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cette notion générale, M. Quatremère de Quincy avait rappelé un fait curieux, c'est que les voyageurs des xvi et xvII° siècles, qui virent encore le Parthenon en l'état d'église chrétienne où l'avaient transformé les Grecs byzantins', La Guilletière, Cornelio Magni, Spon et Wheler, y virent deux dalles de marbre transparent, devenues pour les chrétiens grecs de cet âge un objet d'une sorte de culte superstitieux. Or ces dalles, taillées en forme de rectangle, d'une longueur de trois pieds sur un pied et demi de large2, pouvaient très-bien être, comme le suppose M. Quatremère de Quincy, deux carreaux du châssis de l'ancien comble, échappés à sa destruction, et employés plus tard, et par suite du respect même porté à l'ancien temple de la Vierge divine d'Athènes converti en église byzantine de Sainte-Sophie, employés, dis-je, à l'usage superstitieux auquel les virent servir les voyageurs modernes. Ce qui semblerait le prouver, c'est que ces dalles de marbre transparent avaient acquis une couleur rougeâtre, qui ne pouvait être que l'effet de la vétusté, et qui se produit aussi à la surface du marbre pentélique, employé dans tous les monuments d'Athènes. Au surplus, l'illustre antiquaire français n'avait exprimé cette idée que comme une conjecture, et cette conjecture, dont M. L. Ross n'a pourtant pas jugé à propos de faire même une simple mention, était par elle-même suffisamment vraisemblable. Mais que dire d'un fait tout pareil, qui est venu confirmer depuis l'idée de M. Quatremère de Quincy, et qui paraît avoir échappé à l'attention ou à la mémoire de M. L. Ross? Il fut trouvé, dans la partie des fouilles que dirigeait M. Dubois, sur la face antérieure du temple de Jupiter, à Olympie, des morceaux de pâte de verre d'une grande épaisseur, qui offraient, aux yeux de l'habile architecte, M. Blouet, toute la solidité nécessaire pour avoir pu servir à l'usage de carreaux de vitre employés dans le châssis du comble3. A la vérité, ces morceaux de pâte de verre n'avaient pu former un vitrage qu'à une époque romaine, à la même époque sans doute à laquelle appartient le pavé, de restauration romaine, qui couvrait l'ancien pavé de l'époque hellénique. Mais il n'en est pas moins probable, pour ne pas dire certain, que l'ouverture du comble de l'hypèthre, qui avait dù être fermée dès le principe, pour mettre le colosse d'or et d'ivoire à l'abri des intempéries des saisons, avait dû avoir un châssis formé de dalles de pierres spéculaires, remplacées plus tard par les morceaux de pâte de verre trouvés dans les ruines du temple, et devenus

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En l'an 630 de J. C., s'il faut s'en rapporter à une inscription vue avant la révolution grecque et rapportée par M. Pittakis, Descript. des antiq. d'Athènes, p. 387. La Guilletière, Athènes ancienne et moderne, p. 198. - Expédit. scientifiq. de Morée, t. I, p. 70.

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ainsi un témoin authentique et une preuve matérielle d'une ordonnance de temple hypèthre commune à ce temple de Jupiter Olympien et à celui du Parthenon. Au reste, ce moyen de clôture de l'hypèthre, indiqué d'abord sous forme de conjecture et prouvé depuis par des faits, qui devaient être des éléments de la question traitée par M. L. Ross, ce moyen répond aussi à l'objection du savant antiquaire, qui concerne la facilité de commettre des vols dans les temples hypèthres; car, du moment qu'il est reconnu que ces temples pouvaient être fermés, dans le vide du comble, d'une manière qui laissât pénétrer la lumière en empêchant le vent et la pluie, il est sensible que cette clôture pouvait également servir à écarter les voleurs.

(La suite à un prochain cahier.)

RAOUL-ROCHETTE.

RELATION des Voyages faits par les Arabes et les Persans dans l'Inde et à la Chine, dans le 1xe siècle de l'ère chrétienne. Texte arabe, imprimé en 1811, par les soins de feu Langlès, publié, avec des corrections et additions, et accompagné d'une traduction française et d'éclaircissements, par M. Reinaud, membre de l'Institut. Paris, Imprimerie royale, 1845, 2 vol. in-18.

TROISIÈME ARTICLE 1.

On lit, dans la Relation 2, que les navires atteignent un pays nommé

, كلاه المملكة والساحل كله بار : Je crois qu'il faut lire کلاه بار ,Kelah-bar

:

c'est-à-dire «Le royaume porte le nom de Kelah, et le rivage tout entier est désigné par la dénomination de bar, .» « C'est là, dit l'auteur, l'empire du Zabedj, . Cette contrée est située à l'orient de l'Inde; tout le peuple est réuni sous la domination d'un seul roi. Entre Koulam (Coulan) et Kelah-bar, la distance est d'un mois de navigation. » Plus loin, on lit ces mots : « Dans l'empire de Zabedj se trouve l'île de Kelah, qui est à moitié chemin entre la contrée de la Chine et celle des Arabes. Sa superficie, suivant ce que l'on rapporte, est de parasanges. C'est l'entrepôt des marchandises... C'est là le point vers lequel se dirigent les navigateurs d'Oman, et d'où on part pour se rendre dans cette ville.» M. Reinaud pense que les deux noms s'appliquent à deux pays différents, que le mot Kelah désigne la pointe de Galle, située au midi de l'île de Ceylan, et que Kelah bar indique la côte de

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Voir, pour les deux premiers, les cahiers de septembre et de novembre 1846. — P. 18. — 'P. go.

Coromandel '. Mais je ne saurais adopter ces hypothèses. Dans mon opinion, les deux termes Kelah et Kelah-bar s'appliquent à une seule et même contrée. Les textes que je viens de citer me paraissent formels à cet égard, et mon sentiment se trouve parfaitement conforme au témoignage de Masoudi. Cet historien 2 cite les contrées de Kelah et de Serirali comme renfermant des mines d'or et d'argent. Ailleurs 3 il rapporte qu'un marchand, parti de la ville d'Oman, se rendit à Kelah, qui est, dit-il, environ à moitié chemin entre la première de ces villes et la Chine. Plus loin il parle de la mer de Kelah, ou Kalah, et des îles; ailleurs il décrit cette mer comme n'ayant qu'une profondeur médiocre. L'auteur du Mokhtasar-eladjaïb5 donne sur Kalah les mêmes détails rapportés plus haut. Ailleurs il fait mention d'une ile appelée Haldjan, ou, comme on lit dans la relation, Mouldjan, qui fait partie des contrées de l'Inde, et qui est placée entre Serendib et Kelah. Plus loin il affirme que l'île de Kelah est, dit-on, située à moitié chemin entre la Chine et l'Arabie. Dans la Géographie d'Abou'lféda, l'île de Kelah est un entrepôt situé dans la mer de l'Inde, entre la ville d'Oman et la Chine. Elle renferme une ville bien peuplée; elle a pour habitants des musulmans, des Indiens et des Persans. Elle présente des mines de plomb, ainsi que des plantations de bambous et d'arbres qui produisent le camphre. Edrisi place l'île de Kelah à 19 journées de navigation de Serendib et dans le voisinage de l'île de Java. On peut voir aussi les Voyages de Send-Bad, éd. Langlès, p. 63.

D'après toutes ces autorités, il est évident, ce me semble, que l'île de Kelah, ou Kelah-bar, n'a rien de commun, ni avec la pointe de Galle, ni avec la côte de Coromandel. M. Walckenaer 10 a supposé que les noms Kelah ou Kelah-bar devaient s'appliquer à la presqu'île de Malacca. Cette opinion, à mon avis, offre un très-grand degré de probabilité, d'autant plus qu'une ville située dans cette presqu'ile porte encore aujourd'hui le nom de Queda, qui se rapproche beaucoup de celui de Kelah. Une seule circonstance pourrait faire hésiter à admettre cette hypothèse: c'est que, suivant l'auteur arabe, la surface de l'île de Kelah est de 80 parasanges, et cette évaluation est bien faible, quand on songe à l'étendue réelle de la presqu'île de Malacca. Mais on pourrait répondre, ou que les Arabes qui fréquentaient cette côte, pour y faire en passant le commerce, et qui ignoraient la langue du pays, avaient peut-être reçu des notions insuffisantes relativement à la sur

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1 T. I, p. LXXVI, LXXXIV et LXXXV. - Moroudj, de mon manuscrit, fol. 60 vo. — 'T. I, fol. 77 r.-Fol. 85 v. Man. 901, fol. 23 r.- Fol. 25 r. —'Fol. 26 r. -'Texte arabe, p. 375.-Géographie, t. I, p. 77, 79, 80.- Annales des Voyages,

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année 1832.

face de cette contrée, ou que la description donnée par les Arabes s'appliquait exclusivement à la partie méridionale de la péninsule, celle qui avoisine le détroit de Singapour.

Quant au métal désigné par le nom de kali, il n'a pas le moindre rapport avec l'airain, ou plutôt le cuivre de Caliana, dont Cosmas fait mention. On lit dans l'ouvrage intitulé Ikhwan-essafa':

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¿ä, «Le kaľ'i est un métal qui, sous le rapport de la couleur, se rapproche de l'argent. » Ce caractère convient parfaitement à l'étain.

Le الرصاص القلعى الشديد البياض : Makrizi s'exprime en ces termes »

plomb kali, qui est d'une extrême blancheur. » Dans les Extraits de la Géographie de Birouni3, dans le Traité d'Agriculture d'Ebn-Awain', on lit également, « le plomb kalˇi; » dans l'Histoire d'Égypte d'Ebn

quarante chevaux qui portaient des » أربعون فرسا... عليها عبي قلعي Aias

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harnais de kali. » Dans une note manuscrite, sur le Mouzhir de Soïouti, on lit, en parlant du plomb: «Le noir est désigné par le mot ousroub, , et le blanc par celui de kali, .» Dans la Traduction persane du livre des nombres', le mot répond au terme hébreu 47, étain. Dans l'Ayin-Akberis, le mot désigne évidemment le même métal. D'un autre côté, dans le Voyage d'Orient du P. Philippe, de la SainteTrinité, on trouve ces mots : « Le calai est un métal très-semblable au plomb. » Enfin, nous apprenons de Sonnerat 10 et de Marsden 11, etc., que le mot calin désigne l'étain. C'est le terme malai kalang , qui offre, en effet, cette signification 12. Le mot est une altération du terme original. Masoudi, au lieu de, emploie l'expression vou volo (le plomb blanc). Or on sait que l'étain est, par excellence, un produit de la presqu'île de Malacca.

بتومة

En partant de Kelah, ou de Kelah-bar, les vaisseaux, après une navigation de dix jours, arrivaient à un lieu nommé Betoumah, M. Reinaud, à l'exemple de l'abbé Renaudot, croit qu'il faut reconnaître ici la ville de Meliapour, autrement San-Thomé, située sur la côte de Coromandel, près de Madras. Mais je ne saurais admettre cette hypothèse. D'abord, la position que j'ai assignée à la contrée de Kelah ne peut, en aucune manière, s'accorder avec une pareille conjecture; en second lieu, s'il s'agissait de la ville de Meliapour, l'écrivain arabe n'aurait pas manqué de faire observer une circonstance curieuse : Man. ar. 1105, p. 277. 'Opuscules, fol. 195 v°. - Man. 584, fol. 36 v. Tom I, p. 575.-Tom. II, fol. 199 v°. Man. du scheikh Nâser, p. 152. — Chap. xxxi, v. 22. De mon manuscrit, fol. 16 r. - Page 294.- Voyage aux Indes et à la Chine, t. II, p. 101. History of Sumatra, p. 172. "Marsden, Dictionary of the Malayan language, p. 249.

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l'existence d'une population chrétienne au milieu de nations idolâtres; enfin, la leçon Betoumah, sur laquelle s'appuie cette hypothèse, est complétement incertaine. Je crois qu'il faut lire Natounah,

, et reconnaître ici ce petit groupe d'iles du même nom, placées entre le détroit de Singapour et l'île de Bornéo; et, en effet, dans la Géographie d'Edrisi, au lieu de Schoumah,, que présente le texte, un manuscrit donne Tenoumah1, ce qui s'écarte peu de la leçon que j'adopte.

En partant de Betoumah (Natounah), les vaisseaux, après une navigation de dix jours, arrivaient au lieu nommé Kedrendj2, . M. Reinaud, qui, comme nous l'avons vu, reconnaît dans Betoumah la ville de Méliapour ou San-Thomé, a cru devoir placer Kedrendj sur la côte de Coromandel, à l'embouchure du fleuve Godaveri3; mais cette assertion ne me paraît pas admissible. Si les observations dont j'ai présenté les résultats sont, comme je le crois, appuyées sur un fondement solide, ce n'est pas sur la côte de Coromandel que nous devons chercher le lieu nommé Kedrendj, mais sur la route qui conduit de l'île de Sumatra à la Chine. D'un autre côté, Masoudi indique la mer de Kedrendj comme formant la cinquième de celles qui composent le grand océan des Indes et de la Chine. Si je ne me trompe, nous devons, dans la mer de Kedrendj, reconnaître le golfe de Siam. Comme il est peu probable que les Arabes pénétrassent au fond de ce golfe, et qu'ils s'arrêtaient à Kedrendj, non pas pour commercer, mais seulement pour renouveler leur provision d'eau, on peut croire que ce lieu était situé à l'entrée de cette vaste baie. Peut-être le lieu indiqué par la relation arabe nous représente-t-il l'île de Poulo-Condor.

Après Kedrendj, les vaisseaux, en dix jours de navigation, atteignaient le lieu nommé Senef, où ils trouvaient de l'eau douce. On en importait l'aloès, appelé senefi. Ce pays composait un royaume. M. Reinaud suppose que, d'après le récit de notre auteur et celui de Masoudi, la mer de Senef se trouvait à l'occident du détroit de Malacca, ainsi que des îles de Java et de Sumatra; mais je ne puis partager cette opinion. L'ensemble des faits, tels que je viens de les exposer, contredit formellement cette supposition. Masoudi nous représente la mer de Senef comme formant la sixième de celles dont se composait l'océan Indien, et comme se trouvant fort rapprochée de la Chine; c'est ce qui résulte également du texte de notre auteur. Maintenant, que faut-il entendre par le pays de Senef? Édrisi* en fait une île, Abou'lféda confirme cette assertion. Parmi les îles de la mer 'T. I, p. 83, 84, 88, 89. P. 16. P. xc, CIII. Géographie, t. I,

p. 83, 92, 188.

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