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l'historien du Roi d'Ivetot, le poëte destiné à élever un jour le genre le plus modeste au rang même de l'ode.

Des points de vue généraux ne suffisent point à une histoire; il faut qu'ils se rattachent à un ordre de faits particuliers. Ces faits seraient fournis au livre que je suppose par l'apparition de certaines œuvres, l'avénement de certains talents; par les discussions critiques et théoriques où l'on a, à certains moments de crise, débattu la pratique des écrivains et les principes de l'art; par des anecdotes qu'il ne faudrait pas négliger, quand elles seraient propres à constater, à caractériser le goût du temps. De tout cela pourrait résulter un récit, et, qu'on me passe l'expression, une petite épopée littéraire, qui aurait aussi, selon l'antique usage, son dénombrement en deux grandes circonstances, vers le début et vers la fin de l'époque, quand, en 1804, dans l'Institut reconstitué, se rencontrent les glorieux survivants d'un autre âge littéraire appelés à inaugurer le nouveau; et quand, en 1810, le temps venu de distribuer les récompenses décennales décrétées en 1804, une discussion passionnée sur les titres des concurrents remet devant les yeux du public toute la suite des écrivains, tout l'ensemble du travail littéraire depuis le commencement du siècle.

:

J'ignore si le plan que je me permets de substituer, en finissant, à celui du livre dont j'ai présenté l'analyse et apprécié le mérite, serait aussi exécutable qu'il me paraît. C'est à l'œuvre que se déclarent les difficultés, quelquefois les impossibilités. Quoi qu'il en soit, ma peine ne sera pas perdue, si, en l'exposant, j'ai réussi, selon mon intention, à présenter le résumé indirect de tout ce que M. Bernard Jullien a rassemblé, sous une autre forme, dans son utile revue.

Comme je termine cet article, je rencontre, dans une Histoire nouvelle du consulat et de l'empire', par laquelle M. Charles de Lacretelle, reparaissant dans la carrière historique 2, est entré courageusement en lutte avec une plus jeune renommée, des chapitres qui répondent au vœu que j'ai formé. Fidèle à sa méthode constante de comprendre dans ses récits le développement intellectuel des sociétés, M. de Lacretelle a retracé avec intérêt le tableau de cette littérature qu'a vue sa jeunesse, et où, c'est la scule chose qu'il oublie, il a brillé lui-même au premier rang. Il rend au passé un juste hommage sans rabaisser le présent, du

1 Paris, imprimerie de Dondey-Dupré, librairie d'Amyot, 1846, 2 vol. in-8° de 427 et 436 pages. Voy. particulièrement les chapitres XIII, XIV et xv, et, dans le chapitre xx, les pages 251 et suivantes. Sur les productions d'un autre genre, publiées précédemment par M. Charles de Lacretelle, voy. le Journal des Savants, 1840, juillet, p. 385 et suivantes.

quel d'ailleurs, par un bien rare privilége, il est également réclamé. M. de Lacretelle est encore, malgré ses années, trop jeune d'esprit et de talent pour dire à ses contemporains d'aujourd'hui, avec l'humeur de Nestor: «J'ai vu des hommes qui valaient mieux que vous. » Je voudrais que, par réciprocité, nos nouvelles générations littéraires ne dissent pas à leurs devanciers, avec la confiance des enfants de Sparte: «Nous vous surpasserons tous. »

PATIN.

AMPELOGRAPHIE, ou Traité des cépages les plus estimés dans tous les vignobles de quelque renom, par le comte Odart, membre correspondant des sociétés royales d'agriculture de Paris et de Turin, de celles de Bordeaux, de Dijon, de Metz, etc.; président honoraire des congrès viticoles tenus à Angers en 1842 et à Bordeaux en 1843. Paris, chez Bixio, quai Malaquais, no 19; et chez l'auteur, à la Dorée, près Cormery (Indre-et-Loire), 1845, 1 vol. in-8° de x11-433 pages.

DEUXIÈME ARTICLE.

Les détails dans lesquels nous sommes entré en parlant de l'umpélographie (Journal des savants, 1845, page 705), suffisent sans doute pour faire connaître à nos lecteurs la manière dont le comte Odart a envisagé son sujet : et dès lors, en nous évitant le reproche d'avoir exposé nos propres idées, au lieu de rendre compte d'un ouvrage soumis à notre examen, ils nous mettent à l'aise pour discuter la question de la dégénérescence des plantes cultivées, posée précédemment par nous dans l'intention de la traiter plus tard avec les détails qu'elle comporte. Au reste ce n'est point cesser de s'occuper de l'ampélographie que d'envisager cette question au point de vue le plus général, car le comte Odart, en y donnant une attention toute particulière en a parfaitement apprécié l'importance, et, en adoptant l'opinion la plus vraisemblable à notre avis, il s'est appuyé sur des observations choisies avec un grand discernement, et susceptibles conséquemment d'éclairer la discussion générale d'un sujet auquel elles se rattachent comme faits particuliers.

Le comte Odart a employé le mot espèces, ainsi que nous l'avons déjà fait remarquer dans notre précédent article, avec le sens que la langue vulgaire et le vocabulaire des horticulteurs y attachent communément, pour désigner des groupes de corps vivants, qui sont appelés par les naturalistes races ou simplement variétés. S'il n'y a pas, lorsque la question de la dégénérescence des corps vivants est circonscrite à celle des plantes cultivées, d'inconvénient grave à se servir du mot espèces au lieu de celui de races ou variétés, pour désigner les diverses modifications individuelles de la vigne, du pommier, etc., qui se reproduisent ou se multiplient en conservant des caractères plus ou moins fixes, telles que le muscat, le chasselas, le calville, la reinette, etc., etc., il n'en est plus de même, si l'on envisage la question au point de vue le plus général où nous nous proposons de la traiter. C'est pourquoi nous allons consacrer cet article à définir d'une manière précise les mots espèces, races et variétés, en ayant égard aux faits actuellement connus sur lesquels on peut s'appuyer pour admettre ou rejeter le principe de la mutabilité des espèces, réservant un troisième article à l'examen de la question spéciale de la dégénérescence des plantes cultivées, envisagée au point de vue particulier où s'est placé l'auteur de l'Ampélographie.

Si la science relative aux êtres organisés présente aux méditations du philosophe un sujet fondamental par l'importance de toutes les conséquences qui en dépendent, c'est sans contredit la question de savoir si les espèces végétales et animales ont un caractère de permanence suffisant pour ne pas être modifiées dans leur essence, sans que les individus qui les représentent périssent infailliblement, ou bien, au contraire, si leur organisation est assez flexible pour se prêter, dans certaines circonstances, à des modifications telles, que les individus qui les représentent pourront, par suite des changements qu'ils auront subis, constituer des espèces différentes de celles qu'ils représentaient avant ces modifications.

Ayant toujours pris pour guide la méthode expérimentale avec toute sa rigueur dans les conclusions auxquelles l'étude scientifique d'un sujet conduit, nous avons soigneusement distingué ces conclusions en conséquences positives, en inductions et en conjectures, et, en appliquant cette méthode à la question que nous venons de poser, nous n'avons jamais compris l'assurance avec laquelle certains écrivains l'ont tranchée soit dans un sens soit dans l'autre; car, affirmer aujourd'hui qu'une solution

1 Journal des Savants, décembre 1840, p. 713, et De l'abstraction considérée comme élément des connaissances humaines dans la recherche de la vérité absolue, ouvrage inédit.

complète de la question existe, c'est avancer que l'on a une opinion qui ne pourra être modifiée par aucun travail ultérieur. Or, nous le demandons, que devient le progrès dans les sciences d'expérience avec cette manière de voir? Que deviennent les recherches sur le croisement des animaux et sur les fécondations végétales, les recherches concernant les modifications susceptibles d'être produites par un genre d'alimentation longtemps suivi ou par des influences quelconques, différentes de celles qui agissent dans la vie ordinaire? Est-ce la peine de les entreprendre, si elles ne doivent pas jeter une vive lumière sur le sujet? N'avons-nous plus rien à apprendre de l'organisation étudiée dans les animaux et les végétaux inférieurs, dans les formes que revêtent certaines matières, qui, débris d'êtres organisés, semblent, dans certaines circonstances, à l'instar de la levure de bière en fermentation avec le sucre, animées d'une sorte de vie? Évidemment ceux qui, comme nous, ont la conviction de l'importance de pareilles recherches, penseront qu'en se lançant dans une carrière à peine ouverte il s'agit moins aujourd'hui de travailler pour ajouter de nouvelles preuves à l'appui d'une opinion que l'on veut faire triompher, que de chercher à s'éclairer soimême pour convertir la probabilité en certitude.

Avec notre manière de voir, y a-t-il possibilité, pourra-t-on demander, de donner de l'espèce une définition qui, précise eu égard aux faits dont nous sommes aujourd'hui en possession, aurait en même temps assez de latitude pour laisser à l'avenir la tâche de définir et de fixer ce qui est vague encore dans nos connaissances actuelles? Nous le pensons, et nous allons essayer de le faire en développant la définition de l'espèce conformément à la manière dont nous l'avons envisagée dans le Journal des Savants (décembre 1840), pages 715, 716 et 717, en rendant compte des recherches d'anatomie transcendante et pathologique de M. Serres.

Définition de l'espèce, de la race et de la variété.

Dans une espèce nous considérons deux choses;

1° L'ensemble des rapports mutuels des organes divers constituant un individu, et la comparaison de ces rapports dans les individus représentant l'espèce, afin d'établir la similitude de ces individus ;

2° L'ensemble des rapports de ces individus avec le monde extérieur où ils vivent, afin d'apprécier l'influence qu'ils en reçoivent.

Le monde extérieur comprend la lumière, la chaleur, l'électricité, l'atmosphère, les eaux, le sol et les aliments, avec toutes les modifica

tions que chacun de ces agents ou chacune de ces matières est susceptible de présenter dans sa manière d'agir ou d'être.

Première chose.

En fait, rien de plus simple que la notion fondamentale de l'espèce dans les êtres organisés, pour l'homme instruit et même pour le vulgaire, dès que l'on considère l'espèce d'un être organisé comme comprenant un nombre indéfini d'individus ayant plus de ressemblance entre eux qu'avec tous autres analogues, et que l'on voit les individus doués de plus de ressemblance tirer leur origine de parents qui leur ressemblent, de manière que l'espèce comprend tous les individus issus d'un même être ou de deux êtres, suivant que les sexes sont réunis ou séparés.

Cette notion de l'espèce est parfaitement conforme à tout ce que nous pouvons observer, lorsque, partant d'une dernière génération d'individus, nous remontons dans le passé, aussi loin que possible, à leurs ascendants; c'est surtout en comparant nos animaux et nos végétaux actuels avec ceux dont nous retrouvons les restes ou les figures dans l'ancienne Égypte, que l'observation précédente acquiert une impor

tance évidente.

D'un autre côté, si des individus appartenant à deux espèces distinctes peuvent donner naissance à un être vivant, celui-ci participera de ses ascendants; il sera donc moins différent, relativement à eux, que les ascendants ne le sont l'un à l'égard de l'autre; enfin, si des individus sortis de deux mêmes espèces sont susceptibles de se reproduire, on aura des individus qui présenteront le même résultat; mais il faut reconnaître que les produits de deux espèces, particulièrement ceux qui proviennent des animaux, ont bien peu de disposition à se reproduire. Enfin, si on ajoute que les croisements ne sont possibles qu'entre des espèces très-voisines, on conviendra que la notion de l'espèce, déduite des faits précédents, peut s'énoncer très-clairement dans les termes suivants :

L'espèce comprend tous les individus issus d'un même père et d'une même mère; ces individus leur ressemblent le plus qu'il est possible, relativement aux individus d'une autre espèce1; ils sont donc caracté

1 Dans cette ressemblance, nous comprenons tous les caractères; car, en ne considérant que les caractères visibles, tirés de la taille, de la forme, de la couleur, etc., on pourrait trouver plus de ressemblance, sous ces rapports, entre deux individus d'espèces différentes, qu'entre les individus de deux races d'une même espèce. Par exemple, le matin, variété de chien, a plus de ressemblance avec le loup qu'il n'en a avec le chien barbet.

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