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les odeurs et les gemmes, que les communes et necessaires, comme le pain et le vin. Je ne voy pourtant qu'on doyve estimer une langue plus excellente que l'autre seulement pour estre plus difficile, si on ne vouloit dire que Lycophron feust plus excellent qu'Homere, pour estre plus obscur, et Lucrece que Virgile, pour ceste mesme raison.

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Ceux qui penseront que je soye trop grand admirateur de ma langue, aillent voir le premier livre des Fins des Biens et des Maulx, fait par ce pere d'eloquence latine Ciceron, qui au commencement dudict livre, entre autres choses, repond à ceux qui deprisoint les choses ecrites en latin et les aymoint myeux lire en grec. La conclusion du propos est, qu'il estime la langue latine non seulement n'estre pauvre, comme les Romains estimoyent lors, mais encor' estre plus riche que la greque. Quel ornement, dit il, d'orayson copieuse ou elegante, a defailly, je diray à nous, ou aux bons orateurs, ou aux poëtes, depuis qu'ilz ont eu quelqu'un qu'ils peussent immiter ? Je ne veux pas donner si hault los à notre langue, pour ce qu'elle n'a point encores ses Cicerons et Virgiles; mais j'ose bien asseurer que si les scavans hommes de notre nation la daignoint autant estimer que les Romains faisoint la leur, elle pouroit quelquesfoys, et bien tost, se mettre au ranc des plus fameuses.

Il est tens de clore ce pas, afin de toucher particulierement les principaux poinctz de l'amplification et ornement de notre langue. En quoy, lecteur, ne t'ebahis, si je ne parle de l'orateur comme du poëte; car outre que les vertus de l'un sont pour la plus grand' part communes à l'autre, je n'ignore point qu'Etienne Dolet, homme de bon jugement en notre vulgaire, a formé l'Orateur francoys, que quelqu'un, peut estre, amy de la memoire de l'auteur et de la France, mettra de bref et fidelement en lumiere.

Fin du premier Livre de la deffense et illustration
de la langue francoyse.

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Pour ce que le poëte et l'orateur sont comme les deux piliers qui soutiennent l'edifice de chacune langue, laissant celuy que j'entens avoir eté baty par les autres, j'ay bien voulu, pour le devoir en quoy je suys obligé à la patrie, tellement quellement ebaucher celuy qui restoit, esperant que par moy, ou par une plus docte main, il poura recevoir sa perfection. Or ne veux-je, en ce faisant, feindre comme une certaine figure de poëte, qu'on ne puisse ny des yeux, ny des oreilles, ny d'aucun sens apercevoir, mais comprendre seulement de la cogitation et de la pensée (1): comme ces idées, que Platon constituoit en toutes choses, auxqueles, ainsi qu'à une certaine espece imaginative, se refere tout ce qu'on peut voir (2). Cela certainement est de trop plus grand scavoir et loysir que le mien; et penseray avoir beaucoup merité des

1) Quod neque oculis, neque anribus, neque ullo sensu percipi potest, cogitatione tantum et mente complectimur. CICERO, Orator., c. 1. (2) Cujus ad cogitatam speciem referuntur ea quæ sub oculos ipsa cadunt. Ibid.

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miens, si je leur montre seulement avecques le doy le chemin qu'ilz doyvent suyvre pour attaindre à l'excellence des anciens ou quelque autre peut estre, incité par nostre petit labeur, les conduyra avecques la main.

Mettons donc pour le commencement ce que nous avons, ce me semble, assez prouvé au I livre: c'est que sans l'imitation des Grecz et Romains, nous ne pouvons donner à notre langue l'excellence et lumiere des autres plus fameuses. Je scay que beaucoup me reprendront, qui ay osé le premier des François introduire quasi comme une nouvelle poësie, ou ne se tiendront plainement satisfaictz tant pour la breveté, dont j'ay voulu user, que pour la diversité des espris, dont les uns treuvent bon ce que les autres treuvent mauvais. Marot me plaist, dit quelqu'un, pour ce qu'il est facile et ne s'eloingne point de la commune maniere de parler; Heroet, dit quelque autre, pour ce que tous ses vers sont doctes, graves et elabourez; les autres d'un autre se delectent. Qu'and [quand] à moy, telle superstition ne m'a point retiré de mon entreprinse, pour ce que j'ay tousjours estimé notre poësie francoyse estre capable de quelque plus hault et meilleur style que celuy dont nous sommes si longuement contentez. Disons donques brevement ce que nous semble de notz poëtes francoys.

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De tous les anciens poëtes francoys, quasi un seul Guillaume du Lauris, et Jan de Meun, sont dignes d'estre leuz, non tant pour ce qu'il y ait en eux beaucoup de choses, qui se doyvent immiter des modernes, comme pour y voir quasi comme une premiere imaige de la langue francoyse, venerable pour son antiquité. Je ne doute point que tous les peres cryroint la honte estre perdue, si j'osoy' reprendre ou emender quelque chose en ceux que jeunes ilz ont appris; ce que je ne veux faire aussi. Mais bien

soutiens-je que celuy est trop grand admirateur de l'ancienneté, qui veut defrauder les jeunes de leur gloire meritée, n'estimant rien comme dict Horace, sinon ce que la mort a sacré : comme si le tens, ainsi que les vins, rendoit les poësies meilleures. Les plus recens mesmes ceux qui ont esté nommez par Clement Marot en un certain epygramme à Salel, sont assez congneuz par leurs œuvres. J'y renvoye les lecteurs pour en faire jugement. Bien dyrai-je que Jan le Maire de Belges me semble avoir premier illustré et les Gaules et la langue francoyse, luy donnant beaucoup de mots et manieres de parler poëtiqués, qui ont bien servy mesmes aux plus excellens de notre tens. Quand aux modernes, ilz seront quelquesfoys assez nommez; et si j'en vouloy' parler, ce seroit seulement pour faire changer d'opinion à quelques uns, ou trop iniques, ou trop severes estimateurs des choses, qui tous les jours treuvent à reprendre en troys ou quatre des meilleurs, disant, qu'en l'un default ce qui est le commencement de bien ecrire, c'est le scavoir, et auroit augmenté sa gloire de la moitié, si de la moitié il eust diminué son livre. L'autre, outre sa ryme, qui n'est par tout bien riche, est tant denué de tous ces delices et ornementz poëtiques, qu'il merite plus le nom de phylosophe que de poëte. Un autre, pour n'avoir encores rien mis en lumiere soubz son nom, ne merite qu'on luy donne le premier lieu et semble (disent aucuns) que par les ecriz de ceux de son tens, il veille eternizer son nom, non autrement que Demade est ennobly par la contention de Demosthene, et Hortense de Ciceron. Que si on en vouloit faire jugement au seul rapport de la renommée, on rendroit les vices d'iceluy egaulx, voyre plus grand que ses vertuz, d'autant que tous les jours se lysent nouveaux ecriz soubz son nom, à mon avis aussi eloignez d'aucunes choses, qu'on m'a quelquesfois asseuré estre de luy, comme en eux n'y a ny grace, ny erudition. Quelque autre voulant trop s'eloingner du vulgaire, est tumbé en obscurité aussi difficile à eclersir en ses ecriz aux plus scavans, comme aux plus ignares.

Voyla une partie de ce que j'oy dire en beaucoup de lieux des meilleurs de notre langue. Que pleust à Dieu le naturel d'un chacun estre aussi candide à louer les vertuz, comme diligent à observer les vices d'autruy. La tourbe de ceux (hors mis cinq ou six) qui suivent les principaux, comme port'enseignes, est si mal instruicte de toutes choses, que par leur moyen nostre vulgaire n'a garde d'etendre gueres loing les bornes de son empire. Et si j'etoy' du nombre de ces anciens critiques juges des poëmes, comme un Aristarque et Aristophane, ou (s'il fault ainsi parler) un sergent de bande en notre langue francoyse, j'en mettroy' beaucoup hors de la bataille, si mal armez que, se fiant en eux, nous serions trop eloingnez de la victoire ou nous devons aspirer. Je ne doute point que beaucoup, principalement de ceux qui sont accommodez à l'opinion vulgaire, et dont les tendres oreilles ne peuvent rien souffrir au desavantaige de ceux qu'ilz ont desja receuz comme oracles, trouverront mauvais de ce que j'ose si librement parler, et quasi comme juge souverain pronuncer de notz poëtes francoys; mais si j'ai dict bien ou mal, je m'en rapporte à ceux qui sont plus amis de la vérité que de Platon ou Socrate, et ne sont imitateurs des Pytagoriques, qui, pour toutes raisons, n'alleguoint sinon, cetuy la l'a dit.

Quand à moy, si j'etoy' enquis de ce que me semble de notz meilleurs poëtes francoys, je diroy' à l'exemple des Stoïques, qui interroguez si Zenon, si Cleante, si Chrysippe sont saiges, repondent ceulx-la certainement avoir eté grands et venerables, n'avoir eu toutefois ce qui est le plus excellent en la nature de l'homme je respondroy', dy-je, qu'ilz ont bien ecrit, qu'ilz ont illustré notre langue, que la France leur est obligée; mais aussi diroy-je bien qu'on pouroit trouver en notre langue (si quelque scavant homme y vouloit mettre la main) une forme de poësie beaucoup plus exquise, la quele il faudroit chercher en ces vieux Grecz et Latins, non point és aucteurs francoys, pource qu'en ceux-cy on ne scauroit prendre que bien peu, comme la peau et la couleur, en ceux la on peut prendre la chair, les oz, les

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