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Par M. LAVOISIER, de l'Académie Royale des Sciences, tome I, in-8°. A Paris, chez Durand neveu, Libraire, rue Galande.

CE premier volume eft divifé en deux parties; la premiere, intitulée ?

Précis hiftorique fur les Emanations élastiques qui fe dégagent des corps pendant la combuftion, la fermentation, &c. La feconde contient de nouvelles recherches fur l'exiftence d'un fluide élastique fixé dans quelques fubftances.

Nous avons fucceffivement donné dans ce Journal le Précis des hypothefes, des opinions, des fyftêmes & des expériences qui ont paru, foit en Angleterre, en Allemagne ou en France. C'eft de l'hiftorique de cette nouvelle branche de Phylique dont s'occupe M. Lavoisier dans la premiere Partie de fon Ouvrage, & dont nous allons faire l'extrait, afin de préfenter prefque fous un même coup-d'œil la marche & les progrès de l'efprit humain.

Les premiers Chymiftes s'étoient apperçus que dans plufieurs circonftances il fe dégageoit une vapeur, un fluide élastique, fingulier dans fes effets, & même fouvent dangereux & mortel. Paracelfe l'appella fpiritus fylveftre, ou efprit fauvage. Van Helmont s'attacha plus particuliérement à reconnoître cette fubftance qui joue un fi grand rôle dans la nature, & qui y eft univerfellement répandue. Il examina fi elle n'eft pas de la même nature que l'air que nous refpirons, & il la nomma gas fylveftre. Boyle reprit en fous-œuvre les expériences de fes prédéceffeurs, & fit un pas de plus, en ajoutant que fi dans quelques circonftances l'air fe dégage des corps, il y en a beaucoup d'autres dans lesquelles il eft abforbé comme dans l'uftion du foufre. Le célebre Obfervateur, le judicieux Hales parut enfuite, & le flambeau de l'expérience à la main, il répandit un nouveau jour fur cet important objet..

Avant lui on avoit obfervé que ce fluide fe dégageoit dans un grand nombre de circonftances, mais on ne l'avoit pas regardé comme partie

conftituante des corps, comme combiné avec leurs molécules, & on n'avoit pas penfé à mefurer le poids & le volume de celui qu'on retiroit des différentes fubftances. Il propofa des machines auffi fimples qu'ingénieuses, & fit voir pour la premiere fois que certaines fubftances renterment une fi grande abondance de ce fluide élastique, qu'un pouce cubique de pois ou de haricots contient trois cents quatre-vingt-feize pouces cubiques de ce fluide, & qu'un pouce cubique de charbon de terre renferme trois cents foixante fois fon volume d'air qui fait le tiers du poids total.

Jufqu'à ce temps les François s'étoient peu occupés de cette importante matiere, lorfque M. Venel lut à l'Académie des Sciences un Mémoire, pour faire voir que les eaux minérales, qu'on nommoit acidules, à caufe de leur faveur, n'étoient ni acides, ni alkalines, & que leur faveur dépendoit d'une grande quantité d'air qui y étoit combiné (1).

Tel étoit l'état des connoiffances, lorfque M. Black, célebre Chymiste Ecoffois entreprit d'analyfer par un grand nombre d'expériences la chaux & les terres calcaires (2). Pendant que cet Auteur fe livroit à ces recherches, & penfoit avoir découvert dans l'air fixe un grand nombre de phénomenes, M. Meyer, autre Chymifte Allemand s'occupoit prefque des mêmes objets, & fuivoit une route différente; il crut reconnoître que la caufticité de la chaux & des alkalis tenoit à une efpece d'acide qu'il appella acidum pingue (3), quoique l'Allemagne ait embraffé en grande partie les idées de M. Meyer, M. Black trouva cependant dans M. Jacquin un zélé défenfeur. Cet habile Profeffeur foutint fon fyftême avec de nouvelles armes, & lui donna un nouveau degré de clarté par la maniere dont il le préfenta (4). M. Crantz embraffa avec chaleur le parti de

(1) Dans le volume du mois d'Août 1772, tome I, partie II, nous avons fait un extrait de deux Mémoires de M. Venel, dans lequel il eft dit que la découverte de l'air fixe avoit été faite en France long-temps avant que M. Priestley en eût parlé. Comme l'impartialité doit être notre apanage, nous allons rapporter une obfervation qui nous a été communiquée à ce fujet par un de nos Correfpondans de Londres. On lit dans le cinquante-cinquieme volume des Tranfactions philofophiques, année 1765, des expériences du Docteur Brownvigg, fur les eaux minérales acidulées; & il y cite à la page 236, un autre Mémoire lu à la même Académie, en Avril 1741, dans lequel il eft que la vertu de ces eaux dépend de la partie fubtile qui les accompagne, & non pas de la partie terreufe, faline, ou minérale: il embraffe l'opinion de Fréderić Hoffman, qu'il cite dans le §. XVI du Traité de aquis mineralibus indagandis, où Hoffman dit que c'est un elprit fubtil, une espece d'air élastique & fluide.

dit

(2) Voyez dans le tome I in-4°., page 210 & 161, le précis des expériences de M. Black fur la chaux vive, la magnéfie, & fur d'autres fubftances alkalines.

(3) Voyez tome II, page 30, Précis raisonné de la doctrine de M. Meyer. (4) Voyez tome I, page 123, Précis raisonné du Mémoire de M. Jacquin, dans lequel il confidere l'air comme élément des corps.

M. Meyer, pour prouver l'exiftence de l'acidum pingue, & renverfer la doctrine de M. Black (1).

Pendant que ces différens objets exerçoient les efprits en Allemagne,. M. le Docteur Prieftley faifoit en Angleterre un grand nombre d'expériences, non-feulement fur l'air fixe qu'il regarde, ainfi que M. Black, comme une fubftance entiérement diftincte de l'air commun de notre athmofphere, mais même fur d'autres airs dégagés de diverfes fubftances (2).

Tel eft l'abrégé du tableau que préfente M. Lavoifier, & dans lequel il explique les expériences d'après lefquelles chaque Auteur établit fes idées. Nous avons cru devoir les fupprimer, parce qu'on les lira dans les endroits que nous venons de citer, & beaucoup plus étendus que dans le précis de M. Lavoifier, puifque ce font les Mémoires originaux.

M. Lavoisier ne s'eft pas contenté dans la feconde Partie de fon Ouvrage, de raifonner fur les expériences déjà connues & énoncées dans la premiere. Il a fuppofé en quelque forte que le fluide élastique n'étoit que foupçonné, & il a entrepris d'en démontrer l'existence & fes propriétés par une fuite nombreuse d'expériences. Il réfulte de-là que celles : par lefquelles il a commencé, ne font pas neuves pour le fond; cependant, par fa maniere de les préfenter, il les a mis en quelque forte dans la claffe des faits nouveaux, & fe les eft, pour ainfi dire, rendu propres par l'exactitude avec laquelle il en a conftaté toutes les circonftances.

On ne peut entrer ici dans le détail des expériences de M. Lavoisier fans quoi il faudroit tranfcrire l'Ouvrage prefqu'en entier. La majeure partie eft neuve, & appartient à l'Auteur. Il a foupçonné que le même fluide qui, par fa préfence ou fon abfence, changeoit fi confidérablement les propriétés des terres & des fels alkalis, pouvoit auffi beaucoup influer fur les différens états des métaux & de leurs terres. Il s'est engagé fur ces objets dans une nouvelle fuite d'expériences du même genre, en annonçant que la partie de ce travail qui concerne la caufe de f'augmentation de poids des métaux par précipitation, n'eft encore qu'ébauchée, quoique les expériences foient déjà très-multipliées; & il fe contente à cet égard d'expofer celles qui font le plus effentiellement liées avec fon objet principal, réfervant les autres pour un Mémoire particulier.

Ces expériences portent M. Lavoifier à croire que le fluide élastique: fe joint aux terres des métaux dans leurs diffolutions, précipitations &

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(1) Voyez tome II, page 123, Précis de la Réponse de M. Crantz à M. Jacquin. (2) Voyez tome I, partie II, p. 35, c'est-à-dire le volume d'Août in-12. 1772, lé tome I, in 4°. depuis la page 292 jufqu'à la page 415. Voyez également dans le même tome, page 422, la lettre de M. Hey, la Differtation de M. Rutterford,,

page 450.

calcinations; & que c'eft à fon union qu'eft dû l'état particulier des précipités & chaux métalliques, & fur-tout l'augmentation de leur poids. Les diffolutions du mercure & du fer dans l'acide nitreux, la comparaifon des poids des précipités de ces deux métaux, faits par la craie & par la chaux, s'accordent affez avec cette nouvelle idée. On fait que dans le moment où fe fait la revivification de la chaux d'un métal, lorfqu'on la fait avec de la poudre de charbon, il y a un gonflement & une véritable effervefcence, même affez confidérable pour obliger à modérer beau coup le feu dans l'inftant de cette réduction. M. Lavoifier a fait cetre opération dans des vaiffeaux clos, & dans un appareil propre à retenir & à mesurer la quantité de fluide élastique qui fe dégageoit; il l'a trouvée très confidérable, & à-peu-près correfpondante à la diminution du poids

du métal réduit.

Les calcinations qu'il a faites du plomb, de l'étain & de l'alliage de ces deux métaux, au foyer du grand verre ardent, fous des récipiens plongés dans de l'eau ou du mercure, & difpofés de maniere à pouvoir mefurer la quantité d'air abforbé dans ces expériences, lui ont fait connoître qu'il y a en effet une diminution d'air fous le récipient, & qu'elle eft allez proportionnée à la portion du métal qui a été cal ciné. Il en a été de même de l'efpece de calcination par la voie humide qui transforme en rouille certains métaux, & le fer en particulier que M. Lavoisier a choifi pour fon expérience. Ces tentatives lui ont donné lieu d'obferver qu'il le détache un peu d'eau dans la réduction du minium, même par le charbon le plus exactement calciné; que la calcination des métaux, fous des récipiens clos, n'a lieu que jufqu'à un certain point, & s'arrête enfuite fans pouvoit fe continuer, même à l'aide de la chaleur la plus violente & la plus foutenue, & plufieurs autres phénomenes finguliers qui lui ont fait naître des idées neuves & hardies; maisM. Lavoifier, loin de fe trop livrer à fes conjectures, fe contente de les propofer une feule fois, & en deux mots, avec toute la réserve qui caractérise les Phyficiens éclairés & judicieux.

L'examen des propriétés des fluides élastiques dégagés, foit dans les effervefcences des terres & des alkalis avec les acides, foit dans celles des réductions métalliques, & la comparaifon des effets qu'elles font capables de produire fur les corps embrafés, fur l'eau de chaux & fur les animaux, ont fourni à M. Lavoifier la matiere de beaucoup d'expériences intéreffantes. Il ne s'eft pas contenté d'éprouver ces fluides, tels qu'ils fortent immédiatement des premieres opérations : il les a filtrés en quelque: forte à travers différentes liqueurs, telle que l'eau diftillée & l'eau de chaux contenues dans plufieurs bouteilles, communiquant enfemble par des fiphons, & placées à la fuite l'une de l'autre. Ces fluides, ainfi filtrés, ont été foumis aux mêmes épreuves que ceux qui ne l'avoient pas été ; & il a résulté de tout ce travail, que le fluide élastique, dégagé par

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la réduction du minium, a exactement les mêmes propriétés que celui qui s'exhale pendant les effervefcences de la combinaifon des terres calcaires & des alkalis avec les acides; qu'ils ont l'un & l'autre la propriété de précipiter l'eau de chaux, d'éteindre les corps allumés, & de tuer les animaux en un inftant. M. Lavoifier penfe, d'après ce que ces expériences lui ont fait voir, que ces fluides font compofés l'un & l'autre d'une partie fufceptible de fe combiner avec l'eau, avec la chaux & autres fubftances, & d'une autre partie beaucoup plus difficile à fixer, fufceptible jufqu'à un certain point d'entretenir la vie des animaux, & qui paroit fe rapprocher beaucoup par fa nature de l'air de l'athmosphere: que cette portion d'air commun eft un peu plus confidérable dans le fluide élastique, dégagé des réductions métalliques que dans celui qui eft dégagé de la craie : que c'eft dans la partie fufceptible de fe combiner que réfide la propriété nuifible de ce même fluide, puifque M. Lavoifier a obfervé qu'il fait périr les animaux d'autant moins promptement qu'il en a été dépouillé davantage; enfin, que rien ne met encore en état de décider fi la partie combinable du fluide élastique des effervefcences & des réductions eft une fubftance effentiellement différente de l'air; ou fi c'eft l'air lui-même auquel il a été ajouté, ou dont il a été retranché quelque chofe, & que la prudence exige de fufpendre encore fon jugement fur cet article.

Après toutes ces recherches, M. Lavoisier a voulu répéter les expériences de MM. Cavendish, Priestley & Rouelle, fur les propriétés & la vertu diffolvante de l'eau imprégnée de fluide élastique, dégagé des effervefcences: il y a joint l'examen de celles de l'eau imprégnée de fluide élastique des réductions métalliques : il a fait avec ces deux eaux gafeufes les diffolutions des terres calcaires, qui lui ont réufli comme aux Phyficiens que nous venons de nommer: ces eaux fe font comportées de même avec la plupart des diffolutions métalliques qu'elles ont plutôt éclaircies que précipitées; enfin elles ont donné une très-légere teinte rougeâtre au fyrop de violette.

Ces eaux gafeufes ont été enfuite faturées de craie, & elles ont eu alors des effets fort différens: elles ont très-légérement verdi le syrop violat; elles n'ont point précipité certaines diffolutions métalliques : elles en ont précipité d'autres plus ou moins abondamment; enfin elles ont été elles-mêmes précipitées par les alkalis fixes & volatils cauftiques, & non cauftiques.

L'Ouvrage eft terminé par des expériences fur la combuftion du phofphore dans les vaiffeaux clos. L'Auteur a parfaitement conftaté que dans une quantité d'air, non renouvellé, il ne peut brûler qu'une quantité limitée de phosphore, laquelle eft environ de fix à fept grains fous un récipient contenant cent neuf pouces cubiques d'air : que par l'effet de cette combustion il y a une diminution ou abforption d'environ un cin

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