trouve : «Deux ou trois grands génies suffisent pour pousser bien loin des théories en peu de temps, mais la pratique demande plus de lenteur, à cause qu'elle dépend d'un trop grand nombre de mains, dont la plupart même sont plus habiles 1. » Lisez peu habiles. J'en prends une autre, et j'y vois : « Ce n'est pas qu'il eût apporté (le P. Malebranche) aucun soin à cultiver les talents de l'imagination; au contraire, il s'est toujours fort attaché à les décrier; mais il en avait naturellement une fort noble et fort vive, qui travaillait pour un ingrat malgré lui-même, et qui ordonnait la raison en se cachant d'elle 2. » Lisez ornait la raison. Fontenelle, recevant à l'Académie française le cardinal Dubois, le seul homme qu'il ait eu tort de louer, lui dit : «S'il était besoin que nos espérances s'accrussent, elles s'accroîtraient encore par l'application que ce jeune monarque (Louis XV) donne depuis quelque temps aux matières du gouvernement, par ces entretiens où il veut bien vous faire entrer. Là vous pesez à ses yeux les forces de son État et des différents États qui nous environnent; vous lui dévoilez l'intérieur de son royaume et celui du reste de l'Europe, tel que vos regards perçants l'ont pénétrẻ; vous lui démêlez cette foule confuse d'intérêts politiques, si diversement embarrassés les uns dans les autres; vous le mettez dans le secret des cours étrangères; vous lui portez sans réserve toutes vos connaissances acquises par une expérience éclairée; vous vous rendez inutile autant que vous le pouvez 3. » Un éditeur lui fait dire : vous vous rendez utile autant que vous le pouvez. Dans une édition de Fontenelle, faite sur la fin du dernier siècle, on a retranché, devant le nom de tous les personnages nommés, le mot Monsieur ou la lettre M majuscule, qui tient lieu du mot. Là Fontenelle, l'observateur le plus scrupuleux, le plus ingénieux de toutes les bienséances, appelle tout simplement M. de Pontchartrain, chancelier de France: Pontchartrain ou le chancelier; il appelle M. de Maurepas, ministre Maurepas, etc., etc. Il disait: M. Tournefort, M. Leibnitz, M. Newton, etc.; l'éditeur lui fait dire Tournefort, Leibnitz, Newton, Bossuet, Colbert, Louvois, etc., etc. Je lis dans l'Éloge de Sauveur, de l'édition dont je parle : « Encore une chose détermina Sauveur à suivre le sage conseil de Condom... » Condom est le grand Bossuet, mort seulement depuis quelques années. Cette sorte d'anachronisme change toute la physionomie du livre. : 1 Eloge de Chazelles.- Éloge de Malebranche. — Éloge de Malebranche. — 'Réponse au Discours du car dinal Dubois. Si l'on voulait avoir une bonne édition nouvelle des Éloges de Fontenelle, il faudrait la faire sur une des éditions primitives; je n'ai pas besoin d'ajouter qu'il faudrait joindre aux Éloges les deux belles Préfaces de 1666 et de 1699. Jusqu'ici, j'ai principalement considéré Fontenelle par rapport à Descartes. Il me reste à le considérer par rapport à Newton. Ce sera le sujet d'un quatrième et dernier article. FLOURENS. AMPÉLOGRAPHIE, ou Traité des cépages les plus estimés dans tous les vignobles de quelque renom, par le comte Odart, membre correspondant des sociétés royales d'agriculture de Paris et de Turin, de celles de Bordeaux, de Dijon, de Metz, etc.; président honoraire des congrès viticoles tenus à Angers en 1842 et à Bordeaux en 1843. Paris, chez Bixio, quai Malaquais, n° 19; et chez l'auteur, à la Dorée, près Cormery (Indre-et-Loire), 1845, 1 vol. in-8° de XII-433 pages. POMOLOGIE PHYSIOLOGIQUE, ou Traité du perfectionnement de la fructification, par M. Sageret. Paris, chez Mme Huzard (née Vallat-la-Chapelle), rue de l'Éperon-Saint-André, no 7, 1830. De la dégénérATION et de l'extinction des variétés de végétaux propagés par les greffes, boutures, tubercules, etc., et de la création des variétés nouvelles par les croisements et les semis, par M. A. Puvis, Paris, chez Mme Huzard, rue de l'Eperon, n° 7, 1837. QUATRIÈME ARticle 1. § 3. DES ESPÈCES VÉGÉTALES CONSIDÉRÉES SOUS LE DOUBLE RAPPORT DE LEUR PERMANENCE ET DE LEUR TENDANCE À ÊTRE Modifiées. En traitant, dans notre second article, de la définition de l'espèce, nous avons admis en principe que les faits connus n'autorisent point à considérer les circonstances actuelles où vivent les corps organisés Voir, pour les trois premiers articles, les cahiers de décembre 1845 (page 705), de janvier (page 37) et mai 1846 (page 296). comme assez puissantes pour altérer leur essence spécifique, par la raison que nous n'avons jamais vu des individus d'une même espèce donner naissance à un être d'une autre espèce, et, en outre, que, malgré l'étendue des modifications que des corps vivants d'une même origine aient éprouvées sous nos yeux, ils ressemblent toujours plus à leurs parents qu'à des individus appartenant à une espèce différente de la leur. Pour juger de l'utilité de la définition de l'espèce telle que nous l'avons ramenée à une base expérimentale, il faut voir comment elle se prêtera aux cinq distinctions précédentes, lorsqu'on viendra à prendre en considération les modifications que les différentes espèces de corps vivants sont susceptibles d'éprouver sans perdre pourtant leurs essences respectives. S'il est évident que, plus il y aura de parties ou d'organes distincts. dans une espèce et plus grand sera le nombre des modifications possibles, toutes choses égales d'ailleurs, cependant l'observation prouve que des plantes très-voisines dans la méthode naturelle peuvent avoir des aptitudes extrêmement différentes à subir des modifications, comme le montrent la persistance du seigle à conserver ses caractères, et les nombreuses variations que le froment a éprouvées de la part du climat et de la culture. Mais la cause de cette différence d'aptitude n'ayant point été recherchée jusqu'ici, elle sera sans doute un des sujets les plus importants réservés par la science actuelle à la postérité. Quoi qu'il en soit, les modifications qui ont atteint des individus d'un grand nombre d'espèces étant aussi évidentes que le principe de l'imniutabilité de leur essence est incontestable dans les circonstances actuelles où elles vivent, nous croyons utile de recourir à une comparaison propre à exposer clairement notre pensée relativement au double fait de la tendance des individus en général à conserver leurs essences respectives et de la possibilité où ils sont d'éprouver quelque modification. Si un cylindre de bois ou de toute autre matière homogène pose par une de ses bases sur un plan horizontal, l'axe de ce cylindre est perpendiculaire au plan, et l'équilibre a le maximum de stabilité. Mais qu'une force, agissant dans un plan perpendiculaire au cylindre et dans la direction de son axe, le dérange de la verticale sans le renverser, c'est-àdire sans porter le centre de gravité hors de l'espace de soutenement, un nouvel équilibre aura lieu et se maintiendra tout le temps que force agira. Suivant la direction de la force par rapport aux différents points de l'horizon, le cylindre pourra prendre toutes les positions imaginables, relativement à cet horizon, en tant, bien entendu, que ces positions seront comprises dans un cône limite engendré par l'arête la du cylindre qui, sans cesser de toucher le plan, parcourrait la circonférence d'un cercle égal à sa base, en conservant son inclinaison qui est précisément la limite au delà de laquelle l'équilibre cesserait d'avoir lieu. Or, à partir de ce cône limite qui est le plus obtus possible, on pourra en imaginer d'autres de plus en plus aigus à mesure que l'axe se rapprochera davantage de la verticale. Les choses étant amenées à ce point, nous allons motiver notre comparaison en faisant voir comment elle se prête aux distinctions que nous avons établies dans les espèces des corps vivants. 1o La position normale dans laquelle le cylindre est perpendiculaire au plan horizontal, et qui présente le maximum de stabilité, correspond au cas idéal où une espèce serait représentée par des individus identiques les uns aux autres. 2° Les positions dans lesquelles l'axe du cylindre ne fait que des angles très-aigus avec la verticale, parce que la force qui l'a dérangé de la position normale n'a agi que très-faiblement, correspond aux différences plus ou moins légères qui distinguent entre eux 1° les individus des espèces alpha, 2° les individus-types des espèces bêta et gamma. 3o Les positions dans lesquelles l'axe du cylindre fait des angles un peu plus ouverts avec la verticale que dans les positions précédentes correspondent aux différences que présentent les variétés-types des espèces delta. 4° Les positions dans lesquelles l'axe du cylindre fait des angles plus ou moins ouverts avec la verticale correspondent aux modifications qui sont assez profondes pour donner des variétés très-distinctes, soit des races ou des sous-espèces; conséquemment, elles peuvent s'appliquer à des variétés d'espèces béta, à des variétés et à des races d'espèces gamma et delta, à des sous-espèces epsilon 1. Enfin, tirons une dernière conséquence de la comparaison que nous venons de faire. Aussitôt que la force qui a dérangé le cylindre de la verticale cesse d'agir, celui-ci reprend sa position normale, de même que des modifications s'effacent dans des corps vivants et que les individus qui les présentaient tendent par là à reprendre la forme-type de leur espèce, parce que les circonstances, causes de ces modifications, ont cessé d'exercer leur influence. Mais remarquons dès à présent qu'il 1 Quant aux races et aux variétés des sous-espèces epsilon, on peut se les représenter encore d'après les positions précédentes du cylindre, en supposant que chaque sous-espèce corresponde au cas où l'axe du cylindre n'est que très-peu dévié de la verticale, ou, en d'autres termes, en considérant les variétés des sous-espèces comme les variétés d'une espèce. existe des cas contraires à ceux-là; car incontestablement, suivant nous, des individus de certaines espèces conservent des modifications, hors des circonstances ou hors de l'action des forces qui les ont antérieurement déterminées, et, en outre, le plus souvent, les modifications des corps vivants susceptibles de s'effacer, dans certaines circonstances, ne disparaissent pas au moment même où les forces, causes des modifications, ont cessé d'agir. Ce sont ces deux ordres de faits contradictoires en apparence sur lesquels nous allons porter successivement notre attention, en exposant d'abord ceux qui, à nos yeux, par leur évidence et leur importance, se prêtent le plus à des conclusions générales. Nous aborderons ensuite les questions spéciales que nous avons posées dans notre premier article, à l'occasion de l'ouvrage du comte Odart, et sans doute les détails qui les auront précédées seront complétement justifiés par la lumière qu'ils jetteront sur le sujet. ARTICLE 1. Stabilité des formes organiques. Les connaissances acquises sur la stabilité des formes organiques résultent (A) d'observations comparatives faites entre les individus de diverses espèces de plantes et d'animaux actuellement vivants, et des individus des mêmes espèces qui ont cessé de vivre depuis plusieurs siècles, (B) d'observations sur la permanence d'une même forme, faites soit sur les individus d'une série de générations successives, soit sur des individus d'espèces diverses d'un même genre, qui ont été soumis, dans leurs développements organiques, à des influences de circonstances identiques. (A) Parmi les animaux dont l'ancienne Égypte voulut conserver les corps, il en est qui nous sont parvenus dans un tel état d'intégrité, qu'on a pu les étudier avec soin et en constater la parfaite ressemblance avec les animaux actuellement vivants. Nous citerons comme exemple l'étude comparative faite par M. Cuvier de l'ibis des anciens et de l'ibis de nos jours, d'après laquelle leur identité est démontrée. Pour les plantes il nous suffira de rappeler les observations de M. Loiseleur Deslongchamps sur la parfaite ressemblance de notre froment avec un froment trouvé dans les hypogées de l'ancienne Égypte, dont l'âge est au moins de 3000 ans et peut-être de plus de 4000. Ce savant a parfaitement établi, selon nous, que le froment ne provient pas de quelque espèce du genre ægilops, comme on l'a prétendu encore dans ces derniers temps, et, en outre, qu'il est difficile de le placer avec Buffon dans la catégorie |