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J'aurai beau condamner, en tout sens expliquez,
Les cinq dogmes fameux par ta main fabriquez;
Blâmer de tes docteurs la morale risible,
C'est, selon eux, prêcher en calviniste horrible;
C'est nier qu'ici-bas, par l'amour appellé,
Dieu pour tous les humains voulut être immolé.
Prévenons tout ce bruit: trop tard, dans le naufrage,
Confus, on se repent d'avoir bravé l'orage.
Alte-là donc, ma plume; et toi, sors de ces lieux,
Monstre à qui, par un trait des plus capricieux,
Aujourd'hui terminant ma course satirique,
J'ai prêté dans mes vers une ame allegorique
Fui, va chercher ailleurs tes patrons bien-aimez,
Dans ces pays, par toi rendus si renommez,

Où l'Orne épand ses eaux, et que la Sarthe 2 arrose;
Ou, si plus sûrement tu veux gagner ta cause,
Porte-la dans TREVOUX, à ce beau tribunal,
Où de nouveaux Midas un senat monacal,
Tous les mois, appuyé de ta sœur l'Ignorance,
Pour juger Apollon tient, dit-on, sa séance.

1.-2. Rivieres qui passent par la Normandie.

FIN DES SATIRES

EPISTRES

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RAND ROY, c'est vainement qu'abjurant la satire,

Pour toy seul desormais j'avois fait vœu d'écrire, Dés que je prens la plume, Apollon, éperdu, Semble me dire: Arreste, insensé; que fais-tu? Sçais-tu dans quels perils aujourd'huy tu t'engages? Cette mer où tu cours est celebre en naufrages. Ce n'est pas qu'aisément, comme un autre, à ton char, Je ne pûsse attacher Alexandre et César; Qu'aisément je ne pûsse, en quelque ode insipide, T'exalter aux dépens et de Mars et d'Alcide; Te livrer le Bosphore, et, d'un vers incivil, Proposer au Sultan de te ceder le Nil. Mais, pour te bien loüer, une raison severe Me dit qu'il faut sortir de la route vulgaire ; Qu'aprés avoir ioüé tant d'auteurs differens,

Phébus mesme auroit s'il entroit sur les rangs;

peur

Que, par
des vers tout neufs, avoüez du Parnasse,
Il faut de mes dégousts justifier l'audace;
Et, si ma muse enfin n'est égale à mon Roi,
Que je preste aux Cotins des armes contre moi.
«< Est-ce là cet auteur, l'effroi de la Pucelle,
Qui devoit des bons vers nous tracer le modele,
Ce censeur, diront-ils, qui nous reformoit tous?
Quoi? ce critique affreux n'en sçait pas plus que nous.
N'avons-nous pas cent fois, en faveur de la France,
Comme lui, dans nos vers, pris Memphis et Byzance,
Sur les bords de l'Euphrate abbattu le turban,
Et coupé, pour rimer, les cedres du Liban?

De quel front aujourd'hui vient-il sur nos brisées,
Se revestir encor de nos phrâses usées? >>

Que répondrois-je alors? Honteux et rebuté,
J'aurois beau me complaire en ma propre beauté,
Et, de mes tristes vers admirateur unique,
Plaindre en les relisant l'ignorance publique,

Quelque orgueil en secret dont s'aveugle un auteur,
Il est fâcheux, GRAND ROI, de se voir sans lecteur
Et d'aller du recit de ta gloire immortelle

Habiller chez Francœur le sucre et la canelle.
Ainsi, craignant toûjours un funeste accident,

1. Fameux epicier.

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