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Les coupables ne manquaient pas fans doute d'en crever, mais les femmes fidelles à leur mari buvaient impunément. Il eft dit dans l'évangile de St Jacques que le grand-prêtre ayant fait boire de cette eau à Marie & à Jofeph, les deux époux fe reconcilièrent.

La troifième épreuve était celle d'une barre de fer ardent, qu'il fallait porter dans la main l'espace de neuf pas. Il était plus difficile de tromper dans cette épreuve que dans les autres; auffi je ne vois perfonne qui s'y foit foumis dans ces fiècles groffiers. On veut favoir qui de l'Eglife grecque ou de la latine établit ces ufages la première. On voit des exemples de ces épreuves à Conftantinople, jusqu'au treizième fiècle; & Pachimère dit qu'il en a été témoin. Il eft vraisemblable que les Grecs communiquèrent aux Latins ces fuperftitions orientales.

A l'égard des lois civiles, voici ce qui me paraît de plus remarquable. Un homme qui n'avait point d'enfans pouvait en adopter. Les époux pouvaient fe répudier en juftice; & après le divorce, il leur était permis de paffer à d'autre noces. Nous avons dans Marculfe le détail de ces lois.

Mais ce qui paraîtra peut-être le plus étonnant, & ce qui n'en eft pas moins vrai, c'eft qu'au livre deuxième de ces formules de Marculfe, on trouve que rien n'était plus permis ni plus commun que de déroger à cette fameufe loi falique, par laquelle La loi fali- les filles n'héritaient pas. On amenait fa fille devant que regardée le comte ou le commiffaire, & on difait : Ma chère fille, un ufage ancien & impie ôte, parmi nous, "toute portion paternelle aux filles; mais ayant confidéré cette impiété, j'ai vu que, comme vous

comme bar

bare.

m'avez

,, m'avez été donnés tous de DIEU également, je dois vous aimer de même: ainfi, ma chère fille, je ,, veux que vous héritiez par portion égale avec vos ,, frères dans toutes mes terres, &c.

On ne connaiffait point chez les Francs, qui vivaient fuivant la loi falique & ripuaire, cette diftinction de nobles & de roturiers, de nobles de nom & d'armes, & de nobles ab avo, ou gens vivant noblement. Il n'y avait que deux ordres de citoyens, les libres & les ferfs, à peu près comme aujourd'hui dans les empires mahométans & à la Chine. Le terme nobilis n'eft employé qu'une feule fois dans les capitulaires, au livre cinquième, pour fignifier les officiers, les comtes, les centeniers.

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Toutes les villes de l'Italie & de la France étaient gouvernées felon leur droit municipal. Les tributs qu'elles payaient au fouverain confiftaient en fodeparatam, manfionaticum, fourages, vivres meubles de féjour. Les empereurs & les rois entretinrent long-temps leurs cours avec leurs domaines, & ces droits étaient payés en nature quand ils voyageaient. Il nous refte un capitulaire de Charlemagne concernant fes métairies. Il entre dans le plus grand détail. Il ordonne qu'on lui rende un compte exact de fes troupeaux. Un des grands biens de la campagne confiftait en abeilles. Enfin les plus grandes chofes, & les plus petites de ce temps-là nous font voir des lois, des mœurs & des ufages, dont à peine il refte des traces.

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CHAPITRE XXIII.

Louis le faible, ou le débonnaire, déposé par ses enfans & par des prélats.

L'HISTOIRE des grands événemens de ce monde n'eft guère que l'hiftoire des crimes. Il n'eft point de fiècle que l'ambition des féculiers & des eccléfiaftiques n'ait rempli d'horreurs.

A peine Charlemagne eft-il au tombeau, qu'une guerre civile défole fa famille & l'empire.

Les archevêques de Milan & de Crémone allument les premiers feux. Leur prétexte eft que Bernard, roi d'Italie, eft le chef de la maison Carlovingienne, comme né du fils aîné de Charlemagne. Ces évêques fe fervent de ce roi Bernard pour exciter une guerre civile. On en voit affez la véritable raifon dans cette fureur de remuer & dans cette frénéfie d'ambition, qui s'autorife toujours des lois mêmes faites pour la réprimer. Un évêque d'Orléans entre dans leurs intrigues; l'empereur & Bernard l'oncle & le neveu lèvent des armées. On eft prêt d'en venir aux mains à Châlons-fur-Saône; mais le parti de l'empereur gagne par argent & par promeffe la moitié de l'armée d'Italie. On négocie, c'est-à-dire, on veut Le Debon- tromper. Le roi est assez imprudent pour venir dans le camp de fon oncle. ouis, qu'on a nommé le à fon neveu débonnaire parce qu'il était faible, & qui fut cruel

naire fait crever les yeux

Bernard.

par faiblesse, fait crever les yeux à fon neveu qui 819. lui demandait grace à genoux. Le malheureux roi meurt dans les tourmens du corps & de l'efprit, trois jours après cette exécution cruelle. Il fut enterré Saint: nom honorifique. à Milan, & on grava fur fon tombeau: Ci git Bernard, de fainte mémoire. Il femble que le nom de faint en ce temps-là ne fut qu'un titre honorifique Alors Louis fait tondre & enfermer dans un monaftère trois de fes frères, dans la crainte qu'un jour le fang de Charlemagne, trop refpecté en eux, ne suscitât des guerres. Ce ne fut pas tout. L'empereur fait arrêter tous les partisans de Bernard, que ce roi miférable avait dénoncés à fon oncle, fous l'efpoir de fa grace: Ils éprouvent le même fupplice que le roi. Les eccléfiaftiques font exceptés de la fentence: on les épargne, eux qui étaient les auteurs de la guerre. La dépofition ou l'exil font leur feul châtiment. Louis ménageait l'Eglife; & l'Eglife lui fit bientôt fentir qu'il eût dû être moins cruel & plus ferme.

Dès l'an 817, Louis avait fuivi le mauvais exemple de fon père, en donnant des royaumes à ses enfans; & n'ayant ni le courage d'efprit de fon père ni l'autorité que ce courage donne, il s'expofait à l'ingratitude. Oncle barbare & frère trop dur, il fut un père trop facile.

Ayant affocié à l'empire fon fils aîné, Lothaire, donné l'Aquitaine au fecond, nommé Pepin, la Bavière à Louis, fon troifième fils, il lui reftait un jeune enfant d'une nouvelle femme. C'eft ce Charles le chauve qui fut depuis empereur. Il voulut après le partage, ne pas laiffer fans Etats cet enfant d'une femme qu'il· aimait.

Ffa

Une des fources du malheur de Louis le faible & de tant de défaftres plus grands, qui depuis ont affligé l'Europe, fut cet abus qui commençait à L'abbé Vala. naître, d'accorder de la puiffance dans le monde à ceux qui ont renoncé au monde.

Vala, abbé de Corbie, fon parent par bâtardise, commença cette fcène mémorable. C'était un homme furieux par zèle ou par efprit de faction, ou par tous les deux enfemble; & l'un de ces chefs de parti, Abbé fédi- qu'on a vus fi fouvent faire le mal en prêchant la vertu & troubler tout par l'esprit de la règle.

tieux.

Dans un parlement, tenu en 829, à Aix-lachapelle, parlement où étaient entrés les abbés, parce qu'ils étaient feigneurs de grandes terres, ce Vala reproche publiquement à l'empereur tous les défordres de l'Etat : C'est vous, lui dit-il, qui en êtes coupable. Il parle enfuite en particulier à chaque membre du parlement avec plus de fédition. Il ofe accufer l'impératrice Judith d'adultère. Il veut prévenir & empêcher les dons que l'empereur veut faire à ce fils qu'il a eu de l'impératrice. Il déshonore & trouble la famille royale & par conféquent l'Etat, fous prétexte du bien de l'Etat même.

Enfin l'empereur irrité renvoie Vala dans fon monaftère, d'où il n'eût jamais dû fortir. Il fe résout, pour fatisfaire fa femme, à donner à fon fils une petite partie de l'Allemagne vers le Rhin, le pays des Suiffes & la Franche-Comté.

Si dans l'Europe les lois avaient été fondées fur la puiffance paternelle; fi les efprits euffent été pénétrés de la néceffité du respect filial comme du premier de tous les devoirs, ainfi que je l'ai remarqué de la

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