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OBSERVATIONS

De M. BRUNELLI;

Sur le Prororoca.

Il y a dans l'Amérique méridionale une Ville fituée environ à un degré & demi de l'Equateur du côté du fud, appellée Para, du nom du fleuve qui la traverfe; ellc eft à plus de cinquante mille de l'Océan, qui fe trouve, à fon égard, au nord eft. Le fleuve qui baigne les murs de cette Ville eft formé par un amas de ruiffeaux, de rivieres qui fe réuniffent en cet endroit, & de-là vont fe jetter dans la mer. L'embouchure du fleuve des Amazones, qui se précipite auffi dans le même Océan eft fort éloigné de cette Ville. On voit une prodigieufe quantité d'Ifles dans le fleuve Para ; une d'entr'elles, nommée par les Indiens, Maraga, a environ cinquante mille de circuit.

Parmi les petites rivieres qui fe réunissent vers Para, il y en a une qu'on défigne dans l'idiome du pays, fous le nom de Guama. C'est ici qu'on trouve une Ifle d'un circuit peu confidérable, mais connue & trèscélebre parmi les habitans du canton; elle eft à quarante-cinq milles de la Ville, au milieu du fleuve qui, dans cet endroit, peut avoir deux cents pas de largeur. Dans cet endroit, ainfi que dans tous les fleuves. voifins de l'Océan, on voit deux fois par jour le flux & le reflux, pourvu que la lune ne foit pas trop éloignée des Sizygées. Le lendemain ou le furlendemain de chaque nouvelle ou pleine lune, temps auquel les maLées font les plus fortes, les eaux s'élevent avec tant de violence & de précipitation, un peu au-dessus de l'Ifle dont on vient de parler, que dans très-peu de temps elles remontent jufqu'au point où les jours précédens & les fuivans elle ne parvenoit que dans l'efpace de fix ou fept heures. C'eft cette élévation fubite & précipitée des eaux que les Indiens. appellent Prororoca, nom affez expreffif dans leur langage qui défigne en même temps la vélocité des eaux & le danger que courent ceux qui navigent alors fur ce fleuve. C'eft de cette circonftance & du lieu où commence l'élévation fubite des eaux, que l'Ifle a pris le nom de Prororoca.

A peine commence-t-on à entendre un bruit épouvantable, qu'on voit trois ou quatre flots d'une écume blanche, fe précipiter les uns fur les autres du haut de cette Ifle; auffi-tôt les eaux s'élevent, fe répandent. de tous côtés, inondent une grande partie de l'Ifle & des campagnes voifines; alors ils entraînent tout ce qu'ils rencontrent fur leur paffage, même jufqu'à des maffes énormes de rochers, dans les endroits où le lin

du fleuve eft plus refferré, ou bien où il fe divife en plufieurs branches, le Prororoca eft d'une violence extraordinaire, & les eaux paroiffent réellement en fureur. C'eft ainfi que le Prororoca s'étend dans toutes les rivieres qu'il rencontre, jufqu'à ce que perdant peu-à-peu fes forces, il s'appaife enfin lorfque les eaux font parvenues de tous côtés en une hauteur confidérable. Le Prororoca eft moins violent le jour fuivant, & il n'eft plus à craindre le troifieme jour.

Quoique toutes les forces de cette eau en fureur agiffent vers la partie fupérieure du fleuve, on ne doit pas cependant penfer que vers la fource du fleuve & dans les endroits un peu éloignés de cette Ifle il n'y ait pas dans les eaux des mouvemens oppofés. Il n'eft pas poffible qu'il forte de cette Ifle un fi grand volume d'eau avec une fi grande impétuofité, & qui s'éleve fubitement à une hauteur confidérable, fans qu'une partie tombe par fon propre poids vers la partie oppofée du Heuve. Les eaux du Prororoca & celles qui viennent de l'Océan doivent, en fe rencontrant, produire des mouvemens affez violens pour épouvanter les voyageurs. Ce danger doit durer jufqu'à ce que toutes les eaux aient acquis un degré de force à-peu près égal dans prefque toute cette étendue du fleuve.

Cette Ifle n'eft pas le feul endroit où le Prororoca fe manifeste ; il est encore bien plus terrible à l'embouchure du fleuve des Amazones, auprès du promontoire nommé Cap-nord. Ce débordement s'y exécute avec une force & une impétuofité inconcevables. C'est là que M. de la Condamine, allaut à Cayenne, fut fur le point de périr par la négligence des

Indiens.

Avant d'expliquer ce phénomene fingulier, je rapporterai comment les Habitans de ces Cantons raifonnent fur un fait fi obfcur & fi difficile. Quelques-uns penfent que le Prororoca a lieu, lorfque les marées font remonter les eaux du fleuve, & agiffent fur elles avec une force fupérieure à celles qui les entraînent vers la mer. Si cela étoit, tous les fleuves de la mer éprouveroient à leur embouchure un Prororoca pendant la haute marée, & chacun pourroit l'obferver deux fois par jour. D'ailleurs, pourquoi ne voit-on jamais de Prororoca au-deffous de la Ville de Para, quoique dans un endroit du fleuve où plufieurs autres petites rivieres. réunilfent leurs eaux pour aller fe jetter dans la mer, & où elles vont avec le plus d'impétuolité au devant des marées? Pourquoi, dans ce même fleuve de Guama, où le flux de la mer s'exécute d'une maniere trèslente, un peu au-deffus de l'Ifle dont on a parlé, le Prororoca débordet-il avec tant de force & d'impétuofité? Pourquoi cela arrive-t-il tou jours lorfque la lune a paffé fes fyzygées ?

Ce qui paroît le plus probable pour expliquer un phénomene auffi fingulier & autfi obfcur, eft qu'on doit regarder comme un fait cer Bain & conforme aux obfervations les plus exactes que le Provoroca est joint aux marées, & qu'il doit en dépendre entiérement ce qui

paroît par la defcription donnée du débordement. De cette maniere, la marée feroit la caufe de cette éruption épouvantable des eaux ; mais, en parlant ainfi, on n'explique rien, & l'obfcurité fubfifte telle qu'elle étoit auparavant. Il s'agit donc de trouver la caufe immédiate par laquelle la marée qui est toujours plus forte après la conjonction & l'oppofition de la lune avec le foleil, peut faire qu'une maffe d'eau énorme s'élance avec tant d'impétuofité de l'endroit où commence le Prororoca. Voici comment j'imagine que la chofe s'exécute.

Il doit y avoir un peu au-deffus de l'ifle du Prororoca une grande ouverture aboutiffante à un canal fouterrein qui fe rend à la mer à peu de diftance du rivage. Il eft certain qu'il exifte en différens endroits de la terre des canaux de cette efpece, par lefquels les eaux remontent jusqu'à des diftances très-éloignées; c'eft je crois par ce canal fouterrein que les eaux de-là remontent avec cette abondance & cette impétuofité qui produit le Prororoca: ces eaux font entraînées par leur propre pefanteur depuis la mer jusqu'à l'isle, & elles fortent enfin par l'ouverture que je fuppofe à cet endroit, mais elles ne s'élevent pas en droite ligne, elles s'élancent au contraire un peu obliquement à caufe de l'obliquité da canal, & elles montent avec une impétuofité incroyable contre la direction des eaux du fleuve. Il y a lieu de croire que cela arrive toutes les fois que la marée étant très-forte, le gonflement des eaux fe trouve précisément fur l'ouverture du canal qui aboutit à la mer. Cela pofé, comme peu de tems après les fyzygées, l'intumefcence des eaux de la mer et plus forte (toutes chofes d'ailleurs égales) que dans tous les autres temps; il faut néceffairement que le Prororoca foit auffi plus violent dans ces circonstances; peut-être auffi que les eaux ont beaucoup plus de profondeur au-deffus de cette ouverture du canal, que celles du fleuve n'en ont auprès de l'ifle du Prororoca, qui, dans ce tems, font très-basses. Les eaux de la mer étant donc entrées dans ce canal fuppofé, doivent couler avec beaucoup plus d'impétuofité jufques vers l'ifle par la feule action de leur propre poids; ce qui eft conforme aux loix de l'hydraulique jufqu'à ce que toutes les eaux qui font dans ce fleuve, & qui entrent de la mer dans ce canal, foient parvenues à une hauteur à peu-près égale. Ceux qui connoiffent la nature des fluides & les loix de T'hydrauftatique, favent combien ces effets doivent être prompts.

Les jours fuivans, c'est-à-dire lorfque la Lune eft fort éloignée des fyzygées, pourquoi ne pourrai-je pas dire que ces eaux, qui fe trouvent fur les deux ouvertures du canal dont il s'agit, font à peu-près au même dégré de hauteur, puifque, dans ce tems, l'intumefcence des eaux de la mer eft beaucoup moindre; par conféquent les forces déprimantes de part & d'autre feront égales, comme on le voit dans les fiphons; il n'y aura donc point de Prororoca ces jours-là. Comme ce Prororoca, quelque grand & quelque rapide qu'il foit, ne dure rapide qu'il foit, ne dure que fort peu de

tems, il doit toujours avoir lieu, foit que la Lune fe trouve en conjonc tion, foit qu'elle fe trouve en oppofition avec le Soleil.

On concevra auffi facilement pourquoi la Lune étant dans les fyzygées, au temps des équinoxes, les Prororoca font beaucoup plus violens; les marées font dans ce tems beaucoup plus fortes que dans tout autre ; par conféquent l'intumefcence eft beaucoup plus grande. Il arrive de-là que les eaux de la mer entrent dans le canal avec plus de violence & en fortent auffi avec plus d'impétuofité par l'ouverture qui aboutit au fleuve. Enfin ce canal aboutiffant à la mer à peu de distance du rivage, on peut expliquer affez commodément pourquoi le Prororoca arrive toujours dans le tems où les eaux du fleuve font repouffées par celles de la mer. En effet, les eaux ne fe gonflent à l'ouverture de ce canal que lorfqu'elles refluent peu-à-peu vers le rivage, & remontent de toute part vers le fleuve.

A

Telles font mes opinions, ou plutôt mes conjectures, fur ce fingulier phénomene. Je conviendrai malgré cet aveu que lorfque la mer fe retire, il devroit fe former un tourbillon affez confidérable auprès de l'ifle du Prororoca, à caufe de la chûte des eaux dans l'ouverture du canal; cependant il ne paroît aucun gouffre pendant tout le temps que les eaux du fleuve coulent vers l'océan. Les eaux conferveroient-elles dans cet endroit la même hauteur jufqu'à la mer? Si cela eft, il ne doit fe former aucun tournant d'eau; mais peut-on affurer que cela foit réellement? J'ai affez fouvent obfervé que pendant que la marée baitfe, la furface des eaux s'abbaiffe en proportion davantage qu'elles s'approchent de la mer. Voici une difficulté encore plus grande.

A la vue de la ville de Para, pendant tout le temps que les eaux du fleuve coulent vers la mer, on rencontre un gouffre très-dangereux & très-étendu que j'ai traversé quelquefois, non fans crainte ni fans danger; plufieurs batteaux y font fouvent engloutis. Des arbres d'une groffeur confidérable entraînés par les eaux du fleuve, s'arrêtent d'abord fur les bords de ce gouffre, ils prennent une pofition perpendiculaire, enfoncent avec impétuofité fous les eaux, & on ne les voit jamais plus; cependant à la marée montante ce gouffre diminue peu à peu & difparoît entiérement. Ce que je viens de dire démontre l'existence d'un canal fouterrein dans lequel les eaux fe précipitent, & leur chûte forme un terrible tournant. Mais fi cela eft ainsi, pourquoi ne voit-on pas de Prororoca en cet endroit quand les eaux de la mer font très-élevées, comme cela arrive dans le fleuve de Guama & dans d'autres lieux ? Peutêtre que ce canal, s'il exifte, n'aboutit pas à la mer, mais dans quelqu'autre lieu qui en foit très éloigné. Cependant, fi l'on fait cette fuppofition, comment décidera-t-on, pourquoi ce gouffre n'existe pas toujours, mais feulement lorfque les eaux redefcendent à la mer ? Si donc ce gouffre eft formé par les eaux qui tombent dans un canal fouterrein

communiquant jufqu'à la mer, & que cependant il ne remonte jamais d'eau par ce canal pour former un Prororoca, que devient la conjecture à la faveur de laquelle j'ai prétendu expliquer fon phénomene? Je ne tiens aucunement à mon opinion; je propofe mes doutes, & je fouhaite que des Phyficiens plus éclairés s'occupent d'un fujet auffi intéreffant.

HISTOIRE NATURELLE.

DESCRIPTION

Des Oifeaux de Paradis, tirée de l'Hiftoire naturelle & raifonnée des différens Oifeaux ;

Traduite du Latin de JONSTON, & de la defcription de la premiere partie de la Ménagerie du Roi (i).

L'OISEAU de paradis eft un de ces oifeaux qui fait l'ornement de nos Cabinets d'Hiftoire naturelle, & qui plaît finguliérement aux Amateurs par la forme & la fituation de ses ailes : elles différent spécialement de celles de tous les autres oiseaux; du côté de la poitrine de cet oiseau fortent de très-longues & nombreufes plumes qui paffent de beaucoup la longueur de la queue, (elles font très-larges; ) & du croupion de quelques-uns de ces oiseaux fortent deux longs filets noirâtres non-emplumés (2), mais bien plus longs que les plumes. La tête & les yeux de l'oifeau de paradis font petits proportionnellement au corps, & fon bec eft effilé comme celui de la Pie. Les Naturaliftes en diftinguent de plufieurs efpeces, & Clufius en admet même deuxi genres. Le mêlange des couleurs des plumes de ces oifeaux eft infini; chaque efpece a fa couleur différente. Il feroit trop long de les déterminer ici. Nous obferverons feulement que toutes les belles couleurs principales s'y trouvent réunies,

(1) Voyez l'Annonce de cet Ouvrage dans le Cahier précédent, page 392.

(2) Ces filets font en général une fois & demie ou deux fois auffi longs que le corps de l'oifeau; ils fe terminent à l'extrêmité en maniere de fpirale, & la fpirale de chaque filet beaucoup plus groffe que le filet, eft tournée en dedans; ce qui préfente un coup-d'œil très-fingulier,

non

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