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APPENDICE.

LA FAUSSE ET LA VRAIE CRITIQUE.

L'

'IGNORANT ne voit pas les beautés; le détracteur ne veut pas les voir; le critique les voit et les met en évidence, Parle-t-il des grands écrivains qui 5 ne sont plus, c'est avec respect, ce n'est point avec idolâtrie. Il les admire, et cependant il les juge, mais en observant cette circonspection modeste que recommande Quintilien. Il sait découvrir leurs fautes: il fait plus, ce sont les fautes des modèles, par là même elles 10 sont dangereuses; il les signale, non pas à la manière de Zoïle, qui, par des injures répétées chaque jour, it ternir la gloire d'Homère, mais comme Horace, qui, malgré le sommeil d'Homère, reconnaît en lui le chef des poètes et des philosophes; comme Longin, qui 15 reprend quelquefois Sophocle, Démosthènes, et Platon, et qui pourtant les place au premier rang des classiques; comme Voltaire, qui relève les incorrections de Corneille, et qui le déclare supérieur en ses endroits sublimes à tous les poètes tragiques de toutes les nations. 20 Le critique a-t-il à parler de ses contemporains, il célèbre ceux qui méritent la renommée, comme Cicéron, dans son Traité des Orateurs illustres, vante Brutus, Antoine, Hortensius; comme Horace chante Virgile et Varius; comme Boileau rend hommage à Racine, à 25 Molière, aux écrivains de Port-Royal. C'est pour avoir le droit d'outrager les vivants, que le détracteur exagère le culte des morts. Juste envers les morts, le critique est juste avec bienveillance envers les vivants. Ce n'est

pas qu'il trahisse ou qu'il néglige la vérité des hommes éclairés s'oublient-ils jusqu'à donner l'exemple du dénigrement, c'est à regret, mais avec force, qu'il les condamne sans les imiter. Des charlatans foulent-ils 5 aux pieds les droits de l'espèce humaine et les noms consacrés par la reconnaissance publique, il déploie une énergie sévère. Là, toute indulgence serait complicité : hors de là, il ne loue encore que ce qui est louable; mais il le cherche dans les ouvrages, ne se bornant pas 10 à l'admiration des chefs-d'œuvre, mais payant un tribut d'estime aux travaux utiles, n'oubliant ni les hommages dus à la vieillesse entourée des monuments littéraires qu'elle va léguer à la postérité, ni les encouragements affectueux qu'a droit d'attendre la jeunesse, espoir et 15 garant d'une gloire future. Est-il contraint de prononcer sur ses rivaux en quelque genre d'écrire, c'est alors qu'il redouble d'égards, rejetant loin de lui l'aperçu d'un sentiment jaloux, appréhendant jusqu'aux traces d'une partialité même involontaire. S'élève-t-il aux généralités, 20 il pose des principes et non des limites. D'autres que lui, resserrant l'espace en un point, prescriront de suivre un modèle unique; d'autres contesteront au génie l'indépendance qu'il tient de la nature et qu'il ne se laisse point ravir. C'est donc bien à tort que l'on 25 voudrait confondre ensemble deux choses directement

opposées. La fausse critique nuit et veut nuire; elle est ennemie des talents, dont la vraie critique est auxiliaire. L'une est le métier de l'envie; l'autre est la science du goût dirigé par la justice.

J. DE CHÉNIER.

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Arnauld (Antoine), théologien et controversiste célèbre, surnommé le grand Arnauld, né à Paris en 1612, mort en 1694. Dans sa retraite de Port-Royal, il composa avec Lancelot et Nicole les beaux travaux si connus sur la Grammaire et la 10 Logique. A sa mort les jansénistes perdirent en lui leur plus ferme appui, et les jésuites leur plus redoutable adversaire. Tout le monde convient qu'aucun écrivain du xviie siècle n'était né avec un esprit plus philosophique et plus étendu ; mais on regrettera toujours qu'il ait tant de fois consumé ses 15 puissantes facultés dans des controverses qui n'étaient que trop souvent des disputes de mots. Son humeur impétueuse ne pouvait souffrir le repos; un jour que Nicole, d'un caractère plus accommodant, lui représentait qu'il était temps de se reposer: "Vous reposer ! répondit l'impétueux Arnauld, 20 "eh! n'aurez-vous pas pour cela l'éternité entière ?" Aubignac (François HEDELIN, abbé D'), né à Paris en 1604, mort à Nemours en 1676; fut choisi par le cardinal de Richelieu pour être précepteur de son neveu, le duc de Fronsac. Il se livra ensuite à la littérature, et publia une Pratique du Théâtre, 25 sorte de commentaire de la Poétique d'Aristote, qui eut un grand succès à cette époque. "Ce n'est, dit La Harpe, qu'un lourd et ennuyeux écrit, fait par un pédant sans esprit et sans jugement, qui entend mal ce qu'il a lu, et qui croit connaître le théâtre parce qu'il sait le grec." Comme il se vantait 30 d'avoir seul, entre tous les auteurs de cette époque, exactement suivi les règles d'Aristote, "Je sais bon gré à l'abbé d'Aubignac, disait le grand Condé, d'avoir suivi les règles d'Aristote; mais je ne pardonne point aux règles d'Aristote d'avoir fait faire à l'abbé d'Aubignac une si mauvaise tra- 35 gédie." Cette tragédie était Zénobie (en prose).

Baif (Lazare DE), diplomate et littérateur, né près de La Flèche (Sarthe) vers la fin du xve siècle, mort en 1547. Il fut conseiller de François Ier, et ambassadeur à Venise et en Allemagne. Il a

traduit en vers français l'Electre de Sophocle et l'Hercule d'Euripide, et composé des traités qui ont joui longtemps de l'estime des érudits. Le poète Baïf (1532-1589) était son fils.

5 Belleau (Rémy), poète français, né en 1528, mort en 1577. Il fat un des astres les plus brillants de la pléiade française, qui avait Ronsard pour chef. "Il s'est appliqué, dit Baillet, à polir son discours avec tant d'exactitude, qu'on aurait pu attribuer ce soin à quelque affectation vicieuse, si l'on n'avait su que cela lui était naturel." C'est surtout dans les trente petits poèmes qui composent les Amours et nouveaux eschanges des pierres précieuses, qu'éclate, dans sa richesse et sa variété, le talent de Belleau.

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Benserade (Isaac DE), poète, bel esprit et auteur dramatique français, 1612-1691 A peine sorti du collège, Benserade fit jouer Cléopâtre (1635), et plusieurs autres tragédies, dont le succès lui valut la protection du cardinal de Richelieu. Benserade fut reçu à l'Académie française le 17 mai 1674. Il laissa en mourant une réputation au-dessus de son mérite. Boileau lui-même nomma Benserade avec éclat dans son Art poétique ; mais le satirique eut soin de se rétracter dans la satire de l'Equivoque. Boileau-Despréaux (Nicolas), né le 1er novembre 1636, à Paris, mort le 13 mars 1711. (Le surnom de Despréaux lui venait, dit-on, d'un petit bien de famille.) En 1666 il publia son premier recueil, composé du Discours au roi et des 8 premières satires. Ce premier recueil eut un succès prodigieux. On admira cette correction savante, cette verve malicieuse tempérée par l'enjouement, cet art infini, cette pureté de style, ces idées ingénieuses, cette propriété d'expression, cette rectitude de goût, qui annonçaient un maître. En 1674, il publia à la fois son Art poétique et les quatre premiers chants du Lutrin. Le premier de ces ouvrages a valu à Boileau le nom de Législateur du Parnasse. C'est en effet le code de la littérature au XVIIe siècle et le résumé de toute la pensée du grand critique; et l'influence qu'il a exercée s'est répandue même à l'étranger. Cette poésie a eu la bonne fortune rare de devenir banale, à force d'être judicieusement pensée et vigoureusement écrite. M. Sainte-Beuve, maître en critique littéraire, dit au sujet de cet ouvrage : "Sans Boileau et sans Louis XIV, qui reconnaissait Boileau comme son contrôleur général du Parnasse, que serait-il arrivé ? Les plus grands talents euxmêmes auraient-ils rendu également tout ce qui forme désormais leur plus solide héritage de gloire ? Racine, je le crains, aurait fait plus souvent des Bérénice; La Fontaine moins de fables et plus de contes; Molière lui-même aurait donné davantage dans les Scapins, et n'aurait peut-être pas atteint aux hauteurs sévères du Misanthrope. En un mot, chacun de ces beaux génies aurait abondé dans ses défauts. Boileau, c'est-à-dire le bon sens du poète critique, les contint

tous, et les contraignit par sa présence respectée, à leurs meilleures et leurs plus graves œuvres.' Bourgogne (Théâtre de l'Hôtel de), théâtre bâti vers 1548 par les Confrères de la Passion, sur l'emplacement occupé auparavant par l'hôtel des ducs de Bourgogne. C'est là que furent repré- 5 sentés les chefs-d'oeuvre de Corneille et de Racine. Les comédiens italiens exploitèrent ce théâtre de 1680 à 1697, puis de 1716 à 1719; il fut définitivement fermé en 1783, et détruit dans la même année.

Brumoy (Pierre), savant jésuite, historien, philologue et littérateur, 10 né à Rouen en 1688, mort à Paris en 1741. Il professa d'abord les humanités en province, fut ensuite chargé de l'éducation du prince de Talmont, prit part à la rédaction du Journal de Trévoux, et se fit connaître avantageusement par des Pensées sur la décadence de la poésie latine (1722). Son 15 ouvrage capital est le Théâtre des Grecs (1730), qui contribua tant à populariser en France la connaissance des chefs-d'œuvre de la scène athénienne, accessible jusqu'alors aux seuls érudits.

Castro y Bellevis (DON GUILLEM OU GUILHEN DE), célèbre auteur 20 dramatique espagnol, né à Valence en 1569, mort en 1631. C'est à Guillem de Castro qu'on doit la comédie fameuse, las Mocedades del Cid (la Jeunesse du Cid), d'après laquelle Corneille a fait son chef-d'oeuvre. Castro était un ami de Cervantes, et il a mis à la scène un Don Quichotte de la Manche, 25 qu'on trouve imprimé dans la première partie des Comédies de l'auteur. Lope de Vega, également contemporain de Castro, appréciait aussi beaucoup ses talents.

Chapelain (Jean), poète et littérateur français que tout le monde
connaît de nom, grâce aux satires de Boileau, né à Paris en 30
1595, mort en 1674. Nous voudrions pouvoir étudier ici ce
type singulier, mais la place nous manque. Il importe aux
lettres de rechercher la cause du succès qu'obtint Chapelain,
succès d'autant plus extraordinaire qu'il ne fut dû ni à la
grandeur d'un génie même barbare, ni à la perfection du goût 35
et de l'art, mais à l'habile conduite et à l'adresse de celui qui
sut l'obtenir. Nous croyons qu'après avoir lu Chapelain, il faut
en revenir au jugement de Boileau, qui lui a pris un moment
son style dans les vers suivants, faits pour être placés à la
suite du poème de la Pucelle:

Maudit soit l'auteur dur, dont l'âpre et rude verve,
Son cerveau tenaillant, rima malgré Minerve,
Et de son lourd marteau martelant le bon sens
A fait de méchants vers douze fois douze cents!

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Chénier (Marie-Joseph-Blaise DE), poète et conventionel, frère puîné 45 d'André Chénier, né à Constantinople le 11 février 1764, mort à Paris le 11 janvier 1811. Après plusieurs échecs an théâtre, il donna au Théâtre-Français, le 4 novembre 1789 cette fameuse tragédie de Charles IX, dont la représentation

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