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éloignée du tumulte des gens et appropriée à ses méditations et ses études (1). »

Quant à Diogo Gomez, il ne mentionne la Villa do Infante qu'à propos de la mort de l'infant, sans nous donner le moindre renseignement (2).

Si nous passons aux sources diplomatiques, nous trouvons la ville de Sagres citée dans une charte du 19 septembre 1460, qui malheureusement n'a jamais été publiée. Nous ne la connaissons que par un extrait de M. de Souza Holstein, et il est vraiment regrettable que cet écrivain n'ait pas jugé à propos de nous en donner une copie exacte. Il nous a empêché ainsi de nous former une idée nette et précise de la valeur et de la nature de ce document. Cependant, s'occupant spécialement de Sagres, il est peu probable que M. de Souza Holstein ait oublié quelque détail intéressant. Les faits qu'il dit être renseignés dans cette charte sont les suivants : L'infant déclare que ce qui l'a déterminé à fonder cette ville, c'est le grand nombre de navires qui abordaient là pour se refaire et le manque de secours qu'ils y trouvaient. Cette ville n'était pas située au cap même de Sagres, << mais bien sur une autre pointe, qui se présente devant le cap de Sagres à ceux qui viennent de l'occident pour aller au levant », pointe dite Terça-Nabal, à laquelle l'infant donna le nom de Villa do Infante. Il ajoute « qu'il

(1) RAMUSIO, vol. I, fol. 37 r.

(2) SCHMELLER. op. cit., p. 31. Anno Domini 1460 D. Infans infirmatur in villa quadam sua, quae est in Cabo Sancti Vincenti de quo mortuus est XIII. die Novembris anno praedicto in una quinta feria.

1901.

LETTRES, ETC.

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a fondé cette ville avec la permission du roi à qui il la présenta avant sa mort (1) ».

Tels sont les quelques détails que nous avons pu trouver touchant la ville de Sagres dans les sources contemporaines, mais peut-être d'autres seront-ils plus heureux que nous dans leurs recherches.

En dehors de l'existence de cette ville, ces documents ne nous apprennent pas grand'chose et, dans tous les cas, ne nous confirment pas l'existence au XVe siècle de l'Académie ou Ecole nautique de Sagres, admise par tant d'historiens.

Si cette école avait existé réellement, comment expliquer alors ce silence unanime de chroniques et de documents? Comment Azurara aurait-il pu dire qu'il lui est impossible de parler des perfections de cette ville, et cela à l'époque de la composition de son livre, c'està-dire en 1455, si elle possédait alors un établissement de la plus haute importance, dans lequel les marins portugais recevaient leur éducation et auquel était attaché un atelier de cartographie?

Comment concilier le tout petit nombre de maisons dont parle le même chroniqueur, avec la croyance qui fait remonter à 1418 la fondation de la prétendue académie? N'insistons pas sur le silence de Diogo Gomez et de Cadamosto: il est aussi significatif que le premier.

(1) Marques de Souza Holstein. A Escola de Sagres e as tradições do Infante D. Henrique. Conferencias celebradas na Academia das Sciencias de Lisboa, 1877, p. 24. Le document est conservé dans la Bibliothèque nationale de Lisbonne, Escrituras da Ordem de Christo, Coll. mss. de Pedro Alvares, vol. III, fol. 35 vo. (Sala dos Mss. da Bibl. nac. B. 12-20.)

Que dire du testament de l'infant D. Henrique, où ce dernier mentionne jusqu'à la plus petite fondation (1)? Ainsi, il y parle d'une petite chapelle, dédiée à la sainte Vierge, qu'il a fait construire dans la Villa do Infante, et il n'aurait pas mentionné son académie, un de ses plus beaux titres de gloire, si réellement elle avait existé! Il serait inutile d'insister davantage.

Devant ce silence général et de chroniques et de documents contemporains, nous croyons pouvoir rejeter l'Académie portugaise de Sagres dans le domaine de la légende.

Cette légende, quand a-t-elle commencé? Quel a été son développement? Ce sont là des questions que nous exami nerons plus loin.

Que dire tout d'abord de l'assertion suivant laquelle Henri le Navigateur aurait fixé sa résidence habituelle à Sagres vers 1418, et aurait fait de cette ville le centre de ses opérations navales?

Ce n'est assurément pas dans les textes que nous venons de citer qu'on en trouvera la preuve, car ils n'en soufflent mot. Au contraire, une ville qui en 1455 était en pleine construction et n'avait encore que quelques maisons, semble peu faite pour avoir donné l'hospitalité à l'infant déjà depuis trente-cinq ans. D'ailleurs, plusieurs passages de la chronique d'Azurara prouvent le contraire. Si, comme dit le chroniqueur, D. Henrique resta ordinairement dans le royaume de l'Algarve après son retour de Tanger en 1437 (2), cela n'implique nullement que son

(1) Ce testament a été publié par M. DE SOUZA HOLSTEIN, op. cit., et dans l'Archivo dos Açores, vol. I, p. 331.

(2) AZURARA, ch. 18.

lieu de séjour fût la ville de Sagres, ni même qu'il eût sa demeure fixe dans cette partie du Portugal. L'infant n'avait pas de résidence fixe. Il se nomme lui-même seigneur de plusieurs villes et villages (1) et sans doute, comme tous les grands seigneurs de son temps, il allait d'un endroit à l'autre pour vivre des revenus de ses terres et pour exercer son droit de justicier. Quand, en 1444, l'expédition de Lançarote revient à Lagos des côtes d'Afrique avec un butin de deux cent trente-cinq Maures, dom Henri se trouva dans cette dernière ville peu de temps auparavant; il venait d'y arriver « d'autres localités où il avait été pour quelques jours (2) ». L'année suivante, nous le trouvons au nord du Portugal, dans le district de Viseu (3), où on lui envoie la cinquième partie du butin apporté par l'expédition d'Antam Gonçalvez, Garcia Homem et Diego Affonso (4).

En 1446, on le retrouve à Lagos; avant de partir pour Coimbre où l'appelle son frère D. Pedro, il y permet au même Lançarote d'organiser une seconde expédition vers les côtes de la Guinée (5). Enfin, de 1446 à 1447, nous le rencontrons encore successivement à Lisbonne et à Mexilhueira, près de Lagos, mais jamais dans la ville de Sagres, qui, suivant l'opinion commune, était sa résidence habituelle.

Que faut-il conclure? Il nous semble téméraire d'admettre que l'infant se soit fixé à Sagres jusqu'en 1448,

(1) AZURARA, ch. 50.

(2) AZURARA, ch. 24.

(3) Henri le Navigateur avait aussi le titre de duc de Viseu.

(4) AZURARA, ch. 36.

(5) AZURARA, ch. 51.

date à laquelle cesse la chronique d'Azurara. Cependant, il est certain que D. Henrique passa les dernières années de sa vie dans sa Villa do Infante.

En effet, c'est là que le trouve Cadamosto en 1454; c'est de là que sont datées plusieurs chartes que l'infant donna peu de temps avant sa mort; c'est là enfin que l'illustre prince mourut le 13 novembre 1460.

Une question étroitement liée à celle que nous venons d'examiner, c'est celle du rôle qu'on peut attribuer à la ville de Sagres dans l'ensemble de l'activité de Henri le Navigateur. Cette ville fut-elle vraiment le centre des opérations navales des Portugais, où D. Henrique menait une vie d'études et de travail? Nous ne le croyons pas. Comme preuve, nous renvoyons encore une fois à la description de la Villa do Infante, ainsi qu'à la charte du 19 septembre 1460.

La ville de Sagres y apparaît bien plus comme un petit port de ravitaillement que comme un centre d'activité d'où les navires étaient envoyés à la découverte de régions inconnues.

Lorsque nous considérons les choses de plus près, nous constatons que cet honneur revient à Lagos, située non loin du cap Saint-Vincent. Si, comme nous l'avons vu plus haut, après son retour de Tanger en 1437, l'infant demeura la plupart du temps dans le royaume de l'Algarve, dont son père, le roi João Ier, l'avait nommé gouverneur à perpétuité en 1419, une des raisons alléguées, c'est que le butin apporté par ses capitaines était déchargé à Lagos. C'est donc là qu'arrivaient les navires revenant des côtes de la Guinée.

Dans un discours de Lançarote à l'infant, nous lisons ce qui suit : « C'est pourquoi, mon seigneur, depuis que

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