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Sur les modifiCATIONS qui s'opèrent dans le sens de la polarisation des rayons lumineux, lorsqu'ils sont transmis à travers des milieux solides ou liquides soumis à des influences magnétiques très-puis

santes.

TROISIÈME ARTICLE1.

Newton, dans son optique, s'est astreint à présenter ses découvertes sous la pure forme de faits, en y attachant des énoncés qui fussent, autant que possible, indépendants de toute hypothèse sur la constitution du principe lumineux. Ce n'est pas que sa pensée, si profonde et si méditative, ne se fût portée bien souvent sur cette grande question de philosophie naturelle. On voit, par ses premières communications faites à la société royale de Londres, en 1675, qu'il avait conçu dès lors une hypothèse physique, mêlée d'émission corpusculaire et de mouvement ondulatoire dans un éther intangible, dont il essayait de déduire tous les phénomènes de la lumière, c'est-à-dire les opérations mécaniques par lesquelles elle est produite, propagée, réfléchie, réfractée, infléchie à l'approche des corps matériels; comment aussi, dans ces circonstances, elle est dispersée en parties douées de facultés calorifiques diverses, et quelle cause lui imprime ses intermittences périodiques de facile transmission, ou de facile réflexion. Il rattachait encore à cette hypothèse le développement de la chaleur, les réactions chimiques, et même les mouvements animaux produits par les actes de la volonté; le tout, dit-il, pour se conformer à la mode du temps, sans croire avoir personnellement besoin d'aucune hypothèse pour exposer des faits établis par l'expérience. Il avait alors trente-trois ans : le développement ultérieur de ses découvertes lui fit vraisemblablement reconnaître qu'une telle conception était prématurée; et, tout en gardant pour lui les mêmes convictions, il n'en laissa subsister de traces volontaires que dans ces mémorables questions qu'il inséra trente ans plus tard, à la suite de l'optique, comme s'adressant à un autre siècle. Deux motifs durent le déterminer à agir ainsi2:

Voir, pour les deux premiers articles, les cahiers de février (page 93) et mars 1846 (page 145). Cette première hypothèse conçue par Newton, dès 1675, se trouve rapportée d'après une longue lettre de lui, dans l'histoire de la Société royale de Londres, par Birch, tome III, page 247 et suiv. Dans l'article Newton de la biographie universelle, on a tâché de présenter le résumé des idées très-vastes, que l'ensemble de ses travaux paraît lui avoir fait définitivement concevoir sur ce même sujet; mais, par le manque de place, ou par la faute du rédacteur, elles n'y sont pas exposées aussi complétement qu'on a pu le faire ici.

par

Le premier fut le ressentiment profond des attaques et des fatigantes controverses auxquelles il s'était vu exposé lors de la publication de ses premiers travaux sur la lumière. Non-seulement il avait été assailli des adversaires obscurs auxquels il crut devoir répondre, et qu'il aurait pu dédaigner; mais il eut encore le regret de voir ses plus belles découvertes expérimentales et ses résultats les plus certains méconnus, contestés, niés par des hommes d'un grand renom, tels que Hook et Huyghens, qui ne les voulaient admettre, ou seulement envisager, que dans les rapports qu'ils pouvaient avoir avec les systèmes qu'euxmêmes avaient conçus. Lorsque Newton se décida enfin à publier son optique en 1704, il crut ne pouvoir échapper à de pareilles luttes qu'en rassemblant les résultats de ses observations sous la forme sévère de lois expérimentales qui en offrissent uniquement l'expression généralisée. Mais cette précaution ne le préserva point. On lui reprocha de ne pas rendre raison des phénomènes qu'il avait pris tant de peine à établir. La plus belle de ses abstractions, peut-être, celle qu'il avait désignée sous le nom d'accès, fut considérée comme une qualité occulte; quoique, dans son intention, et dans les termes exprès par lesquels il l'exprime, ce ne fût qu'un pur énoncé de faits. Tant la véritable philosophie des sciences est une chose rare1!

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Le second motif qui dut empêcher Newton de rattacher ses résul

L'opposition de Hook aux découvertes de Newton sur la lumière était suggérée par un sentiment d'envie aveugle, qui lui faisait substituer les plus évidentes erreurs aux faits les plus palpables. L'opposition de Huyghens, exempte de tout sentiment pareil, était fondée sur une ignorance entière de ces faits, et sur une sorte de mécanisme de son esprit qui l'y rendait absolument insensible. Les détails de la discussion qui s'éleva à ce sujet entre Newton et Hook sont rapportés dans l'Histoire de la Société royale de Londres, par Birch, tome III. On les a résumés dans l'article Newton de la Biographie universelle. Les objections élevées par Huyghens se voient dans deux lettres que Newton adressa en réponse à Oldemburg, pour lui ètre transmises. Ces lettres sont insérées sous les n° 7 et 8 dans le tome IV de l'édition des œuvres de Newton, donnée par Horsley, pages 342 et 349. Huyghens était un très-grand génie; mais, spécialement géométrique et mécanique, il ne saisissait les idées que revêtues d'un corps. Ce caractère de son esprit se découvre en plein, par les fragments de sa correspondance publiée à Leyde en 1833. Dans une lettre adressée à Leibnitz vers la fin de 1690, il ne se gêne pas pour dire que le principe de l'attraction newtonienne lui paraît absurde; et il se félicite d'avoir témoigné celté pesanopinion dans une addition qu'il avait faite à son discours sur la cause de la teur (t. I, p. 41). On voit, par ces mêmes lettres, qu'il ne comprit pas davantage la portée du calcul différentiel, et qu'il en fit toujours très-peu de cas. Ce n'est pas le seul exemple qui prouve qu'on peut être un très-bon géomètre et un très-mauvais philosophe. Voyez l'extrait de cette correspondance d'Huyghens, dans le Journal des Sarants, volume de 1834, p. 291.

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tats définitifs à un système arrêté sur la nature de la lumière, ce fut très-probablement la connaissance plus intime que l'expérience lui avait donnée de toutes les difficultés de détail, inhérentes à une pareille conception, quand on veut l'établir sur des énoncés précis, assurés, complets, et mathématiquement calculables. On le voit saisir toutes les occasions d'attaquer ce problème par parties, sous les diverses formes qu'il peut revêtir. Ainsi, dans le premier livre des Principes, quand il parvient à calculer la réfraction et la réflexion intérieure d'un corpuscule matériel qui pénètre un milieu homogène agissant sur lui par des attractions à petite distance, ce qui est le premier et mémorable exemple d'une question pareille posée et résolue, il ne peut se défendre d'en montrer l'analogie prochaine avec les mouvements de la lumière, «Harum attractionum haud multum dissimiles sunt lucis reflexiones et refractiones. » Puis, dans le livre suivant, lorsque par un effort de spéculation mathématique inouï alors, il arrive aussi à calculer la formation des ondes excitées dans un milieu élastique par les vibrations réitérées d'un corps solide, ainsi que leur mode de propagation, leurs intervalles et leurs vitesses, ce n'est pas seulement les phénomènes du son qu'il envisage; il saisit la concordance de ces résultats avec les effets de la lumière considérée sous cette autre forme : Spectant propositiones novissimæ ad motum lucis et sonorum. Ici l'on peut se demander, comment Newton concevait alors la lumière, pour que, selon lui, deux mécanismes si dissemblables dussent y concourir? Il ne l'a pas déclaré ouvertement, et surtout jamais d'une manière affirmative. Mais on peut assez bien l'inférer des questions de l'optique, en les interprétant dans ce qu'elles ont d'obscur par ses premières communications faites à la Société royale 1. On sera sans doute bien aise de savoir le fond de sa pensée; et, comme elle est très-peu connue, je vais essayer de la dire.

Newton imagine un éther universel, intangible, infiniment élastique et rare, tel qu'on l'admet dans le système ondulatoire simple que j'ai d'abord exposé. Cet éther pénètre tous les corps matériels, où il réside entre leurs particules, à des degrés de condensation divers, d'autant moindres, qu'ils renferment plus de matière pondérable. Ainsi il est plus rare dans le verre que dans l'air, et plus rare dans l'air que dans l'espace d'où l'on a extrait ce fluide. Mais ces changements procèdent par gradation près des limites superficielles des corps, de manière à y établir une sorte d'atmosphère éthérée, ayant, à des profondeurs sensibles, une densité

'Birch, History of the Royal Society of London, tome III, p. 249 et suiv.

uniforme, et dans ses couches externes des densités rapidement variables. Suivant ce mode général de distribution, l'éther est aussi plus rare dans les corps denses du soleil, des étoiles et des planètes, qu'il ne l'est dans les espaces dépourvus de matière pondérable, compris entre eux; et, en s'étendant de ces corps à des espaces fort éloignés, il devient progressivement plus dense. De sorte que, dit Newton, c'est peut-être son ressort, qui, agissant sur eux par pression, et les poussant des plages les plus denses vers les plus rares, produit leur gravitation mutuelle, maintient l'agglomération des éléments de leurs masses, sans opposer à leur mouvement de résistance sensible, depuis qu'on les observe, à cause de son excessivement petite densité. En effet, la répulsion mutuelle des particules d'un milieu, d'où résulte son élasticité, est totalement distincte et indépendante de la quantité de matière inerte qui s'y trouve contenue dans un espace donné. Or cette quantité relative, qui constitue la densité, est la seule occasion de la résistance qu'un milieu, composé de particules disjointes, et en repos individuel, oppose à la translation des corps qui s'y meuvent. Car cette résistance ne provient pas d'une force active, mais de l'inertie de la matière, laquelle ne peut être déplacée de son lieu de repos actuel qu'en partageant le mouvement du corps qui la déplace, par suite de quoi ce mouvement s'affaiblit. C'est ainsi que le principe électrique, sans nous offrir de masse appréciable, imprime aux corps matériels des mouvements d'impulsion, disjoint violemment leurs molécules par des explosions soudaines, et vaporise subitement l'or même, en vertu de sa seule élasticité.

Dans la pensée de Newton, cet éther universel n'est pas le principe

même de la lumière: il en est essentiellement distinct. La vision ne résulterait pas d'ébranlements d'abord imprimés à une petite masse de ce fluide par les vibrations des corps lumineux, puis propagés en ondulations jusqu'à notre rétine, comme dans le système imaginé par Hook, et aujourd'hui en faveur parmi les physiciens 1. Ce que Newton

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Lorsque Newton eut prouvé par l'analyse du spectre que la lumière blanche était composée de rayons de natures distinctes, ayant des qualités propres, originaires et inaltérables, Hook ne vit pas d'abord comment des ondulations similaires, excitées et propagées dans un milieu de constitution uniforme, ainsi qu'il l'avait supposé jusqu'alors, pourraient lui fournir des équivalents de ces qualités diverses. En conséquence, il opposa aux expériences de Newton une explication hypothé tique de la dispersion qui était remplie d'erreurs, et l'on pourrait dire de mauvaise foi (Birch, tome III, pages 10-14). Newton la réfuta péremptoirement dans les Transactions philosophiques, n° 88. Alors Hook imagina, plus heureusement, d'attribuer aux corps lumineux la faculté d'exciter dans l'éther uniforme des ondulations d'inégales longueurs, qui, arrivant à la rétine, pouvaient y faire naître

appelle des rayons de lumière, ce sont des corpuscules matériels, d'une ténuité insaisissable, lancés en tous sens par les corps lumineux, et doués de toutes les qualités de corps de dimensions sensibles, comme dans le système de l'émission simple que j'ai précédemment exposé. Ces corpuscules, de même que les astres, traversent les espaces célestes sans que l'éther leur oppose de résistance appréciable; et ils y suivent leur direction primitive d'émission, sans dévier sensiblement de la ligne droite, parce que la densité de l'éther y étant presque uniforme, l'élasticité de ce fluide réagit sur eux également dans tous les sens. Mais leur marche doit cesser d'être rectiligne partout où sa pression devient inégale. Par exemple, quand un corpuscule lumineux, se mouvant dans l'air, approchera d'un corps matériel, dans les limites de proximité où les densités de l'éther varient rapidement, il devra éprouver plusieurs sortes de perturbations. D'abord, l'excès de force élastique des couches plus denses le pousse vers les plus rares; en même temps les molécules matérielles du corps le sollicitent par leurs attractions, et lui-même aussi, réagissant sur elles, tend à les déranger de leurs positions d'équilibre. Alors, soit en conséquence de ces dérangements opérés par les impressions réitérées des corpuscules qui se suivent, soit par leurs actions immédiates sur le milieu éthéré, ou par ces causes

la sensation de couleurs différentes, tant par la durée de leurs impressions individuelles que par la diverse rapidité de leur succession alternative. Cette condition de diversité a été conservée avec raison aux ondes lumineuses par les physiciens qui ont adopté le système de Hook. Mais il reste encore cette difficulté que, d'après les calculs qu'on a pu jusqu'à présent appliquer aux petites agitations des fluides élastiques, les ondes de toutes grandeurs s'y propageraient avec la même vitesse; de sorte que les séries d'ondes lumineuses de grandeurs inégales sembleraient ne pas devoir se séparer sur des directions diverses par les réfractions, comme elles le font quand un trait de lumière blanche est à la fois brisé et dispersé par un prisme. Toutefois Fresnel a montré, par des considérations très-ingénieuses, que ce résultat des formules analytiques actuelles n'est pas établi avec une rigueur absolue, et que les conditions physiques admises comme données fondamentales dans le calcul d'où on le déduit, pourraient bien ne pas être complétement applicables à des ondes aussi courtes que celles de l'éther lumineux. Il lui paraissait que, dans un tel cas, les ondes les plus courtes devaient se propager un peu moins vite que les ondes les plus longues. Ce point délicat de mécanique physique donna lieu, entre lui et Poisson, à une controverse du plus grand intérêt, dont on peut voir les détails dans les tomes XXII et XXIII des Annales de chimie et de physique pour l'année 1823. Quoique la nature du sujet que je traite doive me ramener plus tard à ce point de discussion, je n'ai pas cru inutile de l'indiquer ici, pour faire sentir dès à présent au lecteur ce qui avait décidé Newton à rejeter l'hypothèse des ondulations immédiatement transmises, et à lui substituer un système plus complexe.

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