bien francoys, et qui ont (comme disoit Ciceron des anciens aucteurs romains) bon esprit, mais bien peu d'artifice. Qu'on ne m'allegue point aussi que les poëtes naissent, car cela s'entend de ceste ardeur et allegresse d'esprit, qui naturellement excite les poëtes, et sans la quele toute doctrine leur seroit manque et inutile. Certainement ce seroit chose trop facile, et pourtant contemptible, se faire eternel par renommée, si la felicité de nature donnée mesmes aux plus indoctes, etoit suffisante pour faire

chose digne de l'immortalité. Qui veut voler par les mains et bouches des hommes, doit longuement demeurer en sa chambre, et qui desire vivre en la mémoire de la postérité, doit comme mort en soymesmes, suer et trembler maintes fois, et autant que notz poëtes courtizans boyvent, mangent et dorment à leur oyse, endurer de faim, de soif, et de longues vigiles. Ce sont les esles dont les ecriz des hommes volent au ciel.

Mais afin que je retourne au commencement de ce propos, regarde nostre immitateur premierement ceux qu'il voudra immiter, et ce qu'en eux il poura, et qui se doit immiter, pour ne faire comme ceux, qui voulans aparoitre semblables à quelque grand seigneur, immiteront plus tost un petit geste et facon de faire vicieuse de luy, que ses vertuz et bonnes graces. Avant toutes choses, fault qu'il ait ce jugement de cognoitre ses forces, et tenter combien ses epaules peuvent porter (1), qu'il fonde [sonde] diligemment son naturel, et se compose à l'immitation de celuy dont il se sentira approcher de plus pres: autrement son immitation ressembleroit celle du singe.

CHAP. IV. Quelz genres de Poëmes doit elire le poëte francoys.

Ly donques et rely premierement, ò poëte futur, fueillette de main nocturne et journelle les exemplaires grecz et latins (2), puis me laisse toutes ces vieilles poësies francoyses aux Jeuz Flo

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« Sumite materiam vestris qui scribitis æquam
Viribus, et versate diù quid ferre recusent,

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raux de Thoulouze et au Puy de Rouan: comme Rondeaux, Ballades, Vyrelaiz, Chantz Royaulx, Chansons, et autres telles cpisseries, qui corrumpent le goust de nostre langue, et ne servent si non à porter temoingnaige de notre ignorance. Jéte toy à ces plaisans Epigrammes, non point comme font aujourd'huy un tas de faiseurs de contes nouveaux, qui en un dizain sont contens n'avoir rien dict qui vaille aux IX premiers vers, pourveu qu'au dixiesme il y ait le petit mot pour rire: mais à l'immitation d'un Martial, ou de quelque autre bien approuvé, si la lascivité ne te plaist, mesle le profitable avecques le doulz. Distile avecques un style coulant et non scabreux ces pitoyables elegies, à l'exemple d'un Ovide, d'un Tibule et d'un Properce, y entremeslant quelquesfois de ces fables anciennes, non petit ornement de poësie. Chante moy ces Odes, incongnues encor' de la muse francoyse, d'un luc bien accordé au son de la lyre greque et romaine, et qu'il n'y ait vers, ou n'aparoisse quelque vestige de rare et antique erudition. Et quand à ce, te fourniront de matiere les louanges des dieux et des hommes vertueux, le discours fatal des choses mondaines, la solicitute des jeunes hommes, comme l'amour, les vins libres, et toute bonne chere (1). Sur toutes choses, prens garde que ce genre de poëme soit eloingné du vulgaire, enrichy et illustré de motz propres et epithetes non oysifz, orné de graves sentences, et varié de toutes manieres de couleurs et ornementz poëtiques, non comme un : Laissez la verde couleur, Amour avecques Psyches, O combien est heureuse, et autres telz 'ouvraiges, mieux dignes d'estre nommez chansons vulgaires, qu'odes ou vers lyriques.

Quand aux Epistres, ce n'est un poëme qui puisse grandement enrichir nostre vulgaire, pource qu'elles sont voluntiers de cho

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Musa dedit fidibus Divos, puerosque Deorum,

Et juvenum curas, et libera vina referre.

Horat. De Art. poet., v. 83-85.

ses familieres et domestiques, si tu ne les voulois faire à l'immitation d'Elegies comme Ovide, ou sentencieuses et graves, comme Horace. Autant te dy-je des Satyres, que les Francoys, je ne scay comment, ont apellées Coqz à l'Asne; es quelz je te conseille aussi peu t'exercer, comme je te veux estre aliene de mal dire, si tu ne voulois, à l'exemple des anciens, en vers heroïques (c'est à dire de X à XI, et non seulement de VIII à IX) soubz le nom de Satyre, et non de cete inepte appellation de Coq à l'Asne, taxer modestement les vices de ton tens, et pardonner aux noms des personnes vicieuses. Tu has pour cecy Horace, qui, selon Quintilian, tient le premier lieu entre les satyriques. Sonne moy ces beaux Sonnets, non moins docte que plaisante invention italienne, conforme de nom à l'Ode, et differente d'elle seulement pour ce que le Sonnet a certains vers reiglez et limitez, et l'Ode peut courir par toutes manieres de vers librement, voyre en inventer à plaisir à l'exemple d'Horace, qui a chanté en XIX sortes de vers, comme disent les grammairiens. Pour le Sonnet donques tu as Petrarque et quelques modernes Italiens.

Chante moy d'une musette bien resonnante et d'une fluste bien jointe ces plaisantes Ecclogues rustiques, à l'exemple de Theocrit et de Virgile, Marines, à l'exemple de Sennezar gentil homme nëapolitain. Que pleust aux Muses, qu'en toutes les especes de poësie, quej'ay nommées, nous eussions beaucoup de telles immitations qu'est cete Ecclogue sur la naissance du filz de Monsei→ gneur le Dauphin, à mon gré un des meilleurs petiz ouvraiges que fict onques Marot, Adopte moy aussi en la famille françoyse ces coulans et mignars Hendecasyllables, à l'exemple d'un Catulle, d'un Pontan et d'un Second: ce que tu pouras faire, sinon en quantité, pour le moins en nombre de syllabes. Quand aux Comedies et Tragedies, si les roys et les republiques les vouloint restituer en leur ancienne dignité, qu'ont usurpée les Farces et Moralitez, je seroy' bien d'opinion que tu t'y employasses, et si tu le veux faire pour l'ornement de ta langue, tu scais ou tu en doibs trouver les archetypes.

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