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fait pour la proximité des deux villes; mais Tite-Live vient à notre secours au moyen de l'itinéraire qu'il donne de l'expédition du consul Manlius 1. On y voit que l'armée du consul partit de Cibyra, se rendit, après deux jours de marche, à Mandropolis, en tirant vers l'Isaurie. D'après la situation assez bien connue de Cibyra, Mandropolis a dû se trouver dans la partie méridionale de la Phrygie, voisine des frontières de l'Isaurie, en remontant le Méandre.

Berkelius, dans ses notes sur Étienne de Byzance2, avoue qu'il ne sait d'où vient Mavspo dans le nom de Mandropolis. D'après les recherches précédentes, elle devait être dans le même cas que d'autres villes de l'Asie Mineure, telles que Pythopolis, Heliopolis, Diospolis (ou Dioshiéron), Couropolis et Dionysopolis, qui tiraient leur nom du culte d'Apollon, du soleil, de Jupiter, des Dioscures et de Dionysus. Mandropolis devait son nom à quelque divinité locale, qui y avait son principal siége; d'où le culte avait ensuite rayonné sur divers points de la Phrygie et de la côte occidentale, depuis la Bithynie jusqu'en Carie.

Il est permis de soupçonner que le nom de cette divinité est, au fond, le même que celui du fleuve Méandre, dont il ne diffère que par l'insertion de la diphthongue AI; et, dans ce cas, que le fleuve aura pris le nom de la divinité dont le culte était établi près de ses sources. Mais ce ne peut être là qu'une conjecture qu'il est, quant à présent, impossible d'établir sur autre chose que sur une ressemblance de nom, caractère toujours incertain quand il est seul.

Quant à la deuxième question, celle de savoir pourquoi le nom de cette divinité n'est mentionné nulle part, les exemples cités plus haut, à défaut de tout autre renseignement, vont encore nous aider à la résoudre. On conçoit, en effet, que les noms propres originaires de tel ou tel pays, et tirés de quelque divinité locale, doivent diminuer de nombre à mesure que ce culte s'affaiblit; mais il peut s'en trouver encore quelques-uns, parce que les noms se transmettent, dans la même famille, pendant plusieurs générations. En tous cas, ils deviendront de plus en plus rares, jusqu'à ce qu'ils disparaissent tout à fait. C'est ce qui arrive pour la plupart des noms dont il s'agit, lesquels ont été portés par des personnages qui ont vécu avant Alexandre; deux se montrent comme contemporains, et un seul a dû vivre peu après ce prince. Ainsi, en reprenant les noms cités plus haut, on trouve que les deux Mandroclès sont du v° siècle avant notre ère. Les quatre Anaximandre sont du vr et du v° siècle. Pythomandros est aussi du vr° siècle. Mandragoras

'Liv. XXXVIII, xv. - Voce Mardρómodis, p. 533. • Μανδρόπολις,

est antérieur à Platon. Mandrolytos est d'une époque mythique. Des deux Mandrogènes, l'un est déjà cité dans Hippolochus, disciple de Théopompe; l'autre est un des officiers d'Alexandre.

Mandronax est gravé sur une médaille qui ne peut descendre au delà de cette époque.

Mandrocrates est dans une inscription d'une époque incertaine, mais qui peut, selon M. Böckh, remonter jusqu'au temps d'Alexandre.

Enfin Mandroboulos fait partie d'une expression proverbiale de la langue, qui peut être ancienne.

Rien ne paraît donc à présent mieux constaté que ces deux faits : le premier, qu'on ne trouve ces noms qu'en Asie Mineure (à deux exceptions près); le second, qu'on ne les trouve qu'avant Alexandre ou peu de temps après.

Si l'un annonce que le culte de la divinité était propre à l'Asie Mineure, et avait son siége principal à la frontière de la Phrygie et de la Carie, l'autre indique qu'il avait cessé, ou du moins s'était affaibli de bonne heure. On peut voir là une de ces disparitions de religions locales ou l'une de leurs absorptions successives par un culte plus général, dont le polythéisme grec offre plus d'un exemple. Ce culte aura cédé, dans le pays même, devant l'établissement de nouveaux cultes, par exemple, de ceux du dieu Men ou Lunus, et de Cybèle ou la Grande Mère, qui n'ont pris d'accroissement, dans cette même région de l'Asie Mineure, qu'à une époque comparativement récente.

Ces deux cultes avaient, depuis une époque fort ancienne, leur siége, l'un à Pessinonte, l'autre à Cabira dans le Pont. Venaient-ils de plus loin du côté de l'Orient? C'est un point que je laisse décider à ceux qui le savent ou croient le savoir. Ce qu'il y a de certain, c'est qu'ils sont partis de ces deux centres, pour se répandre dans l'ouest de l'Asie Mineure; celui du dieu Lunas paraît être resté en Asie; celui de la Grande Mère a passé en Grèce, puis dans l'Occident où il s'est lié avec le culte de Mithra. Leur extension dans l'ouest de l'Asie ne paraît pas être de beaucoup antérieure à Alexandre. Ce qui le prouve, entre autres indices, c'est que les noms de Ménodore et de Métrodore ne se montrent qu'à une époque tardive, ce que je ferai voir dans la suite, lorsque, quittant l'examen des détails, je réunirai quelques rapprochements sur la rareté comparative de tous ces noms.

Maintenant, si l'on pense que la plupart des anciens auteurs qui parlaient de cette même région sont perdus, et que les inscriptions antérieures à Alexandre y sont infiniment rares, on comprendra parfaitement pourquoi le nom de cette divinité, tombée de bonne heure en

désuétude, ne subsiste plus pour nous que dans celui des personnages nés à l'époque où son culte était en vigueur. Cela nous explique encore pourquoi la ville de Mandropolis était déchue de bonne heure avec le culte qui avait fait sa célébrité, à tel point qu'elle n'est plus citée ni par Strabon, ni par Pline, ni par Ptolémée, ni dans les autres itinéraires. L'examen des deux autres genres conduit à des observations qu'il ne sera pas moins utile de recueillir.

(La suite au prochain cahier.)

LETRONNE.

NOUVELLES LITTÉRAIRES.

LIVRES NOUVEAUX.

Histoire de l'école d'Alexandrie, par M. Jules Simon, professeur agrégé à la Faculté des lettres de Paris, maître de conférences à l'École normale. Paris, librairie de Joubert, rue des Grès; 1845, 2 vol. in-8° de 602 et 692 pages. L'ouvrage que nous annonçons n'était point terminé lorsque l'Académie des sciences morales et politiques proposa pour sujet de prix l'histoire de l'école d'Alexandrie, et il n'a pu être présenté au concours. Cette histoire est l'un des principaux objets du cours professé à la Sorbonne par M. Simon, depuis 1840, comme suppléant de M. Cousin dans la chaire d'histoire de la philosophie ancienne. L'école d'Alexandrie a duré depuis la fin du II° siècle de l'ère chrétienne jusqu'au commencement du vio. Elle représente le parti de la résistance, par les idées, du polythéisme contre le christianisme: aussi a-t-elle été fréquemment combattue par les Pères de l'Église. Suivant l'auteur de cet ouvrage, l'école philosophique d'Alexandrie est la première école éclectique, la première école mystique, la première école panthéiste. C'est par l'appréciation approfondie de ses doctrines en elles-mêmes, par l'étude de leur filiation et de leurs rapports avec la philosophie de l'antiquité, que se fait remarquer le livre de M. Simon, plutôt que par la recherche des emprunts que cette école a dû faire aux idées chrétiennes altérées et de l'influence qu'elle a exercée sur certaines hérésies. Le plan de l'ouvrage peut faire juger de son caractère et de son importance. Il est divisé en cinq livres, dont les deux premiers remplissent le premier volume. Le I livre, intitulé Origines de l'école d'Alexandrie, comprend quatre chapitres De la philosophie grecque jusqu'à Plotin; philosophes et polygraphes du i et du n° siècle; éclectisme; naissance et progrès du christianisme; du Musée et des institutions littéraires et philosophiques d'Alexandrie. Le II livre a pour titre : Philosophie de Plotin, et traite, en onze chapitres, de la vie de Plotin (an. 203-269 de J.-C.); de la dialectique; de la trinité de Plotin; de l'origine du dogme de la trinité dans l'école d'Alexandrie, et de ses rapports avec le dogme chrétien;

de la théorie générale des émanations; de la matière et de l'essence; des lois générales du monde; de la Providence; des différentes espèces d'êtres, et en particulier de la nature humaine; des facultés de l'âme; de la théorie de la volonté et de la doctrine morale. Le tome II s'ouvre avec le livre III, qui embrasse l'histoire de l'école d'Alexandrie de Porphyre à l'empereur Julien. Les six chapitres que ce livre comprend ont pour sujet : l'état des questions philosophiques après Plotin; Erennius, Origène, Longin; Amelius et Porphyre; doctrine de Porphyre; doctrine de Jamblique; disciples et successeurs de Jamblique. Dans le livre IV, où cette histoire est conduite de l'empereur Julien à l'école d'Athènes, l'auteur apprécie l'empereur Julien, sa vie, son règne, sa doctrine. Le V et dernier livre est consacré à l'école d'Athènes dans ses rapports avec l'école d'Alexandrie. Voici les titres des sept chapitres dont il se compose: Plutarque et Syrianus; vie de Proclus (an. 412-485); principes de la théologie de Proclus; trinité; de la production du monde; de la nature et des facultés de l'âme; de la Providence divine et de la morale; dispersion de l'école d'Alexandrie et de l'école d'Athènes; conclusion.

Nouveaux essais d'histoire littéraire, par E. Géruzez, professeur suppléant d'éloquence française à la Faculté des lettres de Paris, maître de conférences à l'École normale. Paris, imprimerie de Gratiot, librairie de Hachette, 1846, in-8° de vIII436 pages. Ce nouvel ouvrage paraît destiné au même succès les Essais que couronnés, en 1840, par l'Académie française. M. Géruzez, continuant de traverser rapidement le vaste champ de notre littérature, apprécie avec autant de savoir que de goût, et dans un style plein d'élégance, Abailard, l'éloquence judiciaire et la prédication religieuse au xv siècle, Alain Chartier, la comédie politique sous Louis XII, les poëtes de la Pléiade, la littérature de la Fronde, La Fontaine, madame de Sévigné, Fénélon, J.-J. Rousseau, Buffon, Delille. Le volume est terminé par un intéressant article sur M. Joubert, critique judicieux et penseur profond, mort en 1825.

Lettres inédites de Feuquières, tirées des papiers de famille de madame la duchesse Decazes, et publiées par Étienne Gallois; tomes I et II. Paris, imprimeric de Crapelet, librairie de Leleux, 1845, 2 vol. in-8° de XXIV-438 et xx-464 pages. - Cette correspondance de MM. de Feuquières, ancêtres maternels de madame la duchesse Decazes, n'a point été publiée dans un intérêt de famille. Les juges compétents en apprécieront facilement la valeur historique et littéraire, et lui donneront certainement une place à côté des curieux mémoires que nous possédons sur le XVII siècle. Ces lettres nous paraissent avoir le double mérite de fournir des détails nouveaux sur un certain nombre des grands événements du temps, et de mettre en relief l'esprit, les mœurs, les relations et toute la vie intérieure de la société polie des règnes de Louis XIII et de Louis XIV. A la tournure facile et agréable de quelques-unes, on reconnaîtra sans peine que leurs auteurs ont vécu à l'époque qui a vu naître Pascal, Molière et madame de Sévigné. Le marquis Manassès de Feuquières, dont la correspondance ouvre cette collection, né en 1590, mort en 1640, fut envoyé par Richelieu en Allemagne, après la mort de Gustave-Adolphe, roi de Suède, pour maintenir notre alliance avec le parti protestant. L'éditeur a évité de reproduire la relation spéciale de cette négociation, publiée par Aubery, sous le titre de Mémoires pour servir à l'histoire de Richelieu. Le fils aîné de Manassès, Isaac, marquis de Feuquières, fut ambassadeur en Suède, et, pendant dix ans, en relation avec tous les ambassadeurs et ministres français des différentes cours d'Allemagne. Antoine de Feuquières, fils d'Isaac, lieutenant général des armées du Roi, est considéré comme un des hommes de guerre les plus habiles de son

temps; c'est l'auteur des Mémoires et maximes militaires, livre utile, auquel un grand nombre de lettres de ce recueil peuvent servir de complément. Autour de ces trois personnages principaux viennent se grouper, non-seulement les membres de leur famille, parmi lesquels on distingue surtout les Arnauld d'Andilly et les Arnauld de Pomponne, mais encore beaucoup de célébrités historiques, des princes, des ministres, des maréchaux de France, des fonctionnaires de toutes sortes, et quelques-unes des femmes les plus distinguées de la cour, entre autres la marquise de Saint-Chamond, gouvernante des enfants de Monsieur, frère de Louis XIV. Le tome II de la correspondance des Feuquières s'arrête à l'année 1674. On annonce la prochaine publication des deux autres volumes qui doivent compléter l'ouvrage. Relation des voyages faits par les Arabes et les Persans, dans l'Inde et à la Chine, dans le 1x siècle de l'ère chrétienne; texte arabe imprimé en 1811 par les soins de feu Langlès; publiée avec des corrections et additions, et accompagnée d'une traduction française et d'éclaircissements par M. Reinaud, membre de l'Institut. Paris, imprimé par autorisation du Roi à l'Imprimerie royale. Se trouve chez Franck, libraire-éditeur, rue de Richelieu, 69, 1845, 2 vol. in-18 de CLXXX-154 et 105-200 pages. L'abbé Renaudot avait publié, en 1718, un volume intitulé: Anciennes relations des Indes et de la Chine, de deux voyageurs mahométans qui y allèrent dans le 1x siècle de notre ère. Ces relations étaient traduites de l'arabe et accompagnées de remarques intéressantes. Renaudot s'était contenté de dire que le manuscrit d'où il avait tiré ce récit se trouvait dans la bibliothèque du comte de Seignelay, et, comme la partie de l'ouvrage qui traite de la Chine n'était pas toujours d'accord avec ce que les savants missionnaires catholiques avaient écrit sur ce pays, comme il s'était glissé dans la version française quelques erreurs provenant du traducteur, on accusa Renaudot d'avoir lui-même forgé la relation à l'aide de témoignages recueillis dans les ouvrages arabes. La bibliothèque du comte de Seignelay, qui n'était autre que celle du grand Colbert, son aïeul, passa, au siècle dernier, dans la bibliothèque du Roi. En 1764, le célèbre Deguignes y retrouva le manuscrit original de la relation publiée par Renaudot; il rendit compte de sa découverte dans le Journal des Savants du mois de novembre 1764, et fit quelques remarques sur le travail du traducteur. Plus tard, il revint sur le même sujet dans le premier volume du recueil des Notices et extraits des manuscrits de la bibliothèque du Roi. Mais les remarques de Deguignes et les notes de Renaudot, aussi bien que sa version, avaient été faites avec quelque précipitation. Les progrès de la critique orientale rendaient nécessaire un nouvel examen de la relation arabe. En 1811, M. Langlès en fit imprimer le texte, et inséra à la suite un morceau qui, dans le ms., est placé immédiatement après, c'est-à-dire le tableau d'une partie des forteresses de la Syrie et de la Mésopotamie, au xII° siècle de notre ère; mais cette édition n'avait pas été mise en vente, sans doute parce que cet orientaliste devait y joindre une version française, projet qu'il n'a pas réalisé. M. Reinaud s'est chargé de revoir le texte sur le manuscrit unique de la bibliothèque du Roi; il a remplacé la traduction peu exacte de Renaudot par une traduction nouvelle; il l'a fait suivre de notes et de nombreuses remarques auxquelles l'examen du manuscrit a donné lieu, et s'est attaché à contrôler ou à compléter la relation originale, à l'aide d'autres ouvrages arabes qui traitent de matières analogues, principalement des écrits de Massoudi et d'Edrisi. On trouve dans le tome I la traduction, précédée d'un discours préliminaire étendu, où le savant éditeur, après avoir fait connaître comment l'ouvrage a été composé, à quels écrivains il est dû, quelles circonstances ont accompagné sa publication en Europe, expose l'état des connaissances géographiques

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