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'Ai lu, par ordre de Monfeigneur le Chancelier un Ouvrage ayant pour titre : Obfervations fur la Phyfique, fur l'Hiftoire naturelle & fur les Arts, &c. par M. l'Abbé ROZIER, &c. & je crois qu'on peur en permettre l'impreffion. A Paris, cc 19 FéVICK 1774. GARDANE

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PHYSIQUE.

SECOND

MÉMOIRE

Sur le Problême de M. MOLYNEUX ;

Par M. MERIAN (1).

ÉNONCÉ DU PROBLEME.

„SUPPOSEZ un aveugle de naissance, qui foit préfentement homme fair, auquel on ait appris à diftinguer par l'attouchement un cube & un globe de métal, & à peu-près de la même groffeur; enforte que lorfqu'il touche l'un ou l'autre, il puiffe dire quel eft le cube & quel eft "le globe. Suppofez que le cube & le globe étant pofés fur une table, » cet aveugle vienne à jouir de la vue: on demande fi en le voyant, il pourroit les difcerner, & dire quel eft le globe & quel eft le cube? « On a vu le fentiment de M. Molyneux & de M. Locke; nous allons nous occuper du fentiment contraire. Je l'expoferai dans la premiere partie de ce Mémoire; dans la feconde je me permettrai quelques ré flexions fans fortir des bornes que je me fuis prefcrites.

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PREMIERE PARTI E.

S. I.

Solution affirmative du Problême.

EN entendant propofer notre problème pour la premiere fois, il n'eft prefque perfonne qui fur le champ ne fe décide pour l'affirmative. C'est de quoi l'expérience m'a convaincu, comme elle paroît en avoir convaincu M. Molyneux. Nos jugemens fe réglent fur l'état de nos facultés fur l'ufage journalier que nous faifons de nos fens, fur l'habitude où. nous fommes d'exercer la vue conjointement avec le toucher. Ainfi on Vous répondra fans héliter, que l'aveugle né non-feulement diftin

(1) Le premier Mémoire eft inféré dans le tome I in-4°. page 161, année 1773. Tome III, Part. II. 1774.

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guera le globe du cube, mais le diftinguera au premier coup-d'œil, & que rien n'eft plus aifé. Des gens éclairés, des Philofophes même vous feront cette réponse, fi vous les prenez au dépourvu; & plufieurs d'entr'eux perfifteront, après avoir plus mûrement examiné la matiere.

S. II.

Solution donnée par M. de BOULLIER.

Il en eft d'autres qui, à la vérité, avouent que l'aveugle né aura besoin de raifonner & de réfléchir ; mais, felon eux, fa tâche ne fera pas fort pénible. Une réflexion toute fimple le conduira à fon but; car, difent-ils, l'idée du cube ou du globe vu, & l'idée du cube ou globe touché, quoique modifiées par diverfes perceptions acceffoires, font effentiellement la même idée. Aina cet homme, au moyen de la couleur, retrouvera fans peine les idées de globe & de cube que le tact lui a déja communiqué, & reconnoîtra bientôt dans les figures vifibles les propriétés qu'il a depuis long-temps reconnues dans les figures tangibles.

S. III.

Sentiment de M. DE LEIBNITZ.

M. de Leibnitz ne pense pas que cela s'opere fi vîte. Il croit cependant que par les principes de la raifon, aidé des connoiffances que le toucher lui fait acquérir, l'aveugle né pourra difcerner les deux corps; puifqu'il remarquera que dans le globe il n'y a pas des points diftingués du côté du globe même, tout y étant uni & fans angles; au lieu que dans le cube, il y a huit points diftingués les uns des autres.

M. de Leibnitz ajoute que s'il n'y avoit pas ce moyen de difcerner les figures, les aveugles ne pourroient apprendre les rudimens de la Géométrie par le tact. Or, non-feulement ils peuvent devenir Géometres, mais ils ont prefque tous quelque teinture de Géométrie naturelle; & la Géométrie d'un aveugle s'accorderoit parfaitement avec celle d'un paralytique qui ne connoîtroit les figures que par la vue; ces deux Géométries roulent fur les mêmes idées, quoiqu'elles n'ayent point d'image

commune.

§. IV.

Solution donnée par M. le Docteur JURIN.

On trouve une folution à peu-près femblable dans les Remarques du Docteur Jurin, fur l'optique de M. Smith. Cet Auteur fuppofe qu'il eft permis à l'aveugle né de tourner librement autour du globe & du cube, & de les regarder de tout côté & autant qu'il le juge à propos. Après le lui avoir laiffé examiner à loifir, il le fait raifonner ainfi :

Voici deux corps qu'on me dit être un globe & un cube, & qui par conféquent different entr'eux par la figure; auffi je m'apperçois qu'ils affectent les fens de la vue d'une maniere différente; mais en les confidérant de près, j'obferve que l'un de ces corps me donne toujours la même fenfation, & que de quelque côté que je le regarde, il fait fur moi une impreffion uniforme, tandis que l'autre me renvoie plufieurs fenfations différentes & comme détachées. De-là, je conclus que l'un eft le même par-tout, ou d'une figure uniforme, & que l'autre n'eft pas le même par-tout, ou qu'il eft d'une figure non-uniforme.

Or, c'est ce que je me fouviens d'avoir éprouvé en maniant le globe & le cube. J'ai éprouvé, dis-je, d'autant cette unité d'impreffions de la part du globe, & cette pluralité de la part du cube ; donc je connois trèsévidemment que le corps uniforme à la vue, eft le globe, & que l'autre

cft le cube.

Nous apprenons dans la même remarque que M. Saounderfon, ce fameux Mathématicien aveugle de Cambridge, penfoit à ce fujet comme M. Jurin, & fe faifoit fort de fatisfaire à la question, en cas qu'il pût jouir de la vue.

S. V.

Solution du Problême, donnée dans l'Effai fur l'origine des connoiffances humaines.

M. l'Abbé de Condilhac fournit deux articles très-différens à l'histoire que j'écris. C'est ici le premier.

Il commence par analyfer les raifonnemens de MM. Molyneux & Locke; & felon lui, toute la force de ces raifonnemens confifte en ce que l'image tracée dans l'œil à la vue d'un globe n'étant qu'un cercle plat, éclairé & coloré différemment, l'impreffion qui fe fait dans l'ame ne nous donne que la perception de ce cercle. Il nie cette conclufion, & tâche d'en démontrer la fauffeté par des argumens que l'on peut voir dans fon livre, & par lefquels il croit avoir pleinement réfuté les deux Philofophes Anglois.

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Il tourne enfuite fes armes contre d'autres Philofophes, pour prouver contr'eux que l'étendue & les figures fe manifeftent à nous par la vue auffi bien que par le toucher, & il ajoute au fujet de notre aveugle de naiffance: Il apperçoit donc une étendue en largeur, en longueur & » profondeur. Qu'il analyfe cette étendue : il fe fera des idées de fur» face, de lignes, de points, de toutes fortes de figures, idées qui fe»ront femblables à celles qu'il a acquifes par le toucher; car de quel» que fens que l'étendue vienne à notre connoiffance, elle ne fauroit être représentée de deux manieres différentes..... Cet aveugle né dif»tinguera donc le globe du cube, puifqu'il y reconnoîtra les mêmes » idées qu'il s'en étoit faites par le toucher ".

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