Page images
PDF
EPUB

S. v.

De l'ennemi & des chofes appartenantes à Pennemi.

N appelle ennemi, celui avec qui on eft en guerre ouverte. Ainfi lorfque le fouverain déclare la guerre à un autre fouverain, la nation entieré eft cenfée déclarer la guerre à l'autre nation; en forte qu'elles font foutes deux ennemies, & que par conféquent, tous les fujets de l'une font ennemis de tous les fujets de l'autre; & demeurent tels, en quelque lieu qu'ils fe trouvent. Delà pourtant il ne faut pas conclure qu'ils puiffent fe traiter en ennemis par-tout où ils fe rencontrent; car, s'ils font chez un prince neutre, il ne leur permet point d'ufer l'un contre l'autre, de violence dans fes terres. Les femmes, les enfans, les vieillards, &c. étant auffi membres de la nation, fent comptés au nombre des ennemis; non qu'on doive les traiter comme ceux qui portent les armes, ainsi qu'on le dira dans la fuite, mais fur lefquels auffi la guerre donne quelques droits. Si les fujets de la nation à qui on fait la guerre, font ennemis, à plus forte raifon tout ce qui appartient à cette nation, les biens, les meubles, les effets l'argent des particuliers font-ils mis au nombre des chofes appartenantes à l'ennemi, & fur lesquelles l'état de guerre donne des droits, qui existent en quelque lieu qu'elles fe trouvent, avec la reftriction dont on a parlé au fujet des perfonnes qui fe trouvent chez les puiffances neutres.

A l'égard des chofes appartenantes à des fouverains ou à des fujets de fouverains neutres, & qui fe trouvent chez l'ennemi, ou fur des vaiffeaux ennemis; c'eft aux propriétaires à prouver clairement que ces chofes leur appartiennent, &, en ce cas, on doit les leur remettre; car, fans cela elles font très-légitimement préfumées appartenir à la nation ennemie chez laquelle on les trouve. Quant aux immeubles poffédés en pays ennemi par des étrangers, ils font cenfés appartenir au fouverain du pays, & par cela même, faififfables, par une fuite du droit de la guerre. Cependant, en Ecrope, où l'on obferve les regles de la juftice & de la modération, même dans le feu des hoftilités, il eft d'ufage que l'on accorde des fauvegardes aux terres & aux maisons que des étrangers neutres poffedent en pays ennemi. Au refte, on met au nombre des chofes qui appartiennent à l'ennemi, & dont on peut s'emparer légitimement, les chofes incorporelles, telles que fes droits, fes noms & actions; à l'exception néanmoins, des droits qu'un tiers lui a cédés, & qu'il lui importe de ne pas voir en la poffeffion d'une autre nation, que de celle à laquelle il les a concédés : tels que font les droits de commerce. D'ailleurs, le fouverain eft le maître de faire à fon profit, les dettes que ceux de fes fujets peuvent avoir contractées avec les fujets de la nation ennemie : ou du moins d'en défendre le payement, tant que la guerre durera. Mais l'avantage & la fureté du

commerce ont engagé les nations européennes à fe relâcher de cette rigueur en forte que l'on regarderoit comme violateur de la foi publique, celui qui fe conduiroit autrement.

S. VI.

Des affociés de l'ennemi; des fociétés de guerre, des auxiliaires, & des fubfides.

Tous les principes qu'on a eu occafion de développer dans les para

graphes 12 & 13 & fuivans du livre II de cette analyse, font applicables aux différens traités qui fe rapportent à la guerre, & qui font de différentes efpeces; réels, ou perfonnels, égaux ou inégaux, &c. C'eft auffi par des traités que l'on forme des alliances défenfives, ou offenfives, quelquefois pour attaquer comme pour fe défendre; car, il eft rare qu'une alliance foit offenfive fans être défenfive en même temps, quoiqu'il foit ordinaire qu'il y en ait d'uniquement défenfives: ce font même les plus légitimes & les plus naturelles. En général, elles font faites ou envers & contre tous, ou à l'exception de certains Etats, ou contre telle ou telle autre puiffance feulement. Lorfque dans leur traité, deux ou plufieurs fouverains S'engagent à faire caufe commune, on donne à cette forte d'alliance le nom de fociété de guerre, car, chacun des affociés promettant d'y agir de toutes fes forces, ils font tous également parties principales dans la guerre. Mais lorfque, fans fe rendre directement partie dans la guerre, un fouverain envoie feulement des troupes ou des vaiffeaux de guerre; ces troupes ne font point alliées, ainfi que ces vaiffeaux; elles ne font qu'auxiliaires; & dans ce cas, le prince à qui elles font envoyées n'en a point la libre dif pofition; &, comme elles ne lui font accordées que pour lui-même, il ne peut les donner comme auxiliaires, à un autre fouverain. Lorfqu'au lieu de troupes auxiliaires ou de vaiffeaux de guerre, un Etat fournit de l'argent à une puiffance étrangere, on donne à ce fecours le nom de fubfide; & l'on appelle ainfi dans un autre fens, l'argent qu'un fouverain paye annuellement à un autre fouverain, pour les troupes que celui-ci fournit au premier, ou qu'il eft toujours prêt à lui fournir.

Le moyen le plus für de connoître fi une alliance eft légitime, & de juger de la maniere dont elle doit être remplie, eft de lui appliquer ce principe, qui n'eft qu'une conféquence de ceux dont on s'eft occupé en parlant des devoirs des nations, les unes envers les autres, (liv. II. §. 1.) favoir, qu'il eft, non-feulement permis, mais très-louable de fecourir de toute maniere, une puiffance qui fait une guerre jufte; que ce fecours eft même un devoir pour toute nation, quand elle peut le remplir fans fe manquer à elle-même; mais qu'on ne peut aider d'aucun fecours celui qui fait une guerre injufte.

De ce principe il fuit qu'une alliance ne doit être contra&tée qu'avec bien de la prudence. En effet, fi la nation avec laquelle on veut s'allier eft engagée dans une guerre, ou bien fi elle eft prête à l'entreprendre, il faut d'abord s'affurer de la juftice de la caufe de cette nation, & enfuite, des avantages que l'Etat pourra retirer d'une telle alliée. Car, ce n'eft que pour le bien de l'Etat & l'utilité de fes peuples qu'un fouverain doit ufer de fon autorité. Si c'eft en pleine paix qu'une alliance eft formée; que ce foit une fociété de guerre, ou un traité de fecours, cette claufe eft toujours fous-entendue, que le traité n'aura lieu que pour une guerre jufte; attendu que, comme on l'a obfervé dans le §. 12. liv. II. tout contrat illicite eft nul par lui-même, & qu'un traité fait pour une guerre injufte, étant effentiellement illicite, eft invalide. Toutefois, il n'y a que l'injuftice manifefte de la caufe d'une guerre qui puiffe difpenfer un allié de fournir le fecours promis; & des foupçons, ni même de fimples apparences ne fuffifent point pour manquer à de tels engagemens. Car, dans les cas douteux, on doit toujours préfumer que l'allié avec lequel on s'eft engagé eft bien fondé, & que fa caufe eft jufte. Dans le cas contraire, c'eft-à-dire, dans celui où l'injuftice eft manifefte, refufer le fecours promis, ce n'eft pas rompre le traité d'alliance; c'eft seulement en remettre l'exécution à une autre occafion, puifque le traité portoit cette clause ta cite, qu'on n'affifteroit fon allié que dans une jufte guerre.

Des alliances, comme on vient de l'obferver, font fouvent contractées d'avance; & ce n'eft que dans l'occafion que l'on détermine les cas où la Force des engagemens, doit ou ne doit pas fe déployer; c'est-là ce qu'on appelle cafus fœderis ; & par ces cas, on entend l'événement des circonftances ou conditions marquées expreffément, ou tacitement fuppofées dans le traité. Ainfi, quand l'alliance eft purement défenfive, le fecours n'eft pas dû précifément auffitôt que l'allié eft attaqué; mais auffitôt que l'on s'eft convaincu qu'il n'a point donné lieu à fon ennemi de lui faire la guerre. Car on lui a promis de le défendre, & l'on n'a point entendu s'engager à le mettre en état d'attaquer les autres ou de leur refufer juftice : & fi fa cause eft injufte, tout ce que doit faire fon allié, eft de l'engager à donner à l'ennemi qu'il s'eft attiré, une jufte fatisfaction; ce n'eft que dans le cas où celui-ci refuse la réparation offerte, qu'il eft permis, & qu'on doit même défendre & fecourir fon allié.

On ne répétera point ici ce que l'on a déjà dit, que quelqu'engagement qu'une nation ait pris, quelque fecours qu'elle ait promis, toutes les fois qu'il y a collifion entre fes devoirs envers elle-même, & fes devoirs envers les autres, les premiers l'emportent; en forte que lorfqu'elle eft dans l'impuiffance de fournir les fecours ftipulés, elle en eft difpenfée, de même que lorfqu'en le fourniffant, elle s'expoferoit à un danger imminent qui menaceroit le falut de l'Etat-même; car cette claufe eft toujours fous-entendue dans les traités, qui, fans cela, feroient directement

contraires à la loi naturelle, en vertu de laquelle chacun eft obligé de veiller à fa propre confervation, & de préférer fes propres intérêts aux intérêts d'autrui.

Trois puiffances ont contracté un traité d'alliance défensive; pendant la durée du traité deux d'entre elles fe brouillent & fe déclarent la guerre : on demande que! parti doit prendre la troifieme? Elle a promis à chacune fon affiftance; mais il eft clair qu'elle ne peut affifter l'une des deux au préjudice de l'autre elle doit donc faire tous fes efforts pour réconcilier les deux alliés; & fi elle ne peut y parvenir, elle refte libre de fecourir celle des deux dont la caufe lui paroîtra jufte. En tout autre cas, refufer de fecurir fon allié, c'eft être évidemment injufte, lui faire injure, violer la foi de fes engagemens, & fe rendre refponfable de tous les dommages qui réfulteront d'un tel refus, & qu'on ne peut fe difpenfer de réparer.

Donner des troupes auxiliaires, ou fournir des fubfides, c'eft s'engager plus loin qu'on ne le penfe, car il eft très-probable que ces fecours attireront l'inimitié de celui contre lequel ils font fournis, & qui ne manquera point de s'en venger fi la fortune & la victoire fe déclarent pour lui. Mais fe vengera-t-il avec justice, & de pareils fecours fuffifent-ils pour autorifer & légitimer une guerre? Wolf affure que quiconque affifte notre ennemi, foit d'argent, foit de troupes, devient par-là notre ennemi, & nous donne le droit de faire la guerre. Cette affertion eft dure, & Wolf a renfermé dans fa décifion des chofes qui devoient en être effentiellement diftinguées. Il eft vrai que quiconque eft l'affocié de mon ennemi, eft aussi mon ennemi; mais il falloit examiner quels font ceux que l'on doit regarder comme affociés de l'ennemi : dans ce rang il faut mettre premiérement tous ceux qui ont avec l'ennemi une véritable fociété de guerre, quoiqu'elle ne fe faffe qu'au nom de cet ennemi principal. On compte auffi au nombre des affociés de l'ennemi, ceux qui l'affiftent, fans y être obligés par des traités, & qui par-là, fe déclarent librement & volontairement, foit qu'ils fourniffent des troupes, de l'argent, ou qu'ils permettent chez eux des levées de foldats. De même, les puiffances qui ont avec l'ennemi une alliance offenfive font avec raison regardées comme ennemies. L'alliance défenfive peut auffi, en quelques circonftances, affocier à l'ennemi; par exemple, lorfque cette alliance eft conclue avec mon ennemi pendant la guerre, ou quand elle eft fur le point d'éclater, il est évident que c'eft un acte d'affociation contre moi; & cette alliance me donne manifeftement le droit de regarder celui qui l'a contractée comme mon ennemi. La même décision a lieu dans le cas où cette alliance, quoique générale & faite avant la guerre, eft telle, que tous les alliés fe font engagés de s'affifter les uns les autres de toutes leurs forces. Car alors c'eft une véritable fociété de guerre, une ligue, qui met évidemment cette nation au nombre de mes ennemis; puifqu'elle vient me faire la guerre à la tête de toutes fes forces. Il en est tout autrement lorfque, dans le

[ocr errors]

traité d'alliance défenfive, conclu avant la guerre, & dans le temps où rien n'annonçoit celle que j'ai à foutenir, les alliés ont ftipulé que chacun d'eux fourniroit un fecours déterminé, à celui qui feroit attaqué. Alors ce n'est pas contre moi que cette alliance a été faite, & je ferois injufte d'exiger qu'ils manquaffent à leurs engagemens; les fecours qu'ils fourniffent contre moi, eft donc une dette qu'ils payent, & non une injure qu'ils me font; en forte qu'ils ne me donnent contr'eux aucun jufte fujet de guerre. Mais il y auroit de leur part une injure fenfible, & qui me donneroit contre eux un véritable droit, fi cette alliance défenfive étoit manifeftement injufte car alors, ainfi que nous l'obfervions il y a quelques momens, on n'eft plus obligé d'affifter un allié, & ceux qui le fecourent, le font fans néceffité, de maniere qu'ils font volontairement & fans raifon injure à l'ennemi.

Il eft inutile de dire qu'il n'y a nulle néceffité, nulle obligation à déclarer la guerre aux affociés de l'ennemi; car, puifqu'on a contre eux les mêmes droits que contre l'ennemi principal; puifqu'ils fe déclarent euxmêmes ennemis, en prenant les armes les premiers, c'eft une fuffifante déclaration de guerre. Il n'en eft pas de même des nations qui, affistant fimplement l'ennemi dans fa guerre défenfive, ne font pas pour cela fes affociés; il eft vrai que le fouverain contre lequel ils prêtent leur affiftance, a à fe plaindre de ces fecours : mais c'eft un nouveau différent de ce fouverain avec ces nations. C'eft à lui à leur demander raifon de leur conduite, & fi elles refufent de lui donner fatisfaction, c'eft ce refus qui l'autorife à leur faire la guerre, qu'il ne peut, s'il s'y qu'il ne peut, s'il s'y détermine, fe difpenfer, de leur déclarer,

§. VII.

De la neutralité & du paffage des troupes en pays neutres.

NB prendre aucune part à la guerre que fe font deux nations, & demeu

rer ami commun de l'une & de l'autre, c'eft être neutre. Or on ne peut jouir de la tranquillité de l'état de neutralité qu'autant que l'on obferve la plus exacte impartialité entre les deux partis. Cette impartialité confifte 1. à ne point donner de fecours, lorsqu'on n'y eft pas obligé, & à ne fournir librement ni armes, ni munitions, ni troupes, ni rien enfin de ce qui fert directement à la guerre. 2°. A l'égard des chofes qui ne concernent point la guerre, la parfaite impartialité confifte à ne point refuser à l'un des partis, à caufe de la guerre actuelle, ce qu'on accorde à l'autre. On dit à caufe de la guerre actuelle, car d'ailleurs, le peuple neutre refte libre de fe diriger, ainfi qu'il juge le plus convenable au bien de l'Etat, dans fon commerce, fes liaifons d'amitié, fes négociations; & à l'égard de ces chofes, préférer l'une des deux nations, c'eft ufer de fon droit, & nullement manquer à l'impartialité. On dit encore que cette impartialité

confifte

« PreviousContinue »