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tiques de Liége et de Cologne, pour leur exprimer son repentir et les supplier de lever la censure qu'elle avait encourue. « Me trouvant, disait-elle, il y a quelques >> jours, avec Josine de Manderscheid devant sa porte et » dans l'enceinte de l'église, la conversation tomba sur » les affaires de l'abbaye, et notamment sur un point » où nous étions en désaccord. De propos en propos, >> notre dispute s'échauffa et je fus accablée d'injures par » cette dame arrogante. Outrée de ce langage et surtout » du mépris qu'elle affectait pour les devoirs de ma » charge, je lui appliquai une couple de soufflets, sans » pourtant lui faire de blessure à sang coulant, que je >> sache. >>

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Ainsi présentée, la défense de Marguerite d'Isenburg produisit le résultat qu'elle désirait. Déjà le surlendemain, l'official de Liége la releva de l'excommunication; le doyen de Saint-Pierre, délégué du saint siège auprès des églises secondaires, suivit son exemple, et l'official de Cologne envoya ses lettres de rémission quelques jours après.

Loin de se tenir pour battue, Josine de Manderscheid protesta de nullité contre la décision du doyen de SaintPierre; et comme l'élection devait avoir lieu le 14 mars, elle fit, la veille, par-devant notaire, une autre protestation, dans laquelle elle soutient qu'en vertu du décret du concile de Trente Si quis suadente diabolo, la comtesse d'Isenburg est devenue irrégulière et a perdu son droit de voter. A l'appui de sa thèse, elle raconte ainsi la scène scandaleuse que l'irritable vice-doyenne s'était bien gardée d'exposer dans tous ses détails : « La comtesse >> d'Isenburg s'est ruée sur moi, chanoinesse et vierge >> consacrée au Seigneur, comtesse d'une race illustre; elle l'a fait sans motif, au pied des murs sacrés de

>> l'église de Thorn, c'est-à-dire dans un lieu privilégié, >> et avec l'intention de me donner la mort. Outrageuse» ment souffletée, je suis tombée à la renverse; elle m'a >> traînée par les cheveux, foulée aux pieds et, s'aidant de >> ses poings, m'a frappée si rudement à la tête, au >> ventre, aux côtés et en d'autres endroits à nommer en » leur temps, que je me suis relevée avec une côte cassée » et couverte de sang. Depuis cinq semaines que cela » s'est passé, je suis au lit à demi-morte, et l'on ne répond » pas encore de ma vie. »

Par le même acte, Josine de Manderscheid proteste aussi contre le droit de suffrage accordé à la comtesse Josine de la Marck, qui, prétend-elle, n'a pas l'âge requis (1), et au chanoine Volquins, « manifestement » entaché de simonie, pour avoir acheté sa prébende » dans une auberge, en présence de plusieurs personnes, » comme s'il s'agissait d'un cheval, et cela au prix de » 800 dalers, que le vendeur n'a pu se faire payer qu'en » citant l'acheteur devant le chapitre ».

Les opérations électorales se firent dans la salle capitulaire, sous les yeux de deux commissaires diocésains, l'un chanoine de Liége, l'autre de Cologne. Un notaire tenait la plume, en vue du procès-verbal de la séance. Étaient présents: Marguerite d'Isenburg, Josine de la Marck et quatre chanoines de Thorn, agissant tant pour eux-mêmes que par procuration pour leurs deux confrères absents. Quant aux autres membres du chapitre, ils n'étaient pas inscrits, attendu, dit le procès-verbal, que la résidence de ces demoiselles était inconnue. Ainsi, en y comprenant Josine de Manderscheid qui devait voter

(1) Elle était née le 22 juin 1546, mais Josine de Manderscheid la croyait âgée de moins de 28 ans.

chez elle, l'élément principal du chapitre n'était représenté que par trois chanoinesses; de sorte que dans un temps où l'existence politique et religieuse de l'abbaye se trouvait en péril, l'influence de quelques chanoines peu estimables devenait prépondérante.

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Après qu'on eut désigné trois scrutateurs, la vicedoyenne fit la déclaration suivante : « Je jure et promets >> devant Dieu tout-puissant et la sainte vierge Marie, >> patronne de cette abbaye, de voter pour celle d'entre >> nous que je crois la plus recommandable, tant sous le >> rapport spirituel que sous le rapport temporel, et de >> ne pas donner ma voix à celle que je tiens pour avoir brigué la dignité abbatiale par dons ou par prières, » soit directement, soit indirectement. » Quand elle eut fini, la vice-doyenne déclara voter pour Josine de la Marck. Celle-ci obtint encore les voix de trois chanoines, et, par une réciprocité naturelle, vota pour Marguerite d'Isenburg. Les suffrages de l'autre moitié des chanoines se portèrent sur Josine de Manderscheid, chez qui les scrutateurs et le notaire se rendirent aussitôt après. La malade était au lit, dans sa maison claustrale, et, à ce qu'il semble, fort affaiblie, car elle ne put retrouver le nom de l'abbesse de Sainte- Ursule à Cologne, une chanoinesse de Thorn à qui, par dépit, elle donna sa voix.

Rentrés dans la salle capitulaire, les scrutateurs proclamèrent abbesse postulée Josine de la Marck, comme ayant réuni la pluralité des suffrages; après quoi la minorité du chapitre se rallia à la majorité, sauf la comtesse de Manderscheid qui persista dans son opposition.

L'élue accepta sa nouvelle dignité avec la modestie de rigueur en pareille circonstance et sous réserve de la con

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firmation du saint siège. Ensuite, pendant que les cloches sonnaient à toute volée, l'assemblée se rendit à l'église, où l'on entonna le Te Deum. Un siège élevé avait été préparé dans le chœur dès que la postulée y eut pris place, un des chanoines annonça au peuple le résultat de l'élection, d'abord en latin, puis en flamand. La cérémonie terminée, on ramena processionnellement l'heureuse élue à sa demeure. Enfin, le jour même, la vice-doyenne et les chanoines annoncèrent au chapitre cathédral de Liége la postulation de Josine de la Marck et le prièrent d'en informer l'évêque, dont elle sollicitait les lettres de confirmation.

Tout semblait donc aller le mieux du monde pour la postulée, mais elle avait compté sans le ressentiment de Josine de Manderscheid et les dispositions du chapitre de Liége. La validité de son élection fut contestée et l'affaire portée à Rome, devant un conseil de cardinaux. Les amis de la comtesse de Manderscheid firent-ils valoir en sa faveur l'indigne traitement dont elle avait été l'objet? Eut-on égard à ce qu'elle appartenait à une famille foncièrement catholique, tandis que Josine de la Marck était la sœur de cet affreux chef des Gueux de mer qui venait de peupler le ciel de martyrs? On ne sait. Le fait est que, par lettres pontificales du 13 décembre 1578, donc vingt et un mois après l'élection, Grégoire XIII se prononça pour Josine de Manderscheid, mais à charge de payer à sa rivale, dont les droits étaient indéniables, une rente viagère de mille ducats par an. Cette espèce de transaction fut, pour ainsi dire, sans effet la nouvelle abbesse mourut au mois d'août de l'année suivante, et Josine de la Marck lui succéda sans contestation.

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Henri le Navigateur et l'Académie portugaise de Sagres; par le Dr Jules Mees.

La vie des plus grands hommes, les faits les plus mémorables de l'histoire ont bien souvent subi des déformations de la part de la légende; c'est ainsi qu'un homme dont le Portugal s'honore tout particulièrement en a été la victime: nous voulons parler du prince Henri le Navigateur.

Il naquit à Porto, le 4 mars 1394, et à l'âge de 21 ans il fut armé chevalier par le roi son père João Ier, en 1415, au siège de Ceuta, en Afrique, auquel il prit une part glorieuse. Trois ans après, il vola au secours de la même ville assiégée par les Maures, et dans la suite il combattit deux fois en Afrique avec des alternatives de revers et de succès. Ainsi, il eut sa part de responsabilité dans l'expédition malheureuse de Tanger de 1437, qui fut un véritable désastre pour le Portugal et coûta la vie, après plusieurs années de captivité, à son frère le prince Constant; cependant la prise d'Alcacer, en 1458, lui rendit sa gloire militaire un instant compromise.

A l'occasion des troubles qui suivirent la mort du roi Edouard (1458), il contribua puissamment à la réconciliation de son frère aîné dom Pedro avec la reine Éléonore d'Aragon; d'un autre côté, on lui reproche, non sans raison, d'avoir pris le parti du roi Alfonso V dans le conflit qui s'éleva entre ce dernier et le même dom Pedro, régent du royaume et victime d'une dénonciation calomnieuse.

1901. LETTRES, ETC.

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