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il est permis d'affirmer que si l'on supprime le respect de la liberté des communautés politiques, le droit international n'est plus qu'une trompeuse dénomination. Au reste, il ne s'agit nullement d'une simple question académique ni d'une controverse dénuée d'intérêt pratique : en ce qui concerne le principe de l'égalité des États, le concert européen s'est chargé de prouver comment il conçoit les droits des communautés politiques et comment au besoin les grandes puissances foulent aux pieds les droits les plus sacrés des États secondaires. Et, il faut le proclamer au nom du droit international, le concert européen, en entendant le terme dans le sens de gouvernement des grandes puissances européennes, est en contradiction absolue avec la notion même de ce droit. Il n'est point un tribunal; il ne constitue non plus en aucune façon le pouvoir exécutif d'une organisation internationale qui serait en voie de se former. Il est un produit de la politique et, somme toute, jusqu'ici il a surtout servi d'instrument d'oppression.

L'institution même de la neutralité permanente m'a entraîné dans d'assez longs développements. Il se peut que la thèse que je soutiens au sujet de la Belgique et de la garantie que lui donnèrent les puissances soit combattue; elle ne sera point réfutée; nulle argumentation ne prévaudra contre le fait qu'après avoir garanti l'indépendance ou souveraineté, la neutralité et l'intégrité ainsi que l'inviolabilité du territoire, les puissances se sont bornées à garantir l'indépendance et la neutralité. La Suisse, ne l'oublions pas, se trouve dans une situation différente; elle a obtenu à la fois la garantie de l'intégrité et de l'inviolabilité de son territoire et la reconnaissance de sa neutralité perpétuelle.

Les dix-huit articles du 26 juin 1831 garantissaient à la Belgique la neutralité perpétuelle ainsi que l'intégrité et l'inviolabilité de son territoire. Mais les dix-huit articles ne furent point convertis en traité définitif. La Belgique les accepta; les Pays-Bas les rejetèrent et reprirent les hostilités. Après les désastres des premiers jours du mois d'août 1831, la Belgique fut sacrifiée. Un publiciste a pu écrire que « les vingt-quatre articles créaient la Belgique et la punissaient à la fois : ils la punissaient d'avoir été surprise et battue ». En 1870, la Suisse et la Belgique invoquèrent la garantie qui leur avait été donnée. Les termes mêmes dont les gouvernements des deux pays se servirent démontrèrent combien leur situation est différente.

Je l'ai dit dans l'introduction aux Études de droit international et de droit politique que la Belgique se pénètre des cruelles leçons du passé; elles lui enseignent comment, des siècles durant, elle a été l'objet de la convoitise de ses voisins et comment, en des démembrements successifs, des provinces entières lui ont été arrachées.

Dans un chapitre consacré à l'histoire littéraire du droit international dans notre pays, j'ai montré combien néfaste a été la destinée de nos provinces, comment des amputations furent faites à notre territoire, comment des projets de partage, presque aussi odieux que les démembrements, furent imaginés et négociés.

Sans doute, dans l'organisation actuelle de l'Europe, notre patrie peut invoquer les obligations que les puissances garantes ont contractées; mais on doit se garder de donner à ces obligations une interprétation extensive

et de perdre de vue que si jamais la question se pose dans le domaine des faits, les garants eux-mêmes invoqueront le texte des traités et l'esprit qui les a dictés ; on doit penser aux profondes modifications qui se sont accomplies dans ce qu'on appelle le concert européen ; on doit se rappeler que, lors de la conclusion des traités. des 9 et 11 août 1870, l'Autriche-Hongrie, par exemple, s'est prudemment abstenue de donner son adhésion et a invoqué la ligne de conduite adoptée par la Russie; on doit songer aussi qu'aux droits que la Belgique peut faire valoir vis-à-vis des puissances correspondent pour elle des devoirs, et que le premier de ces devoirs consiste dans l'affirmation de sa personnalité et dans le maintien jaloux de la situation qu'elle occupe dans la société des États souverains.

Il en est en droit international comme en droit public et en droit civil; l'appui existe, la protection est là, mais pour les obtenir, il faut les mériter.

RAPPORT.

E. NYS.

Conformément à l'avis de MM. Pirenne, Vanderkindere et Lameere, la Classe décide l'impression au Bulletin d'une communication de M. Victor Fris: Les idées politiques d'Olivier van Dixmude.

COMMUNICATIONS ET LECTURES.

La commune de Tournai de 1187 à 1211; par Ch. Duvivier, membre de l'Académie.

I.

Tournai possède, dans ses archives, l'original d'une charte de commune qui lui fut donnée par PhilippeAuguste en 1211. Gachard l'a publiée dans ses Documents inédits; il s'étonne que le texte édité dans les Ordonnances des rois de France, porte la date de 1187, et il ne voit que des interpolations dans les variantes qu'il y trouve. Il ajoute que la charte de Tournai de 1211 est copiée sur celle de Péronne de 1207 (1).

Gachard a été induit en erreur : Tournai reçut une charte de Philippe-Auguste en 1187, ou plutôt en 1188 (1er janvier-16 avril) (2); elle figure aux registres de ce prince; les anciennes versions françaises sont traduites de ce texte et non de celui de 1211. Par contre, l'acte de 1211 n'est pas aux registres de Philippe-Auguste, et le fragment qu'en donnent les éditeurs des Ordonnances leur est venu de Tournai (3).

(1) GACHARD, Documents inédits, t. I, p. 93; Ordonnances, etc., t. XI, p. 248.

(2) Philippe-Auguste était à Tournai le 28 décembre 1187, et la charte est datée de Paris.

(3) Ordonnances, etc., t. XI, p. 298; DELISLE, Catalogue des actes de Philippe-Auguste, no 1269.

Mais pourquoi la charte première a-t-elle disparu des archives de la ville, et pourquoi n'est-elle point rappelée dans celle de 1211, qui apparaît ainsi comme un titre primitif? L'acte de 1188, a-t-on dit, n'aura été expédié et délivré que vingt-trois ans plus tard; or il est signalé dans les documents du temps, et la ville en a, dans l'intervalle, exécuté les clauses. Le titre aurait-il été perdu par accident? Mais alors pourquoi ne pas énoncer une cause aussi simple de remplacement? Une autre supposition est permise, elle se dégage de la comparaison des deux textes et de la série des événements qui se déroulèrent à Tournai entre 1187 et 1211: c'est que la commune aura été forcée par les circonstances de se dessaisir de sa charte pour en accepter un exemplaire nouveau expurgé d'un texte gênant.

II.

La réunion de Tournai à la France est un événement considérable de la fin du XIIe siècle (1). Au point de vue politique, elle fut un coup porté à la Flandre en donnant au roi de France un poste avancé en pays ennemi. Philippe-Auguste profita habilement des circonstances du moment. Il avait l'appui de Baudouin V de Hainaut, son beau-père, devenu l'ennemi de Philippe d'Alsace;

(1) Voyez, sur ce point, D'HERBOMEZ, Le voyage de Philippe-Auguste à Tournai, en 1187 (Revue des QUESTIONS HISTORIQUES, 1891, pp. 593 et suiv.); LE MÊME, Histoire des châtelains de Tournai, t. I, pp. 29 et suiv., et dans CRH, 5o sér., t. III, pp. 19 et suiv.; VANDERKIndere, Histoire de la formation territoriale des principautés belges, p. 189.

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