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JOURNAL

DES SAVANTS.

MARS 1846.

1.

2.

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EGYPTENS STELLE IN DER WELTGESCHICHTE. Geschichtliche Untersuchung in fünf Büchern, von Ch. C. J. Bunsen; Ies, IIes und IIIes Buch, 8°, Hambourg, 1845.

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1. PLACE DE L'ÉGYPTe dans l'histoire DU MONDE; recherche historique en cinq livres, par Ch. C. J. Bunsen, Ier, II et III livres, 8°, Hambourg, 1845.

AUSWAHL DER WICHTIGSTEN URKUNDEN DES EGYPTISchen Alterthums, herausgegeben und erläutert von Dr R. Lepsius, Tafeln, Leipzig, 1842, fol.

2.

CHOIX DES DOCUMENTS LES PLUS IMPORTANTS DE L'ANTIQUITÉ ÉGYPTIENNE, publiés et expliqués par le Dr R. Lepsius; planches, Leipzig, 1842, fol.

PREMIER ARTICLE.

Un livre tel que celui dont nous venons de transcrire le titre, qui a pour but de faire connaître la place que l'Égypte ancienne occupa dans l'histoire du monde, se recommande par toutes sortes de motifs à l'intérêt de nos lecteurs. Son objet est certainement un des plus graves que puisse se proposer un ami des progrès de la science historique; et la preuve qu'il répond à l'un des plus grands besoins littéraires de notre époque, c'est qu'il renferme en soi, comme un de ses

principaux éléments, l'importante question des dynasties égyptiennes, mise au concours par l'Académie des inscriptions et belles-lettres 1. L'auteur de cet ouvrage se recommande par lui-même, et à plus d'un titre, à l'attention du monde savant. Formé par les leçons de Niebuhr, dont il a placé l'image en tête de son livre, encadrée de l'inscription hieroglyphique de la pyramide de Sakkarah, et accompagnée de celles de Manéthon et d'Eratosthène, il s'annonce, par cet hommage même de sa reconnaissance envers le fondateur d'une nouvelle école historique, comme un homme qui s'est affranchi de tout préjugé traditionnel, et qui marche hardiment dans sa voie propre. Cet auteur s'est d'ailleurs préparé par de longues et fortes études à l'importante mission qu'il s'était donnée. Depuis dix-huit ans qu'il s'occupe de l'histoire et de l'antiquité de l'Égypte, il s'est familiarisé avec l'intelligence du copte, et il possède la connaissance de tous les monuments écrits et figurés de l'archéologie égyptienne, jusque-là qu'il a pu, grâce à des communications intimes et fréquentes avec M. le D' Lepsius, profiter de quelques-uns des résultats de la mission scientifique que ce savant vient d'accomplir en Égypte. Enfin M. Bunsen, qui avait commencé son travail à Rome, en présence des monuments de la ville éternelle, avec les inspirations de Champollion, l'a poursuivi et complété à Londres, au milieu des trésors du musée britannique, avec l'aide de M. Sam. Birch, l'intelligent et actif interprète de ce musée. Il n'a donc manqué à M. Bunsen aucun des secours que, dans l'état actuel de la science, il pouvait trouver en lui et autour de lui pour exécuter ce grand travail, qui consiste à déterminer la place de l'Egypte dans l'histoire du genre humain; et c'est notre conviction profonde que peu d'ouvrages se sont produits avec plus de titres de confiance et d'une manière plus digne d'une sérieuse attention, que l'ouvrage de M. Bunsen.

Des cinq livres dont cet ouvrage doit se composer, il n'a encore paru que les trois premiers; le quatrième et le cinquième, qui doivent renfermer les développements des points principaux et les résultats définitifs du travail, sont ajournés à une époque qui ne paraît pas devoir être éloignée. Mais, dans l'état où se trouve dès aujourd'hui cette publication, elle n'en offre pas moins un ensemble de vues et de recherches dont on peut déjà apprécier l'importance et signaler la nouvcauté; et c'est sous ce double rapport que nous nous proposons de

Cette question, proposée en 1844 pour être jugée en 1846, est ainsi conçue : Faire l'examen critique de la succession des dynasties égyptiennes, d'après les textes historiques et les monuments nationaux. »

la considérer, en nous bornant, pour le moment, à rendre un compte impartial et fidèle des matières contenues dans les trois livres que nous avons sous les yeux, et en réservant, pour l'époque où nous posséderons l'ouvrage entièrement achevé, le jugement que nous aurons à porter sur l'ensemble de ce grand travail.

Dans une préface où l'auteur expose, avec une grave et noble simplicité, l'ordre dans lequel a eu lieu l'exécution successive des diverses parties de son ouvrage, il en fait connaître le but d'une manière qui en indique suffisamment la haute importance, et qui, si ce but est complétement atteint, assure certainement à cet ouvrage une place éminente parmi les travaux scientifiques les plus distingués de notre âge. Dès le moment où l'auteur eut été initié, comme il le dit, par les entretiens et par les écrits de Champollion, à la connaissance de l'écriture hiéroglyphique, dont il avait sous les yeux, dans les obélisques de Rome, de si admirables pages, trois grandes questions se présentèrent à son esprit. Est-il possible, à l'aide des monuments de l'Égypte qui portent des noms de rois, de rétablir, en tout ou en partie, la chronologie de l'histoire de ce pays, d'après les dynasties de Manéthon? La langue égyptienne, telle que nous pouvons la connaître par les débris qui en restent, d'une part, dans le copte, de l'autre, dans les monuments écrits de l'antiquité égyptienne, permet-elle d'assigner à cette nation une place sûre dans la plus ancienne histoire des peuples, et surtout de déterminer le rapport où elle se trouve avec les peuples de race araméenne et indo-germanique? Enfin, peut-on espérer d'obtenir, à l'aide de recherches aussi historiques que possible, dans la plus haute acception de ce mot, sur le domaine de l'antiquité égyptienne, d'obtenir, disons-nous, pour la philosophie de l'histoire de l'humanité, une base plus solide que nous ne la possédions jusqu'ici? Ce sont là les trois grands problèmes que l'auteur s'est proposé de soumettre à une analyse approfondie, dans tous les éléments qui s'y rapportent, et pour la solution desquels il se flatte d'avoir réuni, dès ce moment, assez de matériaux pour que cette solution même en doive être, sinon le résultat immédiat, du moins la conséquence prochaine.

En ce qui touche le premier point, la chronologie égyptienne, il est bien avéré aujourd'hui que c'est là le terrain où l'on doit chercher les éléments de la plus ancienne histoire des hommes. La Grèce ne présente, au delà des olympiades et surtout au delà du siége de Troie, que des traditions confuses et contradictoires, où le peu d'histoire qui s'y trouve est mêlé de trop de fables, et où le fil chronologique échappe ou se brise à chaque instant. Il en est de même

pour les empires d'Assyrie et de Babylone, au delà de l'ère de Nabonassar. Le fil de la chronologie biblique ne nous conduit avec certitude que jusqu'à l'époque de Salomon, au delà de laquelle tout est encore livré au conflit des systèmes et à l'incertitude des hypothèses. L'Égypte seule nous présente, depuis que nous devons à Champollion la clef de ses innombrables inscriptions, une suite de monuments publics qui fournissent toute une série d'annales historiques remontant jusqu'à la plus ancienne époque des traditions du genre humain, en même temps que les moyens d'établir des synchronismes authentiques et des rapports certains, d'une part, avec le peuple juif, de l'autre, avec les anciennes nations de l'Asie. Si donc il est possible d'arriver, par la voie des recherches historiques, au berceau de la civilisation humaine, c'est en Égypte qu'il faut prendre son point d'appui, puisque c'est là seulement que se trouve, avec une succession de dynasties chronologiquement transmises jusqu'à nous, une série de monuments contemporains qui permettent d'en reconnaître la valeur historique et d'en constater l'authenticité réelle.

Mais, pour apprécier la difficulté de l'entreprise qui consiste à expliquer les listes de dynasties extraites de Manéthon et à les mettre d'accord avec les monuments égyptiens, entreprise qui forme le premier point de l'ouvrage de M. Bunsen, il importe de se rendre compte de l'état où se trouvait la science sur cette importante question. Champollion et les savants formés à son école n'avaient essayé de reconstituer le canon de Manéthon qu'à partir des xvII et XIX dynasties, qui constituaient à leurs yeux l'époque la plus brillante de l'histoire d'Égypte, celle à laquelle appartiennent la plupart des plus beaux monuments qui nous restent de l'art de ce peuple. Au delà de cette époque, ils n'avaient reconnu, en qualité de rois des xvII°, xvi et xv° dynasties, que des princes dont le nom véritable leur avait échappé, et dont ils n'avaient réussi, ni à rétablir la suite complète, ni à saisir le véritable rapport avec les dynasties antérieures. Champollion avait bien entrevu la grande division de l'histoire de l'Égypte en trois périodes, celle du haut empire qui précéda l'invasion des Pasteurs, celle de l'empire intermédiaire qui s'écoula parallèlement à la domination de ce peuple étranger, et celle du nouvel empire qui se succéda depuis l'entière expulsion des Pasteurs jusqu'à la conquête d'Alexandre. Mais ni lui, ni aucun de ses disciples, ne chercha à s'engager dans le labyrinthe des temps antérieurs à l'invasion des Pasteurs, ni à se servir, pour cet usage, du secours que semblaient offrir deux monuments de la haute antiquité égyptienne, la table d'Abydos et la chambre des rois de Karnak. Le grand

antiquaire français n'appliqua le premier de ces monuments qu'à la reconstruction de la xvIII dynastie, telle qu'il la concevait d'après des idées particulières qu'il s'était faites, sans remonter au delà des cinq règnes qui précèdent immédiatement, sur cette table, celui d'Aahmès (Amosis); et Rosellini, qui employa le même monument au même usage, tout en arrivant à un résultat différent, n'essaya pas de remonter plus haut que son maître, et ne chercha pas davantage à tirer de la chambre des rois de Karnak, dont il ne publia que les cartouches bien conservés, une succession de princes en rapport avec les dynasties de Manéthon et avec la place que ces princes avaient pu occuper, soit dans le haut empire, soit dans l'empire intermédiaire. Aucun des savants anglais, ni M. Burton, ni le major Félix (lord Prudhoe), ni surtout sir G. Wilkinson, le plus habile de ces savants, ne chercha davantage à pénétrer dans les ténèbres de l'ancienne chronologie égyptienne; tous concentrèrent leurs efforts sur la petite partie de la table d'Abydos qui concerne les XVIII et XIX dynasties ou qui les avoisine, en différant entre eux, aussi bien qu'avec Champollion et Rosellini, pour les résultats qu'ils en déduisaient; en sorte que le champ ouvert par l'immortelle découverte du savant français, pour la recomposition des dynasties de Manéthon, restait encore absolument stérile pour le haut et le moyen empire, et embarrassé de contradictions, même pour le commencement du nouvel empire1, où nous possédions à la fois une foule de monuments contemporains, faciles à interpréter, et la table d'Abydos.

Ce petit nombre d'observations préliminaires était indispensable pour faire apprécier l'importance et la difficulté du travail entrepris par M. Bunsen, sur la chronologie égyptienne, premier fondement de toute étude sérieuse, non-seulement de l'histoire de l'Égypte, mais encore de celle du genre humain, en tête de laquelle l'Égypte est manifestement placée par l'antériorité des monuments écrits qui en subsistent. Cette première base établie solidement, si tel est le résultat du travail de M. Bunsen, il devient plus facile d'arriver à la solution du second des grands problèmes qu'il s'est proposés, la détermination des rapports qui existent, ou qui doivent exister, entre l'ancienne langue

'On peut juger de l'état d'incertitude où se trouvait encore la science sur ce point même de la chronologie égyptienne, objet de tant de travaux de la part des savants français, italiens et anglais, par le mémoire récemment publié par M. Fr. Barucchi, dans le recueil de l'Académie de Turin, et intitulé: Discorso quarto sopra la cronologia egizia, disamina delle dinastie Manetoniane anteriori al conquisto dell' Egitto per Cambise, considerate in ordine alla cronologia.

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