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facilité de combiner par écrit tous les mots poffibles? Qui put ainfi apprendre aux hommes à graver aifément leurs pensées ? Je ne répéterai point ici tous les contes des anciens fur cet art qui éternife tous les arts; je dirai feulement qu'il a fallu bien des fiècles pour y arriver.

Les fchoen, ou prêtres d'Egypte, continuèrent longtemps d'écrire en hieroglyphes; ce qui eft défendu par le fecond article de la loi des Hébreux : & quand les peuples d'Egypte eurent des caractères alphabétiques, les schoen en prirent de différents qu'ils appelèrent facrés, afin de mettre toujours une barrière entre eux & le peuple. Les mages, les brames, en ufaient de même; tant l'art de fe cacher aux hommes a femblé néceffaire pour les gouverner. Non-feulement ces schoen avaient des caractères qui n'appartenaient qu'à eux; mais ils avaient encore confervé l'ancienne langue de l'Egypte, quand le temps avait changé celle du vulgaire.

Manethon cité dans Eufebe, parle de deux colonnes gravées par Thaut, le premier Hermès, en caractères de la langue facrée : mais qui fait en quel temps vivait cet ancien Hermes? Il eft très - vraisemblable qu'il vivait plus de huit cents ans avant le temps où l'on place Moife; car Sanchoniathon dit avoir lu les écrits de Thaut, faits, dit-il, il y a huit cents ans. Or Sanchoniathon écrivait en Phénicie, pays voifin de la petite contrée Cananéenne, mise à feu & à fang par Jofué, felon les livres Juifs. S'il avait été contemporain de Moïfe, ou s'il était venu après lui, il aurait fans doute parlé d'un homme fi extraordinaire, & de fes prodiges épouvantables ; il aurait rendu témoignage à ce fameux

légiflateur juif, & Eufebe n'aurait pas manqué de fe prévaloir des aveux de Sanchoniathon.

Quoi qu'il en foit, les Egyptiens gardèrent furtout très-fcrupuleufement leurs premiers fymboles. C'est une chofe curieufe de voir fur leurs monuments un ferpent qui se mord la queue, figurant les douze mois de l'année; & ces douze mois exprimés chacun par des animaux, qui ne font pas abfolument ceux du Zodiaque que nous connaiffons. On voit encore les cinq jours ajoutés depuis aux douze mois, fous la forme d'un petit ferpent fur lequel cinq figures font affifes: c'eft un épervier, un homme, un chien, un lion, & un ibis. On les voit deffinés dans Kirker, d'après des monuments confervés à Rome. Ainfi, prefque tout eft fymbole & allégorie dans l'antiquité.

DES MONUMENTS DES EGYPTIENS.

IL eft certain qu'après les fiècles où les Egyptiens fertilifèrent le fol par les faignées du fleuve, après les temps où les villages commencèrent à être changés en villes opulentes; alors, les arts néceffaires étant perfectionnés, les arts d'oftentation commencèrent à être en honneur. Alors il fe trouva des fouverains qui employèrent leurs fujets, & quelques arabes voisins du lac Sirbon, à bâtir leurs palais, & leurs tombeaux en pyramides; à tailler des pierres énormes dans les carrières de la haute Egypte; à les embarquer fur des radeaux jusqu'à Memphis; à élever fur des colonnes massives de grandes pierres plates, fans goût & fans proportions. Ils connurent le grand, & jamais le beau. Ils enfeignèrent les premiers Grecs; mais enfuite

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les Grecs furent leurs maîtres en tout, quand ils eurent bâti Alexandrie.

Il est trifte que dans la guerre de Céfar, la moitié de la fameufe bibliothèque des Ptolomées ait été brûlée, & que l'autre moitié ait chauffé les bains des mufulmans, quand Omar subjugua l'Egypte. On cût connu du moins l'origine des fuperftitions dont ce peuple fut infecté, le chaos de leur philofophie, quelquesunes de leurs antiquités & de leurs fciences.

Il faut abfolument qu'ils aient été en paix pendant plufieurs fiècles, pour que leurs princes aient eu le temps & le loifir d'élever tous ces batiments prodigieux dont la plupart fubfiftent encore.

Leurs pyramides coûtèrent bien des années & bien des dépenfes; il fallut qu'une grande partie de la nation, & nombre d'efclaves étrangers fuffent longtemps employés à ces ouvrages immenfes. Ils furent élevés par le defpotifme, la vanité, la fervitude, & la fuperftition. En effet, il n'y avait qu'un roi defpote qui pût forcer ainfi la nature. L'Angleterre, par exemple, eft aujourd'hui plus puiffante que n'était l'Egypte; un roi d'Angleterre pourrait-il employer fa nation à élever de tels monuments?

La vanité y avait part fans doute; c'était, chez les anciens rois d'Egypte, à qui élèverait la plus belle pyramide à fon père ou à lui-même; la fervitude procura la main-d'œuvre. Et quant à la fuperftition, on fait que ces pyramides étaient des tombeaux; on fait que les chochamatin ou schoen d'Egypte, c'est-à-dire les prêtres, avaient perfuadé la nation que l'âme rentrerait dans fon corps au bout de mille années. On voulait que le corps fût mille ans entiers à l'abri de

toute corruption : c'eft pourquoi on l'embaumait avec un foin fi fcrupuleux; & pour le dérober aux accidents, on l'enfermait dans une maffe de pierre fans iffue. Les rois, les grands, donnaient à leurs tombeaux la forme qui offrait le moins de prife aux injures du temps. Leurs corps fe font confervés au-delà des espérances humaines. Nous avons aujourd'hui des momies égyptiennes de plus de quatre mille années. Des cadavres ont duré autant que des pyramides.

Cette opinion d'une réfurrection après dix fiècles paffa depuis chez les Grecs, difciples des Egyptiens, & chez les Romains, difciples des Grecs. On la retrouve dans le fixième livre de l'Enéïde, qui n'est que la defcription des mystères d'Ifis, & de Cérès Eleufine. (1)

Has omnes, ubi mille rotam volvere per annos,
Lethæum ad fluvium Deus advocat agmine magno;
Scilicet ut memores fupera & convexa revifant.

Elle s'introduifit enfuite chez les chrétiens, qui établirent le règne de mille ans; la fecte des millénaires l'a fait revivre jufqu'à nos jours. C'eft ainfi que plufieurs opinions ont fait le tour du monde. En voilà affez pour faire voir dans quel efprit on bâtit ces pyramides. Ne répétons pas ce qu'on a dit fur leur architecture & fur leurs dimenfions; je n'examine que l'hiftoire de l'efprit humain.

(1) Voyez le Dictionnaire philofophique, article INITIATION.

DES RITES EGYPTIENS, ET DE LA

CIRCONCISION.

PREMIEREMENT, les Egyptiens reconnurent-ils un Dieu fuprême? Si l'on eût fait cette queftion aux gens du peuple, ils n'auraient fu que répondre; fi à de jeunes étudiants dans la théologie égyptienne, ils auraient parlé long-temps fans s'entendre; fi à quelqu'un des fages confultés par Pythagore, par Platon, par Plutarque, il eût dit nettement qu'il n'adorait qu'un Dieu. Il fe ferait fondé fur l'ancienne infcription de la ftatue d'Ifis: Je fuis ce qui cft; & cette autre: Je fuis tout ce qui a été & qui fera; nul mortel ne pourra lever mon voile. Il aurait fait remarquer le globe placé fur la porte du temple de Memphis, qui représentait l'unité de la nature divine fous le nom de Knef. Le nom même le plus facré parmi les Egyptiens était celui que les Hébreux adoptèrent, I ha ho. On le prononce diversement : mais Clément d'Alexandrie affure dans fes Stromates, que ceux qui entraient dans le temple de Sérapis, étaient obligés de porter fur eux le nom de I ha ho, ou bien celui de I ha hou, qui fignifie le Dieu éternel. Les Arabes n'en ont retenu que la fyllabe Hou adoptée enfin par les Turcs, qui la prononcent avec plus de refpect encore que le mot Allah; car ils fe fervent d'Allah dans la conversation, & ils n'emploient Hou que dans leurs prières.

Difons ici en paffant que l'ambaffadeur turc Said Effendi, voyant représenter à Paris le Bourgeois gentilhomme, & cette cérémonie ridicule dans laquelle on le fait turc; quand il entendit prononcer le nom facré

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