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risés par la similitude d'un certain ensemble de rapports mutuels existant entre des organes de même nom, et les différences qui sont hors de ces rapports ne constituent que de simples variétés ou tout au plus DES RACES lorsqu'un certain nombre de différences se perpétuent d'une manière constante ou à peu près constante par la génération d'individus d'une même espèce.

Des deux choses que nous considérons dans l'espèce, la première est la seule qui ait été étudiée avec quelque suite par les nombreux naturalistes auxquels nous devons la description des espèces d'êtres organisés. Quoique, dans l'opinion commune, leurs travaux se rattachent au groupe des sciences qualifiées de pure observation, nous devons faire remarquer la part de l'expérience dans ces mêmes travaux, non-seulement parce que notre sujet l'exige, mais encore afin de justifier l'opinion avancée précédemment (Journal des Savants, décembre 1840, p. 714), de l'existence réelle de deux classes seulement de sciences, les sciences de pur raisonnement, et les sciences de raisonnement, d'observation et d'expérience. Lorsque les naturalistes ont pleinement satisfait aux besoins de leur science en donnant des descriptions parfaites des espèces objets de leur examen, c'est que leurs travaux se sont trouvés assis sur une base fournie par l'expérience. En effet, l'exactitude des descriptions tient à cette cause, qu'elles concernent des espèces parfaitement circonscrites pour l'observateur, par la raison qu'il avait la certitude de les étudier dans une suite d'individus identiques issus de générations successives; or, s'il était étranger au fait de ces générations successives d'êtres identiques, ce fait n'avait pas moins de précision pour lui que s'il eût été le résultat de sa propre expérience, proposition que la moindre réflexion suffit à rendre évidente. Toutes les fois, au contraire, que la base vraiment expérimentale dont nous parlons manque au naturaliste, parce qu'il est réduit à voir pour la première fois un ou deux individus d'une espèce étrangère à son pays, il se trouve exposé à l'erreur, en ce qu'il pourra prendre pour une espèce particulière soit des variétés, soit des individus jeunes ou vieux appartenant à des espèces déjà connues, ou, s'ils appartiennent à des espèces qui ne le sont pas encore, il se trompe en énonçant comme caractères spécifiques essentiels des caractères exclusivement particuliers aux individus qu'il a sous les yeux.

Deuxième chose.

En partant de l'observation des différences qui distinguent entre eux les individus d'une même espèce ou les individus des races diverses issues d'un même père et d'une même mère, on est conduit naturelle

ment à l'étude de la seconde chose que nous avons comprise dans la notion de l'espèce, et là se rattache la question de savoir si des circonstances fort différentes de celles qui existent maintenant ont pu exercer autrefois une assez forte influence sur les corps organisés, sinon sur tous, du moins sur un certain nombre, pour que ceux-ci aient constitué alors des espèces tout à fait différentes de celles qu'ils représentent actuellement.

Au premier aperçu, en considérant combien sont profondes les modifications qu'ont dû subir des espèces qui, comme celle du chien, ont donné des races aussi différentes entre elles que le sont les races des lévriers, des dogues et des épagneuls, on est bien tenté, il faut l'avouer, de répondre affirmativement à la question précédente, et d'ajouter que cette réponse, conduisant à n'admettre qu'une seule création d'êtres organisés, satisfait par sa simplicité bien plus de personnes que l'opinion contraire, d'après laquelle on reconnaît avec M. Cuvier, des créations successives d'êtres organisés, correspondant à certaines révolutions du globe. Mais faisons remarquer que ces créations successives ne sont point une conséquence nécessaire de l'immutabilité des espèces, car M. de Blainville, en professant cette opinion dans toute sa rigueur, n'admet qu'une seule création d'êtres organisés.

Quelques horticulteurs et agriculteurs ont avancé que les bonnes variétés d'arbres fruitiers propagées par la division de l'individu, en recourant aux marcottes, boutures ou greffes, dégénèrent après avoir vécu un certain temps, et qu'il en est de même des végétaux propagés par éclat ou par caïeu; et, à l'appui de leur opinion, ils allèguent la disparition ou la mort d'un grand nombre de variétés de vignes, de pommiers, de poiriers, etc., etc., qui ont été mentionnées ou décrites par Pline, Olivier de Serres, Laquintinie, etc. Cette manière de voir, qui, comme nous l'avons dit déjà, ne nous paraît pas fondée, du moins aussi absolument qu'elle a été exposée par plusieurs auteurs contemporains, et notamment par M. Puvis, pourrait être vraie cependant, nous semble, sans qu'il en résultât nécessairement la mutabilité des espèces. C'est, au reste, le point sur lequel nous reviendrons dans un article qui sera, nous l'espérons, le complément des considérations précédentes et la justification de la marche que nous avons cru devoir adopter pour traiter un sujet dont l'importance est égale aux difficultés de

son examen.

Quoi qu'il en soit de l'importance de la seconde chose que nous avons distinguée dans l'espèce, il n'en est pas moins vrai qu'elle occupe bien peu de place dans le domaine de la science positive; car à

peine possède-t-on quelques faits d'expérience ou de la simple observation propres à montrer l'influence précise du monde extérieur sur la constitution organique de quelques individus appartenant à un nombre très-restreint d'espèces et comment en serait-il autrement, lorsqu'on pense aux difficultés à vaincre et à la lenteur avec laquelle les êtres organisés peuvent être modifiés dans une suite de générations dont la durée excède beaucoup celle de la vie d'un observateur? Le petit nombre des savants qui se sont occupés de ce genre de recherches appartiennent surtout à la classe des naturalistes physiologistes, plus disposés par la nature habituelle de leurs travaux à se livrer à la fois à l'observation et à l'expérience que ne le sont les naturalistes proprement dits.

CONCLUSIONS RELATIVES A LA DÉFINITION De l'espèce.

1o Dans l'état actuel de nos connaissances, les faits concernant la première chose de la notion de l'espèce, dont la plupart résultent de l'observation quotidienne sur la multiplication des animaux et des plantes, sont en faveur de l'opinion de l'immutabilité des espèces; car, quelle que soit l'étendue de la variation que nous' observons entre les individus d'une espèce, on n'a jamais vu qu'un de ces individus soit venu se classer dans une espèce différente de celle de ses parents, ou ait constitué une espèce nouvelle. Comme nous l'avons dit, l'observation et l'expérience vulgaire de tous les jours démontrent donc, dans les CIRCONSTANCES ACTUELLES OÙ NOUS VIVONS, la permanence des types qui constituent les espèces des corps vivants.

2° Mais cette conclusion suffit-elle pour affirmer que, dans des circonstances différentes, il serait impossible que les espèces actuelles fussent assez profondément modifiées pour présenter des êtres qui, étudiés comparativement avec ceux qui existent aujourd'hui, en différeraient au point de constituer des espèces différentes : c'est ce que nous ne pensons pas. Mais, tout en admettant que, dans l'état actuel de nos connaissances, on ne peut affirmer qu'il est absurde de penser qu'une espèce ne puisse subir des modifications capables d'en faire une nouvelle espèce, d'un autre côté, admettre en principe la mutabilité des espèces serait déroger aux règles de la méthode expérimentale, puisque tous les faits précis de la science actuelle ne sont point conformes à cette opinion. En résumé, si l'opinion de la mutabilité des espèces dans des circonstances différentes de celles où nous vivons n'est point absurde à nos yeux, l'admettre en fait pour en tirer des conséquences, c'est s'éloigner de la méthode expérimentale, qui ne permettra jamais d'ériger en principe la simple conjecture.

3o De ce que nous admettons la possibilité de la mutabilité des espèces dans certaines limites, par l'effet de circonstances dépendantes du monde extérieur, nous n'en concluons ni la non-existence des es pèces, ni l'inutilité des études qui ont pour objet de les définir; car nous acceptons les définitions des espèces exactement circonscrites, comme les naturalistes qui croient à leur immutabilité absolue peuvent les donner, lorsqu'ils ont été à portée d'observer avec certitude la conservation des caractères essentiels à chacune d'elles dans une série de générations; mais, à notre sens, ces définitions ne sont vraies, ne sont exactes, que pour les circonstances où ces espèces-là vivent habituellement.

Après l'exposé des conclusions précédentes, nous dirons comment nous concevons qu'il puisse y avoir erreur ou inexactitude dans la définition d'espèces qui font partie aujourd'hui des species des botanistes et des zoologistes, en prenant pour date de leur origine l'époque où elles ont reçu la forme que nous leur voyons maintenant, soit que réellement elles ne remontent pas au delà, comme l'admettent ceux qui croient à leur immutabilité, soit qu'elles remontent à un temps plus reculé, comme l'admettent les partisans de leur mutabilité. Nous reconnaissons, d'après cela, qu'une espèce est bien définie en principe, lorsque les individus qui la représentent actuellement ressemblent à ce qu'étaient leurs ascendants les plus anciens.

ERREURS.

Les erreurs de définition des espèces de nos species peuvent avoir été occasionnées, soit par la légèreté ou un défaut de science de l'auteur, soit par les circonstances mêmes où il s'est trouvé qui ne lui ont pas permis, lorsqu'il observait, d'avoir l'ensemble des renseignements nécessaires à la circonscription exacte de l'espèce qu'il décrivait. Évidemment, toutes les erreurs dont nous parlons auraient pu être évitées, et on aperçoit une époque prochaine où elles seront effacées de nos livres; car, grâce au grand nombre des naturalistes, grâce aux nombreux voyages entrepris dans l'intention de faire avancer les sciences naturelles, les erreurs commises par légèreté ou par ignorance sont bientôt reconnues, et des espèces, établies d'après un trop petit nombre d'individus pour les représenter exactement ou complétement, comme cela a lieu pour des espèces exotiques surtout, seront tôt ou tard convenablement définies.

INEXACTITUDES.

Nous mettons une grande différence entre les espèces mal définies, à cause de ce que nous appelons des erreurs, et les espèces qui peuvent étre inexactement définies, relativement à la vérité absolue qu'il ne nous est pas donné de connaître, du moins dans l'état actuel de nos connaissances, et conformément à la distinction que nous avons établic des deux choses comprises dans la notion de l'espèce. Effectivement, les inexactitudes dont il nous reste à parler comme possibles sont bien distinctes des erreurs; car les inexactitudes fussent-elles réelles, faute de pouvoir en donner la preuve aujourd'hui, on ne serait pas fondé en droit de raisonner comme si elles étaient incontestables.

L'inexactitude de définition d'une espèce que les naturalistes n'ont pas de motifs de considérer comme mal établie peut concerner deux choses contraires: la définition donne à l'espèce trop de généralité, ou bien elle la restreint dans une circonscription trop étroite.

PREMIER CAS. Inexactitude par excès de généralité de l'espèce.

La définition d'une espèce serait inexacte par trop de généralité, si on y comprenait comme races de véritables espèces, ou, en d'autres termes, si les individus de ces soi-disant races n'étaient pas tous indistinctement issus du même père et d'une même mère; par exemple, les naturalistes qui font de l'homme un genre composé de plusieurs espèces taxent de cette sorte d'inexactitude la définition par laquelle d'autres naturalistes font de l'homme une espèce comprenant des races qui, suivant eux, proviennent d'un père et d'une mère uniques.

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Quoi qu'il en soit des deux opinions précédentes relativement à l'existence du genre humain ou de l'espèce humaine, l'inexactitude par défaut de généralité à l'égard des espèces végétales et des espèces animales, l'homme excepté, nous paraît devoir être plus fréquente que l'inexactitude par excès de généralité. A notre sens le nombre des espèces dont nous parlons, qui sont aujourd'hui décrites dans les species des botanistes et des zoologistes, sera réduit, plutôt qu'il ne s'accroîtra, parce qu'on viendrait à prouver que les races qu'on rapporte actuellement à une espèce unique constituent en réalité autant d'espèces dis

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