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reux et un homme perdu par l'abandon d'un projet si longtemps médité et si bien ménagé, qu'il ne restait plus qu'à en commencer l'exécution avec ces troupes; et je n'ai plus qu'à choisir ou de les renvoyer par terre, ou d'en venir à une rupture avec les États, ce qui serait si contraire à la volonté connue de Sa Majesté. Le dernier parti, ni la conscience, ni le devoir, ni le temps, ne me permettent de le prendre; il me faut donc résigner au premier, qui renverse tout notre plan, Je ne sais plus à quoi penser, si ce n'est à me retirer dans quelque hermitage. Ce qu'il y a de sûr c'est que je suis si consterné de ce coup, que je passe de longues heures à y réfléchir sans savoir qu'imaginer... Je ne suis pas moins inutile ici, que j'aurais pu, dans d'autres temps, y bien servir par ma présence. J'y vois les choses arrangées de telle manière, qu'en me fiant à ce qui m'entoure, je risque de donner de moi une mauvaise idée, et de faire craindre de très-mauvais résultats parce que je ne suis pas fait pour ces gens-ci, et que ces gens-ci ne sont pas faits pour moi. Bien loin de là, dans les rapports que nous avons eus ensemble, nous nous sommes cent fois rencontrés en telle opposition, que nous ne pouvons en aucune façon en venir à être sur rien du même avis. Je dis donc résolument que, plutôt que de demeurer ici au delà du temps nécessaire au choix d'une autre personne, il n'y aura pas de parti que je ne prenne, jusqu'à celui de laisser tout là et d'arriver là-bas quand on m'y attendra le moins, dussé-je en être châtié jusqu'au sang, dussé-je, seigneur Antonio, en compromettant le service du roi, causer ma perte et me faire exécuter moi-même en exemple pour un si grand dommage. Soyez sûr qu'il n'y aura là rien de pire que de désoler un sujet si soumis et qu'on avait sous la main, en l'exilant où l'a voulu son maître 1. »

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«A, señor Antonio, y cuan cierto es de mi disgracia y desdicha la quiebra de nuestro designio, tras muy trabaxado y bien guiado que se tenia, pues no consistia en mas efeto d'encomençarle con esta gente que, o a de salir por tierra, o benirse forçadamente a rrotura tan contra voluntad, como save, de Su Magestad. Lo postrero ni la conciencia, ni el deber, ni el tiempo, me lo permite, y asi, como digo, es fuerça venir en lo primero para ruyna de nuestra traça; pues no sé en que pensar sino en una hermita... es cierto questoy tan lastimado deste golpe que llego artos ratos a imaginar en esto... Soy aora no menos inutil para lo de aqui que fuera otro tiempo probechossa mi presencia, y berme ques esto de manera que, aviendo de creer siempre a los presentes, llegaria a dar de mi muy mala cuenta y muy mal abenturada porque de ningun modo soy para entre estas gentes y mucho menos son ellas para mi. Muy fuera desto, y que en los tratos que avemos tenido que nos «avemos encontrado muchas veces de suerte y de manera que en ninguna manera somos ni podemos ser para en uno. Digo rresolutamente que, antes de quedar aca mas de lo ques menester para que en el entretanto que se probee persona, no abrà

Don Juan disait que la main d'une femme vaudrait mieux que celle d'un homme pour gouverner dans le moment cette population indocile, et il proposait ou l'impératrice, que désiraient les États, ou la duchesse de Parme, qui avait laissé de bons souvenirs parmi eux. Il demanda l'autorisation de sortir des Pays-Bas avec les troupes espagnoles, et d'aller assister Henri III, qui, au printemps de 1577, était en guerre contre les huguenots de France. « Vous verrez, écrivait en même temps Escovedo à Perez, que le prince propose, dans la lettre au roi, que les troupes qu'on fait sortir d'ici aillent au secours du roi de France dans l'extrémité ou le réduisent aujourd'hui les hérétiques, et que le profit qu'on en peut tirer est d'effacer et de racheter le déshonneur qui résulte de l'expulsion des Espagnols, afin qu'on puisse dire, si on veut, dans l'histoire, que ce fut pour venir en aide à la France dans une nécessité aussi pressante que celle-ci qui touche à la religion. Ce parti servira en même temps de frein à ces ivrognes-ci; car il est sûr qu'ils nous craindront aussi fort à nous voir en France, que si nous étions ici, et nous pourrions en venir par là à nous embarquer par la suite et à poursuivre notre projet en dédommagement d'une humiliation qui est d'un si grand préjudice. Si le prince propose là quelque chose de singulier, ne vous en étonnez pas, quand il est sous le coup qui lui a bouleversé l'esprit; c'est pour cela que je brûle et que le prince se meurt d'envie de sortir d'ici avant d'y être entré. Et, si nous y entrons, qu'y ferons-nous? Voilà pourquoi nous serions ravis de partir avec la troupe, si elle va en France. Toute nombreuse qu'elle soit, elle ne l'est pas assez pour un si grand général, mais on n'en dira que plus glorieusement pour lui : Don Juan d'Autriche est allé au secours du roi de France, restaurer son royaume avec six mille fantassins et deux mille cavaliers. Nous irons en simples aventuriers, et il se réjouira mille fois plus d'y servir de cette manière, que de gouverner ici de si grands misérables 1. »

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प rresolucion que no tome, hasta dexarlo todo y ser alla quando menos se cataren, aunque « piense ser castigado a sangre, y, señor Antonio, juntar la destruycion en el servicio del Rey con la mia y acerme a mi executar exemplo deste daño... por cierto no demas «que de mal acavar un sageto tan obediente y puesto a la mano, como se ha visto, para arrojarle adonde a querido el dueño. » (Carta del señor don Juan para Antonio Perez desde Marcha de 16 de hebrero 1577.) Ms. La Haye fol. 16-18. -«Ya verà V. M. "por la carta de Su Magestad, como propone questa gente que se saca fuese a socorrer al rey de Francia en la necessidad que aora van poniendole los herejes y quel «fin que se lleva es derramar y remendar esta deshonrra que se sigue de sacarlos «Espagnoles y la demas gente porque se diga en la ystoria, si quiera que fue a socorrer a Francia en una tan gran necessidad como esta, tocando en rreligion, y « tambien serbirà esto de rrefrenar estos borrachos. Porques cierto questando en

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Ce projet, destiné uniquement à cacher un échec et à couvrir une retraite, n'était pas le seul. Don Juan et Escovedo en conçurent un autre. Obligés de renoncer à la conquête de l'Angleterre, ils rêvèrent la possession du pouvoir en Espagne. De quelle façon? Le voici. Dans une lettre du 3 février 1577, Escovedo annonçait à Perez que le prince, maintenant désespéré, n'avait plus pour but et pour ambition qu'un fauteuil sous un dais, ce qui devait l'assimiler à un infant. Don Juan voulait l'obtenir pour entrer dans les conseils d'Espagne, y fortifier le parti du marquis de Los Velez, du cardinal Quiroga, de Perez, et', d'accord avec ce parti, conduire les affaires de la monarchie. Aussi Escovedo ajoutait, quatre jours après, dans une lettre adressée à Perez, le 7 février: «Si vous pouvez nous rappeler en cour, sachez bien que nous en sommes venus à trouver que c'est ce qu'il y a de mieux à faire et que nous nous y rendrons disposés à agir. Vous, pour ce qui vous concerne, veillez à obtenir ce résultat et soyez sûr que, si vous parvenez à grouper à la cour Son Altesse, Los Velez, Sesa 2, avec Antonio et Juan pour acolytes, notre avis ne pourra manquer de prévaloir dans le conseil. Ce plan ménagé de loin, en y associant qui on pourra regarder comme un bon soutien, réussira, n'en ayez aucun doute. Dans les bonnes occasions que vous et Velez aurez de déplorer le trop de travail du roi et de reconnaître la nécessité de veiller à sa santé, d'où dépend le salut de la chrétienté, j'irais jusqu'à dire, sans plus de détour, que, par cette raison et attendu l'extrême jeunesse du prince, son fils, il serait bon qu'il eût à qui faire porter le fardeau, et qu'après avoir apprécié la sagacité, la prudence et la fidélité que Son Altesse a déployées dans ces affaires-ci, il semble qu'il est le personnage à qui ce poste revient, et celui que, comme dit l'Écriture: Dieu

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« Francia les temeran como si estuviesen aqui; de tal manera podriamos darnos despues a embarcarnos y ayudarnos en la traça, que seria rremate desta desautoridad y gran daño. Si propusiere alguna cossa desbaratado, no se marabille V. M., que « ha desbaratado el entendimiento este golpe, y boy deseando, y Su Alteça muere por ello, «de salir de aqui antes que entremos que haremos despues dentrados? Y para esto « tomaremos de muy buena gaña hir con esta gente, si ba a Francia, porque, si biene en « numero, no es para tanto general: La causa es muy onrrada para que si diga: fue don « Joan de Austria a socorrer al rey de Francia y restaurar su reyno, y estirpar los «herejes del con seis mil infantes y dos mill cavallos; hiremos como abentureros y se holgarà mas de servir en esto que no en govierno de tan ruin gente. »7 fev. 1577. Escovedo à Perez, ms. de La Haye, fol. 12-16. V. M. se prebenga y crea que silla y cortina es mi intento y apetito. 3 fév. 1697, D. Juan à Perez, ms. La Haye, f. 12. Le duc de Sesa était l'un des membres les plus influents du conseil de la guerre.

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a voulu, en récompense de la piété du roi, lui donner pour bâton de vieillesse1. »

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Escovedo priait instamment Perez de faire agréer au roi le départ de don Juan, de peur qu'il ne succombât à quelque grave maladie que luifaisait redouter sa constitution délicate, et l'état d'exaltation où l'au rait jeté la ruine de ses espérances. « Je tremble, disait-il, qu'il ne nou laisse ici-bas à notre bonne étoile ou plutôt à notre mauvaise. Si ce malheur nous arrivait, adieu la cour, adieu le monde : il y a des montagnes autour de Saint-Sébastien et de Santander; c'est là que je veux m'aller mettre, plutôt au milieu des bêtes fauves que parmi les courtisans. Soutenons-nous donc mutuellement, puisque nous conservons ainsi celui qui nous conserve, et plaçons-le où il pourra trouver satisfaction 2. >>

Don Juan adressait les mêmes désirs à Perez. Il le priait de les communiquer au marquis de Los Velez, dans la mesure qu'il jugerait convenable, afin que le marquis contribuât de son côté à leur concilier la faveur du roi. «Il me rendra, disait-il, un des plus signalés services qui se puissent recevoir d'un ami, car ce service me sauvera infailliblement du danger de risquer une désobéissance pour échapper à une infamie3. » Il revenait à la charge quelques semaines après, avec un redoublement d'ardeur. Malgré l'édit perpétuel qu'il avait conclu, le 12 février avec les États, et que Philippe II ratifia le 7 avril, édit qui

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.... V. M. nos puede acer cortesanos. Sepa que hemos llegado a conocer que esto es lo que ace al caso y que andaremos vestidos largos. V. M., le ba, por lo que « se desbele en encaminarlo; que si acierta a estar ay Su Alteça y el de Los Belez y Sesa, y por acolytos Antonio y Joan, crea cierto que baldrà nuestro parecer en el consejo, y esta platica tomada de lexos, y prebenido della a quien estuviere cierto «que ayudara, saldrà sin duda. Yo, sin mas pensar, diria, en las buenas ocasiones " que V. M. y Belez ternan, cerca del dolerse del trabajo de Su Magd y cuanta necesidad ay de mirar por su salud, pues depende della cristiandad, y que para esto, « ya quel principe Nuestro Señor es nino, conbendria que tuviese con quien descargar, que aviendo visto que con sagacidad prudencia, y cordura Su Alteça se a gobernado en estos negocios, parece ques sugeto en quien cave este lugar y que' «< como dice la escritura fue, Dios servido, por su cristiandad, de darsele por baculo «de su bexes. » 7 fév. 1577. Escovedo à Perez, ms. La Haye, f. 12 à 16.—3« . . Que, lo temo, ha de dexarnos hir a buenas noches, facilmente digo a malas.... Y si « nuestra desventura fuere tal, adios corte, adios mundo. Que montes ay cerca « de San Sevastian y Santander, y alli quiero estar mas entre los animales que no « entro los de la corte. Ayudemosnos pues conservamos al que nos conserva y llebemosle donde se llevase el contentamiento. Idem. Aciendome a mi una de las maiores buenas obras que de amigos puedo recevir; pues me libraran cierto de yncurir en lo de inobediencia por no pasar por casso de ynfamia. 16 fév. 1577, D. Juan à Perez, ms. La Haye, fol. 16-18.

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stipulait la sortie des troupes espagnoles, la remise des citadelles entre les mains des États, le rétablissement des priviléges provinciaux, don Juan, laissé sans argent, resté sans armée, n'avait pas acquis plus d'autorité, ni obtenu plus de confiance auprès des peuples des Pays-Bas. H leur était toujours suspect, et, le 1 mars, en écrivant à Perez qu'il autorisait à modifier ses dépêches officielles au roi, s'il en trouvait le langage trop vif, il lui disait : «Mettez toujours en première ligne de me tirer d'ici. Sur ce point il y va pour moi de la vie, de l'honneur. du salut de mon âme. Car, pour la vie et l'honneur, je les perdrai certainement en cas de retard, et avec eux les services passés et à venir, et l'âme, quand ce ne serait que par désespoir, courra également de grands risques... Qu'on me croie et qu'on exécute ensuite sur-le-champ ce que je demande en toute sincérité. Faites-y donc tous vos efforts, seigneur Antonio, et envoyez-moi des nouvelles qui me donnent à vous in æternum, si je puis jamais être à vous plus que je ne le suis. Je me joindrai à Velez et à Quiroga non-seulement pour vous soutenir, mais pour attaquer nos ennemis, car je regarderai comme tel quiconque le sera d'un ami tel que vous 1. »

De quelle manière furent alors jugées et prises à Madrid ces pensées de don Juan qu'inspiraient une position fausse, une imagination malade, une ambition inquiète, mais qui n'avaient certainement rien de factieux, comme je l'ai avancé ailleurs? Perez va nous l'apprendre, non par ses Relaciones faites après coup, mais par sa correspondance. Jouissant à la fois de la confiance intime de don Juan, qui lui ouvrait son âme, et de celle de Philippe II, auquel il montrait tout et qui ne décidait rien sans son avis, Perez, après s'être concerté avec le roi, écrivit à don Juan : << Bien que je désirasse infiniment envoyer à Votre Altesse l'ordre qu'elle attend pour la rappeler d'où elle est... ni notre ami Los Velez, ni Quiroga, n'ont pensé qu'on pût en aucune manière mettre présentement cette affaire sur le tapis, à moins qu'on ne veuille perdre tout et exposer les États à un péril manifeste. J'ai eu beau mettre dès aujourd'hui en avant quelques-unes des raisons que Votre Altesse et Escovedo m'avez écrites, pour tâcher de faire agréer ce que je souhaite, elles n'ont pu

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1 Presuponiendo en lo principal, ques lo del sacarme de aqui, que en hacerlo me ba la vida y onrra y alma, porque las dos primeras partes perderé cierto si tarda y con ellas lo servido y por servir, y la tercera, de puro desesperado, hirà a gran riesgo. Creame... y, despues executar luego lo que tan de beras pido, esfuercelo señor Antonio y aviseme con propio, enbiandome nuebas tales que para yn æternum me haga suio, si mas que soy lo puedo ser. » 1 mars 1577, Juan à Perez, même manuscrit, fol. 18-19.

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